La face (très) intime des prisons

ENQUÊTE DU JDD Au cœur des prisons, on trouve des unités de vie familiale qui ne cessent d’alimenter le débat…


• FLORIAN ANSELME

La nouvelle avait de quoi glacer le sang. Le mois dernier, Nordahl Lelandais, meurtrier du caporal Arthur Noyer et de la petite Maëlys, venait de devenir père. D’un petit garçon conçu entre les murs de sa maison d’arrêt, avec sa nouvelle compagne, rencontrée malgré sa détention. Une liaison qui a été rendue possible grâce à l’existence des unités de vie familiale (UFV), ces appartements privés créés en 2003, intégrés aux prisons, auxquels les prévenus et les condamnés peuvent accéder pour une durée de six heures à trois jours.

En France, il existe 192 dispositifs de ce type dispersés dans 59 établissements pénitentiaires. Allant du studio au trois-pièces, ces espaces sont aménagés comme de véritables petits logements : cuisine, douche, télévision ou encore chauffe-biberon et coloriages pour les enfants. Mais selon nos informations, ceux qui s’y pressent ne sont pourtant pas légion. En effet, leur taux d’occupation actuel n’excède pas les 47 % ! Par manque de personnel, mais aussi car beaucoup de familles, notamment avec enfants, ne supportent pas l’enfermement carcéral. D’autant que d’une UVF à l’autre, le confort est variable. L’homme d’affaires Pierre Botton, qui a récemment fréquenté celui de la prison de la Santé, se souvient d’un petit studio « affreusement sinistre » : « Je ne me serais franchement pas vu avoir des rapports avec ma compagne là-dedans. Ça aurait été irrespectueux… »

Des états d’âme dont ne s’est manifestement pas embarrassé Nordahl Lelandais. Mais comment un individu qui purge une peine de réclusion criminelle à perpétuité pour des crimes aussi atroces peut-il avoir eu accès à ce privilège ? « Vu que l’on a fait une croix sur la peine de mort et que le bagne n’existe plus, il faut l’assumer. Si on refuse ces moments-là à une personne, on nie son existence », répond Ivan Gombert, secrétaire national de FO-Direction, qui représente l’ensemble des directeurs d’établissements pénitentiaires. Pour décrypter ce phénomène, le livre Il n’est pas celui que vous croyez, aux éditions Fayard, une enquête à couper le souffle (à paraître le 14 février) signée Valérie Benaïm, apporte un éclairage précieux sur le sujet. Pendant deux ans, tout en rencontrant une pléiade d’acteurs liés au monde carcéral (avocats, directeurs de prison…), la chroniqueuse de TPMP (C8) a étudié ces femmes qui tombent sous le charme des pires criminels. Des meurtriers, des violeurs, pour qui certaines éprouvent pourtant de l’attirance, et parfois même de l’amour. Avant de rencontrer celle avec qui il est parvenu à fonder une « famille » derrière les barreaux, l’ancien maître-chien avait d’ailleurs vécu plusieurs relations similaires. Une en particulier, Élisabeth (50 ans), qui a entretenu un rapport amoureux avec lui pendant trois ans, et qui témoigne dans le livre de Valérie Benaïm. Au-delà de raconter l’emprise que ce détenu tristement célèbre a exercée sur elle, elle décrit des failles de sécurité édifiantes attribuables aux UVF. Au fil de leurs rendez-vous, elle a ainsi régulièrement pu lui faire passer des téléphones portables, des bouteilles d’alcool et, surtout, de la cocaïne. Pire, elle confie y avoir été menacée et violentée, tant physiquement que sexuellement.

Contacté par le JDD, le ministère de la Justice assure pourtant que les contrôles y sont « aussi stricts » que pour un parloir classique, et que « des surveillants postés à l’extérieur se tiennent prêts à intervenir ». Ces derniers peuvent observer les lieux par une sorte de judas, et un « gros bouton rouge » placé à l’intérieur de l’appartement sert à déclencher l’alerte. Des dispositifs qui n’ont toutefois pas empêché l’UVF de la prison de Condé-sur-Sarthe (Orne), en 2019, d’être le théâtre d’une prise d’otages. Après avoir blessé grièvement au couteau deux surveillants, un détenu radicalisé s’y était en effet retranché avec sa compagne. Pour Ivan Gombert, de FO-Direction, l’accès aux UVF reste néanmoins un outil essentiel pour négocier avec la population carcérale : « C’est une récompense qui permet de canaliser les détenus. » Et en l’état, comme les autres, Nordahl Lelandais a droit à cette récompense. Selon le ministère, aucune modification ou restriction ne serait pour l’instant à l’étude. En ce sens, Wilfried Fonck, le représentant média UFAP – le principal syndicat défendant les intérêts du personnel pénitentiaire –, prévient : « Les terroristes aussi y ont droit ! Salah Abdeslam vient d’intégrer un centre pénitentiaire qui possède une UVF. Et vous verrez qu’il y aura bientôt accès, lui aussi… »

Le meurtrier de la petite Maëlys vient de devenir père en prison

le JDD - le 11 février 2024

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