À trop s’occuper de la surpopulation carcérale, la machine pénale s’enraye

C’est la grande tragédie de la justice pénale en France. Obsédée par la surpopulation carcérale qu’elle ne sait plus réguler, elle ne fait plus que gérer des flux et des stocks et ne raisonne plus en termes de dangerosité ni de sanction.

• Paule Gonzalès

L’affaire Philippine est cruellement là pour illustrer cette défaillance qui endommage toute la chaîne pénale. D’autant que, comme le fait observer un magistrat spécialisé, « l’auteur des faits n’était pas n’importe qui car, pour prendre 7 ans en bénéficiant de l’excuse de minorité, c’est qu’il fallait déjà avoir commis des actes très graves ».

Lors de son incarcération - cinq années en tout, en comptant les remises de peines légales -, rien ne sera mis en place pour que ce délinquant sexuel, récidiviste étranger, quitte le territoire français. Pourtant, qu’il s’agisse de la justice, de l’administration pénitentiaire ou de la préfecture, toutes avaient le temps et les moyens pour l’organiser. La justice avait la possibilité d’exiger une libération expulsion. Ce qu’elle n’a pas fait. À son arrivée en détention, l’administration pénitentiaire aurait dû se mettre en relation avec le consulat du condamné. Ce qu’elle n’a pas fait, ce qu’elle ne fait jamais. Et, à sa sortie, la préfecture aurait pu prendre un arrêté d’expulsion, ce qu’elle n’a pas fait, se contentant de l’OQTF avec un placement en centre de rétention administratif (CRA).

En rétention administrative, il est vrai, « au bout de soixante jours », rappelle un procureur de la grande couronne parisienne, « l’administration doit apporter la preuve qu’un laissez-passer consulaire est imminent pour le maintenir en CRA ». Sans quoi, l’individu est libéré. Sauf à ce que le parquet fasse un appel, qui est suspensif. Cela non plus n’a pas été fait.

Tous ces dysfonctionnements attestent d’un système pénal et carcéral totalement embolisé : près de 80 000 détenus pour un parc pénitentiaire qui, depuis les années Taubira, n’a jamais été mis à niveau. Malgré les promesses d’Emmanuel Macron de construire 15 000 places de prison, le solde net de places supplémentaires est de seulement 4 500. Et beaucoup d’entre elles ne sont dévolues qu’aux « fins de peine », moins chères, moins compliquées à construire, mais aussi idéologiquement correctes car tout le système pénal français repose sur la réinsertion des délinquants. Noble but à condition d’avoir un système de probation efficace. Ce qui n’est pas prouvé, faute d’évaluation sérieuse.

Mangées par la surpopulation pénale, les prisons françaises souffrent d’un autre mal que celui du déni carcéral : le volume de ses détenus étrangers représente 20 % des détentions françaises. Selon les derniers chiffres disponibles, datant du 1er juillet 2022, plus de 30 % de ces 20 000 détenus - que la Chancellerie refuse d’expulser, toutes nationalités confondues - viennent d’Afrique du nord. Soit, au total, 7 321 individus, un peu moins de 10 % des détenus en France. Aussi, à cette date, comptait-on 3 974 Algériens, 2 093 Marocains et 1 254 Tunisiens. Leur expulsion vers leur pays d’origine permettrait non seulement d’alléger la pression carcérale mais aussi celle des centres de rétention administrative.

« Plus de 40 % des peines de prison fermes sont aménagées »

En effet, selon des chiffres émanant de sources policières, fondés sur un recensement dans la moitié des centres de rétention, début 2024, en moyenne 50 % des personnes retenues sont des délinquants sous le coup d’OQTF. Ils côtoient, dans une promiscuité problématique, des femmes avec enfants et des illégaux non délinquants. Pour exemple, à Bordeaux, on comptait 17 sortants de prison pour 20 retenus, à Palaiseau, 15 pour 26, à Nîmes, 50 sur 90 et, au centre de rétention de Metz, où fut retenu le meurtrier de Philippine, 30 sur 78.

À cette sociologie carcérale s’ajoute la politique pénale de la France, inchangée depuis 1980. L’un des arguments récurrents des gardes des Sceaux successifs pour contrer le procès en laxisme des juges est d’affirmer que la justice tape dur sur les délinquants, comme le prouve l’allongement des durées de peines. Le dernier cahier d’études pénitentiaires et criminologiques montre en effet que, entre 1968 et 2024, la durée de peine est passée de 5 à 11 mois. Mais cette seule donnée ne suffit pas à prouver la sévérité des magistrats. Dans le même document, la statistique relève que depuis le milieu des années 1970, les entrées en détention par an varient peu ou prou autour de la barre des 80 000 par an, mais n’ont pas explosé. Mieux encore, les courbes montrent que le taux d’entrée en détention pour 1 000 crimes et délits est passé de 80 en 1968 à 20 en 1983, date de l’explosion des alternatives à la détention sous l’ère Badinter. Quarante ans plus tard, malgré l’évolution démographique et l’explosion de la délinquance, ce taux est exactement le même. En parallèle, on note une baisse du nombre d’entrées en détention pour 1 000 habitants.

En revanche, le service de la statistique de la Chancellerie a révélé mardi que « plus de 40 % des peines de prison fermes sont aménagées ou converties avant incarcération ». Un chiffre qui n’était que « de 33,4 % en 2019 ». Autrement dit, la machine infernale de la surpopulation carcérale n’est due qu’à une entrée en détention retardée par le jeu des sursis qui tombent en cas de réitération, additionnent les peines de prison déjà infligées et augmentent la durée de la détention. Cela n’est compensé ni par les libérations ni par les aménagements de fin de peine, ce qui rend ingérable la gestion des prisons. P. G.

Le Figaro, le 26 septembre 2024

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