Les portables pullulent en prison

Alors que certains ados tueurs de la DZ Mafia sont recrutés par des détenus depuis leur cellule, supprimer les téléphones de la détention semble désormais tenir de l’utopie.

• Nicolas Jacquard

En prison, « si tu cherches un portable, ouvre une télévision ». « C’est leur cache de prédilection », soupire un surveillant. Sa formule résume à elle seule le fatalisme ambiant concernant la présence des téléphones en détention, aussi ancienne que le portable lui-même. En 2009, un groupe de détenus racontait les trésors d’ingéniosité déployés pour faire entrer une poignée de téléphones miniatures à Fleury-Mérogis (Essonne). Les images tournées dans la clandestinité avaient servi à réaliser un documentaire édifiant. Quinze ans plus tard, s’équiper d’un portable en cellule est simple comme un coup de fil. L’année dernière, 53 000 téléphones et accessoires ont été saisis pour 77 500 détenus. Soit un ratio de 0,68 téléphone par détenu. La sanglante évasion de Mohamed Amra, en mai, comme le recrutement d’un tueur à gages à Marseille, il y a deux semaines, ont remis en lumière le phénomène.

Majoritairement, les téléphones sont utilisés par les détenus pour communiquer avec leurs proches, voire pour alimenter leurs réseaux sociaux. Un détenu de Lille-Loos- Sequedin (Nord) est ainsi une star sur TikTok. Il récupère un mobile aussi vite que le précédent lui a été confisqué. Recettes de cuisine, tournages de clips de rap, vidéos du quotidien derrière les barreaux circulent en permanence. Mais les « gros profils » ne se privent pas de les utiliser pour gérer leur business. Amra a utilisé jusqu’à… neuf téléphones pendant son séjour à la Santé, à Paris.

Livraison par les parloirs… ou par drones

Les filières d’approvisionnement sont connues : projections, parloirs, drones et corruption. Comment expliquer, par exemple, que même les quartiers d’isolement (QI) ne soient plus épargnés ? Le 7 octobre, trois jours après la mort d’un chauffeur de VTC exécuté à Marseille par le tueur de 14 ans qui lui avait ordonné de le déposer et de l’attendre, une fouille était ainsi organisée à la maison d’arrêt de Luynes, au sud d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). C’est de là que le tueur avait été recruté et téléguidé. Quatre portables y ont été trouvés dans quatre cellules du quartier d’isolement, censées être particulièrement surveillées. On soupçonne qu’ils transitaient via des « yo-yo » à partir des cellules de l’étage inférieur.

À Réau, en Seine-et-Marne, le doute n’était pas permis. Six surveillants ont été placés en garde à vue en début d’année pour avoir notamment fait entrer des téléphones. « Certains d’entre eux gagnent ainsi un 13 e ou un 14 e mois », pointe un porte-parole de l’Envolée, collectif « porte-voix » des prisonniers. Les fouilles des visiteurs étant interdites, l’entrée par les parloirs reste un classique, fortement concurrencé par les drones. À l’approche des bâtiments, ce sont les détenus qui en prennent le contrôle avec leurs portables, opérant des largages dans des zones « neutres ». Ceux qui sont employés aux services généraux viennent ensuite les récupérer.

Une fois les téléphones parvenus en cellule, les saisir n’est pas si simple. Des « nourrices » peuvent les conserver dans une autre cellule au profit de leur propriétaire. La surpopulation carcérale, en moyenne de 130 %, ne facilite pas non plus la chasse aux portables. À Fleury, au bâtiment D 5, certaines cellules hébergent quatre détenus. « C’est quatre fois plus d’affaires à fouiller, explique Erwan Saoudi, délégué FO Pénitentiaire pour l’Île-de-France. C’est aussi une question de moyens humains… »

Des brouilleurs « très vite obsolètes »

En complément, depuis plusieurs années, l’administration pénitentiaire, qui souligne son « engagement constant » dans cette lutte, a fait le choix de développer des brouilleurs. Ils ponctionnent plus de la moitié du budget sécurité des établissements, porté à 84 millions d’euros cette année, soit une hausse de 8 % par rapport à 2023. L’administration distingue le brouillage total et le brouillage partiel. Le premier, actif dans vingt prisons sur 188, concerne l’intégralité des quartiers. Trente-huit prisons devraient être équipées d’ici à 2025. Le brouillage partiel, lui, touche les QI de 90 établissements. Enfin, 110 brouilleurs mobiles peuvent être positionnés pour couper le signal d’une à deux cellules. « Tous ces dispositifs s’adaptent à l’évolution des technologies », avance l’administration.

« Ils sont très vite obsolètes, rétorque Wilfried Fonck, secrétaire national Ufap-Unsa justice. Ce sont des dépenses à fonds perdu, un cataplasme sur une jambe de bois, qui vient cautionner d’une certaine manière la présence des portables. » Présence pour laquelle il estime un retour en arrière impossible. Certains établissements sont inadaptés aux brouilleurs, particulièrement en ville, à l’image de la Santé à Paris (XIV e). Les brouilleurs doivent alors être utilisés à leur puissance ­minimale, au risque de parasiter les communications du voisinage et celles… des surveillants. Leurs syndicats préconisent plutôt l’installation de filins antiprojections et antidrones, jugés efficaces et peu onéreux, là où le coût d’un brouilleur flirte avec le million d’euros : 90 prisons seront équipées de ces filets à mailles serrées fin 2025.

Cibler les détenus les plus dangereux ?

En 2017, Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, avait ouvert le débat sur l’autorisation des portables. Manière « de légaliser ce qui ne peut être interdit », selon ses détracteurs. Avant d’en arriver à une telle tolérance, certains préconisent de cibler les détenus les plus dangereux. « Les têtes de réseau, ceux qui trafiquent, on les connaît, avance Erwan Saoudi. Il faudrait les regrouper dans des secteurs étanchéifiés. »

Au-delà du grand banditisme, de plus petits voyous se servent des portables pour faire pression sur des témoins ou harceler une ex. Côté positif, leur prolifération permet aux services d’enquête d’écouter leurs cibles. Par les liens qu’ils procurent avec l’extérieur, les portables apaisent aussi la détention. « Les directions les utilisent comme une épée de Damoclès », déplore-t-on à l’Envolée, favorable à la légalisation. « Ils permettent de tenir les établissements », poursuit le collectif, qui y voit « des carottes pouvant se transformer en bâton ».

Le Parisien - le 17 octobre 2024

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