Borgo (2)

Un mot sur l’accueil du film en Corse (Corse-Matin) et ensuite diverses recensions du film (La Croix, Télérama, Libération, Le Figaro, OUEST-FRANCE, Aujourd’hui en France, La Provence)

Voici tous les articles recueillis dans cette revue de presse sur le site de la FRAMAFAD PACA CORSE en rapport avec le film de Stéphane DEMOUSTIER, BORGO

« J’ai vu l’humanité de la prison »

Dans le piège de «Borgo», polar carcéral magistral

Borgo (2)

Borgo (3)


Le film « Borgo » fait sensation aux premières séances

Sorti ce mercredi, «Borgo » de Stéphane Demoustier, après avoir fait couler beaucoup d'encre à propos de son sujet, est bien parti pour remplir les salles de l’île et du Continent.


« On a fait 983 entrées à la séance de 14 heures. On est vraiment contents pour Stéphane », détaille Valentin qui travaille chez le distributeur Le Pacte. Borgo à pris la deuxième place des sorties de ce mercredi, derrière le blockbuster Civil War. La première séance, en Corse, a eu lieu au Lactitia, à Ajaccio.


Les comédiens se déplacent


À 16h 30, le film à rassemblé 55 curieux. À la séance de 19 heures, ils étaient un peu moins d'une centaine au Galaxy de Lecci et 70 au Régent. De très bons scores pour les exploitants insulaires qui s'accordent à dire que les films tournés sur l’île et traitant de sujets locaux suscitent un vrai engouement.


Plusieurs comédiens du film en ont profité pour le voir ou le revoir aux premières séances.


Comme Anthony Morganti, qui est même passé dans l'après-midi acheter des places pour sa famille et ses amis. Il a choisi la séance de 21 h 15 au Régent : « Je viens ce soir mais discret, hein ! rires) Je me mets au fond de la salle, comme ça, je vois un peu les réactions. » En montant s'installer, il croise les parents de Cédric Appietto qui joue avec lui dans le film.


« On avait loupé l’avant-première pendant Arte Mare. On va voir tous les films dans lequel joue notre fils. » Enchanté, ils ont beaucoup aimé l'intrigue, le jeu de tous les comédiens insulaires « les scènes en prison sont très réussies » et celui de l'actrice principale Hafsia Herzi. Après avoir fait parler de lui et du fait divers dont il est inspiré, Borgo prend le chemin d'un beau succès cinématographique.

CORSE-MATIN - le 18 avril 2024

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Dans l’engrenage corse

le pacte

Le film de Stéphane Demoustier (La Fille au bracelet) met en scène le piège qui se referme sur une gardienne de prison fraîchement débarquée en Corse et signe un thriller subtil, dénué d’artifices et de clichés.

Borgo 

de Stéphane Demoustier

Film français, 1 h 57


À l’aéroport de Bastia, deux figures du grand banditisme viennent d’être abattues en plein jour. Le commissaire local et son adjoint se rendent immédiatement sur les lieux et lancent de premières investigations. Mais au fond, la résolution de ce crime, qui ressemble fort à un énième règlement de comptes entre clans rivaux, ne semble guère mobiliser la hiérarchie policière. Première scène et première fausse piste pour un film qui ne cesse de jouer avec les codes du genre. Tout comme il le fait avec les clichés qui entourent l’île de Beauté. Une Corse grise et froide, loin du folklore, dans laquelle les déterminismes sociologiques, les réseaux de loyauté et les services rendus prennent le pas sur la volonté des êtres et leur morale individuelle.


Le scénario remonte le temps et nous ramène quelques mois plus tôt au côté de Mélissa, une surveillante pénitentiaire fraîchement débarquée sur l’île, avec son mari et ses deux jeunes enfants, pour un nouveau départ en famille. Elle prend ses fonctions à la fameuse prison de Borgo. Là, rien ne se passe comme ailleurs. L’unité 2 regroupe uniquement des Corses et bénéficie d’un « régime ouvert ». Les prisonniers y circulent librement dans la journée. « Ici, on dit que ce sont les détenus qui surveillent les gardiens », la met en garde la directrice de l’établissement, agacée par la réputation de Club Med que lui ont fait les journalistes. Son intégration sur place, personnelle et professionnelle, ne va pas sans quelques difficultés dans un environnement où elle est perçue comme une étrangère. Saveriu, jeune détenu qu’elle a connu à Fleury, va lui faciliter les choses. Mais tout service a sa contrepartie…

Un film inspiré d’un fait divers

repères

L’histoire de Borgo est directement inspirée de l’affaire du double meurtre d’Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni, deux figures du banditisme corse, assassinés à l’aéroport de Bastia-Poretta en décembre 2017. Une affaire dans laquelle a été impliquée une gardienne de prison, Cathy Sénéchal.


Une vingtaine de personnes ont été renvoyées devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône pour ce double meurtre, qui doit être jugé du 6 mai au 10 juillet prochain.Si le réalisateur revendique la liberté de la fiction, la proximité de la sortie du film avec le procès a suscité l’agacement des avocats des parties civiles comme des accusés. Par ailleurs, une avant-première organisée à Bastia au mois d’octobre 2023 a été perturbée par une alerte à la bombe.


La Croix - le 17 avril 2024


Construit habilement sur deux temporalités, Borgo fait alterner le suivi de l’enquête sur l’assassinat, qui ouvre le film, et la façon dont le piège va peu à peu se refermer sur la matonne. Si l’on se doute dès le départ que les deux fils du récit sont liés, on ne sait ni pourquoi ni comment les choses vont advenir. Et c’est dans cet espace d’incertitude que le réalisateur tisse habilement sa toile, créant une attente et une tension en permanence contredite par une mise en scène dépouillée et quasi documentaire. D’un côté, un duo de policiers pas vraiment zélés qui s’escriment à chercher la vérité sur des images de vidéosurveillance. De l’autre, l’atmosphère hostile et viriliste de la prison où Mélissa tente d’affirmer sa place, entre autorité et bienveillance.


Comme dans La Fille au bracelet, qui se déroulait presque entièrement dans la salle d’audience d’un tribunal, Stéphane Demoustier nous enferme avec son héroïne dans cette île et cette prison, espace clos et lieu d’observation privilégié d’où doit émerger une vérité. Or, celle-ci est toujours plus complexe que prévu, comme le démontre le cinéaste en décortiquant l’engrenage fatal dans lequel entre son personnage. Si l’on comprend parfaitement comment Mélissa franchit la ligne rouge, difficile de percer le mystère de ses motivations derrière le visage toujours impassible d’Hafsia Herzi. L’actrice, encore une fois remarquable, en fait un personnage impénétrable, réfugié derrière l’autorité que lui confèrent sa fonction et son rôle de chef de famille, mais dont on perçoit çà et là les failles.


On sent bien toute la fascination qu’exercent la Corse et son statut d’extraterritorialité sur le cinéaste, même s’il se garde bien de les enjoliver. Au contraire, il aborde sans concession les questions de racisme qui taraudent la société corse mais aussi la violence, la brutalité, les comportements claniques du milieu du grand banditisme. Un casting 100 % local (hormis les personnages venant du continent) ainsi que les conseils de Pascal Garbarini, célèbre avocat proche des milieux nationalistes – il a défendu Yvan Colonna – l’ont sans doute aidé à éviter les caricatures. Là comme ailleurs, les petites mains, comme Saveriu, y sont décrites comme des instruments de puissance qui les dépassent. Avec cette volonté de réalisme, il signe un thriller social passionnant et dénué de tout manichéisme.

Céline Rouden

LA CROIX - le 17 avril 2024

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“Borgo”, de Stéphane Demoustier : un vertigineux polar psychologique en milieu carcéral

En Corse, une gardienne de prison est propulsée dans une spirale mafieuse. Un film tendu qui arpente le territoire du thriller avec une grande maîtrise, prix du Jury au dernier Festival Reims Polar.


Elle descend dans la fosse aux lions. Surveillante de prison venue de la banlieue parisienne, Mélissa arrive au centre pénitentiaire de Borgo, près de Bastia : elle a pris la prime insulaire et commence une nouvelle vie avec son mari Djibril et leurs deux enfants. Baptisée Ibiza par les détenus, qui lui chanteront bientôt le tube de Julien Clerc en corse, Mélissa impose le respect à ces gros bras. Rigoureuse, mesurée, la trentenaire n’est ni sympathique, ni antipathique : carrée. Avec elle, pas d’histoires. Comment ce personnage lisse révélera une femme ambivalente et pleine de mystère, c’est la belle surprise que réserve l’intense Borgo.

Trouver de troublants secrets derrière les apparences de vies ordinaires, voilà un lien possible entre les longs métrages de Stéphane Demoustier. Ce quadragénaire avait d’abord raconté dans Terre battue (2014) une affaire d’empoisonnement dans une famille où un père au chômage accompagne les performances prometteuses de son fils au tennis, puis, dans La Fille au bracelet (2020), le procès d’une bachelière accusée d’avoir tué sa meilleure amie, coup de tonnerre incompréhensible dans un monde petit-bourgeois tranquille. Cette fois, le réalisateur lui-même cache son jeu, déroulant sous nos yeux un film où l’habileté de la mise en scène sert autant l’efficacité que la complexité.

Du service anodin au cercle vicieux

Autour de la nouvelle matonne droite comme un I, les embrouilles sinueuses bouleversent rapidement les repères. Ses voisins menaçants et racistes s’en prennent à son mari, Djibril, parce qu’il est noir, le chien de la famille disparaît… À la prison, Melissa retrouve un jeune détenu dont elle avait fait la connaissance à Fleury-Mérogis, Saveriu. Il sait déjà tout de ses problèmes, qui vont très vite être réglés. C’est la première manifestation d’un pouvoir occulte qui s’impose, que ce soit pour protéger ou pour intimider, et auquel tout ramène. Croyant dominer la situation avec son sens de l’équilibre et de l’équité, Mélissa rend un anodin service en retour à Saveriu. Et entre dans un engrenage où elle est à la fois celle à qui l’on doit toujours quelque chose et celle qui doit toujours quelque chose. « En Corse, on n’oublie personne et personne ne nous oublie », lui dit un détenu, résumant l’infernal cercle vicieux.

Borgo fait admirablement ressentir et comprendre l’omniprésence des tentacules de la pieuvre mafieuse. Stéphane Demoustier puise là une dramaturgie de thriller où la violence est constamment à l’affût. Comme dans cette scène impressionnante qui réunit la famille de Mélissa dans une chapelle où entrent deux motards, casque sur la tête. Sont-ils là pour faire le bien ou le mal ? Une chose est sûre, ce sont eux qui rendent la justice et veillent au culte du banditisme. L’ambiguïté dont la surveillante de prison fait l’apprentissage est d’abord dans ces situations susceptibles de basculer d’une manière incontrôlable et menaçante. Une soirée dans la paillote repaire de Saveriu, libéré, balance entre décontraction et tension, inséparablement, quand Mélissa s’alcoolise et abandonne exceptionnellement ce contrôle d’elle-même qui lui tient lieu de bouclier.


Avec son atmosphère tendue de vérité et le réalisme brut de son regard sur le monde carcéral, Borgo ouvre pourtant une autre piste : celle d’un cinéma qui joue avec le spectateur et, à travers un grand raffinement d’écriture, fait se déplacer les personnages sur un vaste échiquier. Au parcours de la gardienne, d’abord simple pion dans une partie qui la dépasse, répond d’emblée la trajectoire parallèle d’un commissaire et d’un brigadier chargés d’enquêter sur un double assassinat à l’aéroport de Bastia. Leurs investigations blasées et leurs efforts poussifs, presque drôles, se concentrent sur des images de vidéosurveillance où le tueur semble les défier, dans un cache-cache sans fin. Mais ces images vont aussi révéler la présence, dans l’aérogare, de la surveillante de prison. Au mouvement d’un pion, s’est substitué celui d’une pièce plus importante, aux manœuvres plus stratégiques.

Fascinante Hafsia Herzi

De la difficulté à identifier un tueur, comme dans un polar, on passe ainsi, dans un registre moins balisé, à l’épineuse identification d’une femme. Qui est Mélissa ? On ne cesse de la redécouvrir, de l’envisager différemment. À l’image de ses collègues du centre pénitentiaire, lorsqu’ils constatent qu’elle est capable de reconnaître tous les composants d’une arme que les détenus voulaient faire entrer parmi des pièces détachées. Elle a pratiqué le tir sportif, explique-t-elle. Mais on la verra, en d’autres occasions, mentir avec beaucoup d’aplomb. Plus on avance et moins on peut dire à qui l’on a affaire.

Stéphane Demoustier a su créer de subtils décalages entre les personnages de Borgo et leurs interprètes : Saveriu, incarné par Louis Memmi, a l’air d’un bon garçon, pas d’un petit voyou, et le commissaire campé par Michel Fau n’a rien, lui non plus, de typique. Entre Mélissa et la fascinante Hafsia Herzi, qui trouve ici son plus grand rôle, l’écart paraît d’abord inexistant, tant le naturalisme de la comédienne parvient à ancrer son rôle dans la pesanteur d’une vie de gardienne de prison. Mais son jeu, comme celui de Mélissa, se teinte progressivement d’opacité, sa présence si entière se fait indécise, évasive, jusqu’à devenir insaisissable. Sous nos yeux, la matonne nous échappe en devenant une femme aussi romanesque qu’une aventurière. Un extraordinaire tour de passe-passe.

D’après une histoire vraie
Le 5 décembre 2017, un double assassinat était commis à l’aéroport de Bastia. L’enquête révéla l’implication d’une surveillante pénitentiaire en poste à la prison de Borgo. Surnommée « la Mafiosa » parce qu’elle était fan de la série avec Hélène Fillières, qui jouait une cheffe de clan corse, elle comparaîtra aux assises dans les prochains mois. Tout en prenant cette affaire criminelle comme point de départ, le réalisateur de Borgo a imaginé une histoire différente. « J’ai fait de la matonne un personnage de pure fiction, explique Stéphane Demoustier. L’affaire réelle implique le grand banditisme, alors que l’héroïne de mon film n’est en contact qu’avec des voyous subalternes et se voit considérée elle-même comme une subalterne parce qu’elle fait un métier dévalorisé, mal payé. J’ai eu autour de moi des avocats qui ont veillé à ce que le scénario reste indépendant du déroulé des faits réels. »

Télérama - le 17 avril 2024

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«Borgo», plus rien ne matonne

Stéphane Demoustier filme Hafsia Herzi en surveillante pénitentiaire sur fond de banditisme corse, sans donner à sentir l’abîme moral du personnage.


• Sandra Onana

Borgo se présente avec les arguments d’un cinéma d’auteur dans la place, voire dans le coup : il y a le banditisme corse, et il y a l’actrice Hafsia Herzi. Deux univers à fort tempérament semblent invités à déteindre sur un film qui en montre assez peu lui-même - de la même manière que les exhausteurs de goût en cuisine peuvent intensifier les perceptions d’un plat honnête mais manquant d’ampleur. L’un convoque des images de vendetta sur île farouche, imbibée de mort, de jeunesse et de soleil. L’autre, le réalisme rêche, l’intensité en mouvement, charriés par une immense actrice qu’on regarderait sans le moindre ennui lire le bottin.

Pour son quatrième long métrage, Stéphane Demoustier (frère de l’actrice Anaïs Demoustier) combine donc les deux, éveillant l’intérêt avec un cas d’école de suspense moral. Un fait divers a inspiré le scénario : une gardienne de prison accusée de complicité dans l’exécution de deux barons du crime.

Ça commence par une enquête à l’aéroport. Corps refroidis sur le trottoir, duo de flics avec le front plissé qui sentent un peu la fiction du dimanche soir. Fort heureusement, le film prendra vite congé d’eux, n’importe qui préférant passer ces deux heures en compagnie de Mélissa et sa petite famille mixte, tout juste débarquée de la métropole. L’accueil est hostile, dans la cité où la jeune femme et son mari Djibril (charismatique Moussa Mansaly) espèrent recommencer à zéro, aussitôt confrontés au racisme du voisinage.

Crapule. Professionnellement, ça dépayse aussi. Mutée dans la prison de Borgo où les détenus fonctionnent en «régime ouvert» - ils circulent librement entre cellules et pièces à vivre, façon coloc pénitentiaire - la matonne s’attache à une crapule au bras long, et entre dans le jeu délétère des échanges de faveurs.

Mascotte. Difficile de comprendre comment cette gardienne expérimentée, honorée de devenir la mascotte de la prison, se laisse prendre dans un tel engrenage. Est-ce parce qu’elle n’est pas insensible à la séduction de gaillards tout en corsitude à marcel et testo au cœur tendre ? Le film ne trouvera pas la clé des agissements de Mélissa. Moins par finesse dans la mise en œuvre de son mystère que par lacunes dans la construction du personnage, petite mère des taulards qu’on finit par trouver incroyablement irréfléchie. Le naturel harmonieux du casting reste seul à déborder du cadre.

Libération - le 17 avril 2024

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« Borgo » : enfermée dehors

À la prison de Bastia, une nouvelle surveillante se retrouve prise dans une combine mafieuse. Un film qui vise juste.



  • Eric Neuhoff

Évidemment, c’est tentant. Cent mille euros, rien que pour désigner quelqu’un à l’aéroport de Bastia. ­Mélissa (Hafsia Herzi) hésite, mais pas longtemps. Elle découvrira assez vite que l’argent a une odeur. L’héroïne est surveillante pénitentiaire. Elle débarque de Paris pour refaire sa vie en Corse, avec son mari sans travail et sa fille qui voudrait un vélo. Un nouveau départ, voilà ce qu’elle espère.

La prison de Borgo fonctionne sur un régime ouvert. On dirait presque que les détenus ont un œil sur les gardiens. La directrice, modèle d’administration découragée (Florence Loiret Caille, parfaite de prudence et de désenchantement), informe là-dessus sa jeune recrue. C’est un autre monde. L’île a ses lois, qui ne sont pas celles du continent. Bref, l’établissement vit en plein désordre. Les condamnés jouent aux cartes dans un local. Les mégots s’entassent dans les cendriers et les assiettes sales dans l’évier. Quel bazar ! Ils n’ont pas honte, non ? Bientôt, pourtant, ils renâcleront à retourner dans leur cellule.

Tout de suite, à cause de son prénom et d’une chanson, Mélissa décroche le surnom d’Ibiza. Elle a même droit à une version en dialecte local du tube signé Julien Clerc. Au moins, cela lui évite les redoutables polyphonies. On l’aime bien, quoi. Elle rend des services, rapporte des cigarettes, procure un ventilateur à un asthmatique. Cela pousse un gentil malfrat qui assure sa protection à lui proposer un marché. À quelle heure arrive l’avion de Genève tel jour ? Mélissa accepte de bon cœur ces menues compromissions, fréquente la paillote où se retrouvent des voyous qui n’ont pas l’air si méchants que ça. C’est le doigt dans l’engrenage. Il y aura deux morts.

Construction en flash-back

Le commissaire (Michel Fau, dans un rôle à contre-emploi), mène l’enquête avec bonhomie et sans illusions, décrypte une à une les images des caméras de vidéosurveillance. Le mari de Mélissa voudrait bien décrocher un job de menuisier. Il lui arrive de se saouler. Dans leur immeuble, le racisme ne dit pas son nom. Les problèmes de voisi­nage sont réglés comme par miracle par des inconnus. La lassitude gagne le couple. Qui manipule qui ?

Avec Borgo, prix du jury à Reims ­Polar, Stéphane Demoustier (La Fille au bracelet) redonne du rose aux joues du polar carcéral grâce à ce portrait de femme volontaire qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et qui se retrouve plus ou moins malgré elle dans une combine mafieuse. Le personnage va de l’avant, balayant les doutes qui l’assaillent, petit taureau souriant et mystérieux. Une habile construction en flash-back tient en haleine. Un milieu est décrit, avec ses coutumes, ses menaces voilées, ses offres impossibles à refuser. Le réalisateur évite la carte postale. « C’est pour un film », dit le tueur, après avoir rengainé son arme. Celui-ci ne rate pas sa cible. Comme sa Mélissa, qui a appris à tirer, Stéphane Demoustier sait viser juste. Normalement, l’avenir est à lui.

Le Figaro - le 17 avril 2024

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Borgo, excellent polar carcéral tiré d’un fait-divers


• Pascale VERGEREAU.

Ce mercredi au cinéma. Stéphane Demoustier raconte la bascule plus ou moins consciente d’une surveillante de prison vers le banditisme, dans un film prenant, porté par Hafsia Herzi.

Après La fille au bracelet (2019), Stéphane Demoustier dresse un nouveau portrait de femme mystérieuse dans Borgo. Il ne s’agit pas ici d’un film de procès, mais d’un film de prison.

L’héroïne, Melissa, est une jeune matonne nommée en Corse dans la prison de Borgo, l’un des rares établissements pénitentiaires de France disposant d’un quartier où les détenus circulent librement. Dans l’unité 2 où elle débarque, on dit que ce sont les prisonniers qui surveillent les gardiens, et non l’inverse.

Melissa est expérimentée ; pas du genre à s’en laisser conter. Son intégration est malgré tout facilitée par Saveriu, un détenu qu’elle connaît déjà et qui la place sous sa protection. Dehors aussi, la recherche de stage de son mari noir, ses relations avec un voisin raciste, sont facilitées par cette « amitié ». Mais une fois libéré, Saveriu réclame un échange de services…

Stéphane Demoustier s’est inspiré d’un fait divers réel pour réaliser son film : l’assassinat à l’aéroport de Bastia-Poretta, en 2017, de deux Corses liés au grand banditisme qui rentraient d’une permission de sortie. Ils auraient été désignés à leurs agresseurs par le baiser d’une surveillante de prison instrumentalisée.

Le réalisateur se défend d’avoir mené sa propre enquête sur l’affaire. Seule l’intéressait, dit-il, la psychologie de la gardienne, incarnée magistralement par Hafsia Herzi, révélée par La graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche (2007).

La Corse, ses habitants, ses paysages somptueux parfois plongés dans une grisaille inattendue, constitue l’autre personnage de cette histoire aussi dépaysante que haletante, qui mélange avec brio les codes du film social et du polar.

1 h 58.

CINÉMA « Borgo est une prison au fonctionnement unique »

 

• Recueilli par P. V.

Entretien

Stéphane Demoustier, réalisateur.

Comment est né Borgo ?

Le point de départ, c’est un article paru dans Le Monde sur le double assassinat de Bastia-Poretta. J’ai lu ensuite deux ou trois autres papiers sur ce fait divers que je me suis empressé d’oublier pour faire une fiction. Ce qui m’intéressait, c’était de dresser le portrait d’une non- Corse qui débarque sur l’île et essaie d’y trouver sa place. Et de montrer comment, en quelques mois, on glisse d’une vie ordinaire à complice du grand banditisme. C’est le grand mystère qu’explore le film.

Il sort avant le procès (en juillet) des meurtriers présumés de l’aéroport de Bastia et agite l’île… Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Il me faut accepter cette coïncidence, je n’ai pas de prise là-dessus. Encore une fois, le film est indépendant de l’affaire. Je retiens qu’on l’a fait en Corse, avec le soutien de la Région, avec beaucoup d’acteurs corses, une majorité de techniciens corses. Là où on a tourné, on a été merveilleusement bien accueillis. Et beaucoup de ceux qui ont déjà vu le film sur l’île ont salué le fait qu’il la dépeint de manière juste, au-delà de l’image « carte postale » qu’on en connaît tous.

Où avez-vous tourné ?

Essentiellement dans la région d’Ajaccio. Les scènes d’aéroport ont été tournées à Grenoble et celles de déten­tion dans une prison désaffectée à Compiègne, à une heure de Paris. On a fait venir tous les Corses là-bas.

Connaissez-vous bien la prison de Borgo ?

Autant je n’ai pas enquêté sur le fait divers, autant j’ai beaucoup enquêté sur cet endroit. C’est une prison au fonctionnement unique. Je pense que c’est la seule où il n’y a pas de hurlements, pas de cris, où les gens se parlent. Sa grande spécificité, dans l’unité 2, est de n’accueillir que des Corses. C’est très homogène culturellement. Ce qui m’intéresse quand je fais un film, c’est de découvrir un nouveau monde. Là, c’était cette prison.

Qu’est-ce qui a guidé le choix d’Hafsia Herzi ?

Je me disais : si je prends 200 détenus, que je les mets dans un réfectoire et qu’il faut une actrice française qui les tienne en respect, il n’y en a qu’une qui y arrivera, c’est Hafsia. Il se trouve que pour son deuxième film, Bonne Mère, elle a passé pas mal de temps dans les prisons, participé à des ateliers qui l’ont amenée à côtoyer des détenus. Ce n’est pas du tout un milieu qui lui était étranger. Sa meilleure amie d’enfance a été plus de dix ans surveillante pénitentiaire. Elle dit souvent : « J’aurais pu, dans une autre vie, faire ce métier. »

OUEST-France le 17 avril 2024

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Les secrets de la reconstitution d’une prison corse


« Borgo »|Dans ce thriller fascinant, Stéphane Demoustier met en scène une histoire inspirée d’un fait divers, qui se déroule en partie dans un établissement où certains détenus circulent librement.


• Catherine Balle

C’est une prison pas comme les autres. Les détenus passent d’une cellule à l’autre, jouent au baby-foot dans une salle commune, s’installent des climatiseurs personnels. Les « chefs » ont une vue sur la mer. L’un d’eux a même un « goûteur ». « Ici, on dit que c’est les détenus qui surveillent les gardiens et pas l’inverse », lâche un personnage. Dans « Borgo », Stéphane Demoustier a « reconstitué » l’unité 2 du centre pénitentiaire de la ville corse. Un quartier en « régime ouvert », exclusivement réservé aux détenus condamnés en Corse, et parfois surnommé le Club Med…

Dans ce thriller fascinant et ultra-maîtrisé, le réalisateur de « la Fille au bracelet » raconte l’histoire de Melissa, une gardienne de prison qui débarque de Fleury-Mérogis (Essonne). Quand un taulard l’aide à se faire respecter des autres, elle ne se doute pas qu’il va lui demander un petit service en retour… « Borgo » s’inspire d’un fait divers : l’assassinat de deux figures du milieu corse en 2017 à l’aéroport de Bastia, auquel une surveillante pénitentiaire de Borgo est soupçonnée d’avoir participé.

Un casting très local

« Tous les personnages sont totalement fictifs », précise le cinéaste, dont la date de sortie du film, qui précède de deux semaines seulement le procès de cet assassinat, a suscité la colère des avocats de la défense. La première projection publique a eu lieu à Bastia le 6 octobre. Elle s’est « très bien passée », selon Stéphane Demoustier… malgré une alerte à la bombe qui a retardé la projection de plus d’une heure.

Le réalisateur a découvert cette affaire de gardienne de prison dans les journaux en 2020. Il ne connaît alors la Corse que comme lieu de vacances et a envie de mieux comprendre les rouages de ce territoire. Il entame l’écriture de sa fiction et décide de ne choisir que des acteurs locaux pour accompagner Hafsia Herzi et Moussa Mansaly, qui incarnent la matonne et son mari. « Le plaisir de faire un film, c’est d’aller à la rencontre d’un milieu, explique le réalisateur de 47 ans. Je ne voulais pas tomber dans les préjugés en prenant des mecs avec des têtes patibulaires. J’avais envie d’avoir des mecs du cru, des gens qu’on ne voit jamais à l’écran. »

Sa directrice de casting lance alors un « plan Épervier » sur toute l’île. Elle place des annonces dans les boulangeries et les bars-tabacs pour recruter ceux qui incarneront les détenus de « Borgo ». Parmi ces acteurs amateurs, Stéphane Demoustier embauche deux surveillants de Borgo et une trentaine d’hommes, dont certains ont séjourné par le passé sur place. Leur connaissance du lieu lui sera très utile pour que son scénario sonne juste. « Les surveillants et anciens détenus m’ont raconté beaucoup d’anecdotes et de détails sur Borgo. Je n’ai même pas pu tout mettre dans le film. »

Une fois son casting constitué, Stéphane Demoustier se met en quête d’un endroit où filmer. Mais l’administration pénitentiaire lui ferme les grilles de tous ses établissements. « Elle avait un peu honte de ce fait divers qui implique une matonne », décrypte le réalisateur. Cinq semaines avant le début du tournage, le cinéaste n’a toujours pas trouvé où planter ses caméras. Jusqu’à ce qu’on lui propose une centrale désaffectée à Compiègne (Hauts-de-France). Un endroit racheté par un propriétaire privé qui veut y faire des logements. « Il n’y avait plus toutes les grilles, donc on a dû réarmer la prison. »

Stéphane Demoustier a ensuite tourné plusieurs semaines autour d’Ajaccio. « Il y a des paillotes auxquelles on n’a pas eu accès parce que le propriétaire avait un rapport direct ou indirect avec le fait divers. Mais on a été hyper bien accueillis. » « Borgo » a bénéficié d’un soutien financier de la région Corse et, selon le réalisateur, le film sera distribué dans tous les cinémas insulaires.

Aujourd’hui en France, le 17 avril 2024

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BORGO Sous surveillance

★★★✩✩ DRAME (France, 1 h 58) de Stéphane Demoustier, avec Hafsia Herzi, Moussa Mansaly, Louis Memmi


L’HISTOIRE

Melissa (Hafsia Herzi), 32 ans, surveillante pénitentiaire expérimentée, s’installe en Corse avec ses deux jeunes enfants et son mari (Moussa Mansaly). L’occasion d’un nouveau départ. Elle intègre les équipes d’un centre pénitentiaire pas tout à fait comme les autres. Ici, on dit que ce sont les prisonniers qui surveillent les gardiens. L’intégration de Melissa est facilitée par Saveriu (Louis Memmi), un jeune détenu qui semble influent et la place sous sa protection. Mais une fois libéré, Saveriu reprend contact avec Melissa. Il a un service à lui demander. Une mécanique pernicieuse se met en marche…

NOTRE AVIS

Depuis ses débuts avec Terre battue, Stéphane Demoustier s’attache à parler des rouages de la justice, en développant des personnages complexes qui flirtent avec les zones grises de la loi. En 2020, La Fille au bracelet s’imposait même comme un aboutissement de ce concept, avec une adolescente que le public pouvait, dans le final, considérer aussi bien comme innocente que meurtrière…

Porté par une troublante Hafsia Herzi, qui tient ici l’un de ses meilleurs rôles, Borgo se montre habile dans son traitement de certaines spécificités corses, sans en faire une généralité locale. Loin des poncifs, le film brouille le rapport de pouvoir entre les surveillants pénitentiaires et les prisonniers, en développant ce qu’il peut se passer en taule, mais aussi à l’extérieur. Tout le sel consiste à mettre le personnage de Melissa en balance entre ces deux mondes et à ne pas forcément chercher à la rendre incorruptible. Au contraire, par son regard, Stéphane Demoustier interroge la loyauté et en fait une anti-héroïne mystérieuse, à la fois prise dans un traquenard mais aussi consentante, responsable de ses actions. D’un bout à l’autre et en dépit de ces imperfections, comme une structure sur deux temporalités, ce qui n’était pas forcément utile, Borgo tient en haleine et pousse à la réflexion.

Loin des poncifs, le film brouille le rapport de pouvoir entre les surveillants pénitentiaires et les prisonniers.

La Provence - le 17 avril 2024

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