Les incidents s’y multiplient, alors que les sortants de prison y sont toujours plus nombreux.
Les centres de rétention pour clandestins sous pression maximale et les incidents s’y multiplient, alors que les sortants de prison y sont toujours plus nombreux. @Le_Figaro pic.twitter.com/sAirb0FJNZ
— framafad paca corse (@WaechterJp) January 6, 2024
• Jean-Marc Leclerc
IMMIGRATION APRÈS LES ÉVASIONS, les actions militantes agressives au pied des établissements où l’on retient des illégaux en voie d’expulsion. La pression monte autour des centres de rétention administrative, ces fameux CRA, dont le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, promet de renforcer les capacités d’accueil. Il annonce 3 000 places disponibles au total d’ici à 2027, contre moins de 2 000 à ce jour, dans 25 centres, dont 4 en outre-mer.
Douze militants de l’ultragauche ont été interpellés et placés en garde à vue, la nuit du Nouvel An, alors qu’ils s’apprêtaient, selon la police, à « orchestrer » une évasion au CRA de Vincennes (Val-de-Marne). Deux ont comparu mercredi devant le tribunal correctionnel mais ont demandé et obtenu un délai pour préparer leur défense. Les autres ont été présentés à un magistrat, afin de se voir remettre une convocation pour un procès correctionnel ultérieur, avec demande de placement sous contrôle judiciaire. Le parquet indique que les mis en cause sont « dix femmes et deux hommes, nés pour la plupart entre 1989 et 2001, qui s’approchaient en groupe du CRA, le visage dissimulé, susceptibles d’être animés d’une intention hostile ».
C’est de ce même CRA que se sont évadés, le 25 décembre dernier, 11 pensionnaires, après qu’ils ont fracassé une fenêtre, découpé un grillage, sauté de six mètres de haut, puis escaladé le dernier mur d’enceinte, en prenant soin d’envelopper ses barbelés avec une couverture, pour éviter de se couper. En novembre dernier déjà, huit autres migrants s’étaient échappés de ce fortin louis-philippard, la « redoute de Gravelle », reconverti en lieu de rétention.
Des délais très contraints
Le préfet Michel Aubouin, inspecteur général de l’administration et ex-directeur du ministère de l’Intérieur en charge de l’intégration des étrangers et des naturalisations, assure que, dans ces centres, « les évasions ne sont pas rares », que « les actes de rébellion sont assez fréquents » et que « certains ont même connu des nuits d’émeutes ». Ce fut le cas notamment, ces derniers mois, à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques), Lyon, Metz, Oissel (Seine-Maritime), Coquelles (Pas-de-Calais), au Mesnil-Amelot, près de Roissy, ou, cet été encore, à Marseille.
« Un CRA n’est pas une prison », rappelle l’un de ses collègues, préfet de région. Un autre préfet donne sa vision du sujet : « Le CRA est une sorte de sas qui permet d’avoir l’étranger en situation illégale sous la main, le temps de lui trouver un billet d’avion pour rentrer dans son pays - car il n’y a pas de vols quotidiens pour certaines destinations - et d’obtenir un laissez-passer consulaire, quand l’intéressé n’a pas de papiers. »
Vu les besoins importants de l’administration - ne serait-ce que pour faire exécuter les obligations de quitter le territoire français (OQTF), au nombre de 134 000 en 2022 -, l’exercice nécessite de disposer d’un volant de places suffisant, « car ces démarches prennent du temps », déclare ce préfet. Il insiste aussi sur « la nécessité de pouvoir disposer de délais de rétention suffisants également ».
Ceux-ci sont de 90 jours au maximum en France, alors que la Commission européenne autorise une durée jusqu’à dix-huit mois. L’Allemagne s’y conforme, avec jusqu’à 547 jours de rétention possible, de même que l’Italie ou la Belgique. Dans certains pays du nord de l’Europe, le délai n’est pas limité. Mais la France se distingue par des délais très contraints.
Quant aux places disponibles, elles sont manifestement insuffisantes, aux yeux de l’administration. « Il est sûr que, même si juridiquement ce ne sont pas des prisons, ça y ressemble un peu », concède un préfet particulièrement concerné par cette problématique. Il ajoute : « Ceux qui y sont enfermés sont parfois prêts à tout pour éviter la reconduite, d’où une violence latente, pas mal de destructions et un faible engouement de la police aux frontières à garder ces centres. » Selon lui, un pensionnaire sur deux en sort avant la fin du délai, car « les juges des libertés et de la détention (JLD) prennent tous les prétextes pour les libérer ».
Il faut lire le remarquable rapport annuel sur les « Centres et locaux de rétention administrative », réalisé par la Cimade et ses associations sœurs, de France terre d’asile au Forum réfugiés. Tout y est dit et pleinement assumé.
On y apprend d’abord que plus de 43 000 clandestins sont passés par un CRA en 2022. Mais attention : il faut distinguer les quelque 27 000 retenus en un an dans les départements d’outre-mer (dont 26 000 à Mayotte, expulsés à 76 %), des 16 000 placés en rétention dans l’Hexagone. Pour ceux-là, le pourcentage de « personnes libérées » atteint « 50,2 % ». Parmi ces 16 000 clandestins, donc, 7 315 libérations, dont 93 % des personnes libérées par le juge judiciaire (JLD et cour d’appel), et 6 507 « personnes éloignées », dont 3 837 vers un pays hors de l’UE. Le reliquat se compose des quelques centaines de personnes assignées à résidence, pour 45 déclarées officiellement « en fuite », cette année-là.
« Troubles à l’ordre public »
Pour les associations d’aide aux migrants, le taux d’éloignement de 44 % pour les personnes retenues en métropole est encore trop important. Elles le disent sans rougir et « alertent sur l’utilisation disproportionnée de ces lieux d’enfermement, au fil des orientations politiques voulues par les gouvernements successifs ». La Cimade l’écrit même dans son dernier rapport annuel : elle a « mené des actions contentieuses et de plaidoyer et s’est notamment mobilisée contre la création de nouveaux CRA ».
« Le CRA est le lieu ultime de la schizophrénie puisque nous partageons ces locaux avec des associations, largement financées par de l’argent public, pour nous mettre des bâtons dans les roues au quotidien », déplore, de son côté, un chef de police du Grand Est.
Depuis une circulaire du 3 août 2022, le ministre de l’Intérieur a ordonné aux préfets la priorisation de l’enfermement des clandestins expulsables connus pour « troubles à l’ordre public ». Les étrangers radicalisés et délinquants sont dans le viseur. Et de fait, plus de 30 % des personnes retenues en CRA sont des sortants de prison aujourd’hui.
« C’est une bonne circulaire, une inflexion forte, mais qui entraîne cependant plus de tension qu’avant dans les établissements », estime un grand préfet, qui parle de « conséquence logique et prévisible ». Un autre grand commis y voit, lui, « un changement systémique ».
À l’entendre, « il y a moins d’ESI classiques, ces étrangers en situation irrégulière qui ne posent, d’ordinaire, pas trop de difficultés, et davantage de profils au passé délinquant déjà bien caractérisé, avec des réflexes de détenus, parfois vicelards ». Selon lui, « ils connaissent leurs droits et cherchent souvent l’accrochage ».
Or les CRA, on l’a dit, ne sont pas des prisons. « Les retenus ont des droits de visite, ils peuvent téléphoner à leur guise, se promener d’une chambre à l’autre, bref, ce n’est pas le degré de coercition ni de sûreté des établissements pénitentiaires d’où sortent nombre d’entre eux ; pas étonnant que les profils les plus durs tentent de se faire la belle », confie un fonctionnaire de la police aux frontières.
Faibles perspectives de retour
« Le comble, renchérit un préfet, c’est que beaucoup des agents qui servent en CRA avaient quitté la sécurité publique, où ils étaient affectés autrefois, précisément parce qu’ils en avaient ras le bol de la confrontation permanente avec cette typologie de délinquants. » Il évoque même une « ambiance délétère » au sein de certains centres. Les associations de défense des droits de l’homme ajoutent au tableau « le manque structurel d’effectifs policiers, qui impacte l’organisation des CRA, génère et aggrave des situations de violences et de violation des droits des personnes enfermées ». Elles relèvent aussi « l’augmentation du nombre de personnes (…) souffrant de troubles psychiatriques » dans ces centres peu adaptés à l’accueil d’un tel public.
Le « plan CRA » de Gérald Darmanin est attendu avec impatience dans les rangs des policiers. Les nouveaux centres se situeront dans 11 villes : Dijon, Oissel, Nantes, Béziers, Aix-en-Provence, Goussainville, Nice, Olivet, Mérignac, ainsi que dans le Dunkerquois et à Mayotte. Chacun aura une capacité « d’une centaine de places », affirme le ministre.
« Le CRA d’Olivet (Loiret) ouvrira dès le 1er février 2024. Celui de Mérignac (Gironde), qui devait ouvrir initialement en janvier 2026, est avancé à octobre 2025 », et l’ouverture des « neuf autres CRA initialement prévus pour 2027 sera avancée à 2026 au plus tard », annonce-t-il, dans une lettre adressée le 18 décembre dernier au chef des LR, le député des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti.
Déjà, des voix s’élèvent pour dire que l’effort engagé ne suffira pas. Il faudrait, selon un haut fonctionnaire, « un millier de places en plus par an pendant cinq ans », pour espérer détenir un outil à peu près dimensionné. En France métropolitaine, entre « 400 000 et 800 000 adultes » se trouveraient en situation clandestine, selon les estimations. La part des retenus serait donc inférieure à 1 % du total de ces illégaux. Alors que la pression migratoire - et donc les entrées - ne cesse de croître, parallèlement au détournement du droit d’asile qui pulvérise en 2023 tous les records, avec plus de 145 000 demandes enregistrées.
Dans le top dix des nationalités en CRA, les Algériens représentaient en 2022 environ un quart des personnes retenues, pour finir par 71 % de « non-éloignés ». Suivaient les Albanais (11 % des retenus), qui sont, eux, expulsés à près de 80 %, tandis que les Marocains et Tunisiens étaient tout autant, mais aussi difficiles à renvoyer que les Algériens, faute de laissez-passer consulaires délivrés en nombre suffisant.
Les magistrats se veulent cohérents. Ils tirent argument des perspectives de retour très faible, voire nulle, dans bien des cas, pour libérer une majorité de personnes. Les policiers se plaignent de voir revenir souvent les mêmes « clients ». Et la durée moyenne de rétention en CRA ne dépasse pas vingt-trois jours en France. Le problème de l’éloignement reste entier.
@Le_Figaro - le 5 janvier 2024