Prison : les travaux d’intérêt général, une peine alternative sous-utilisée

Enquête

Travaux d’intérêt général, une peine alternative sous-utilisée

Depuis dix ans, les prononcés de peines de travail d’intérêt général ont nettement baissé. Pourtant plébiscitée comme une alternative à la prison lors de sa création il y a quarante ans, la mesure connaît un essoufflement, bien souvent au profit de la détention à domicile sous surveillance électronique.

À Bourges, dans les espaces verts de la préfecture du Cher, Adrien (1) retourne la terre, affublé de son pantalon de chantier et de ses lunettes fumées. En cet après-midi de début septembre, le jeune homme de 24 ans a bien conscience qu’il pourrait être derrière les barreaux.

« Depuis plusieurs années, j’ai fait des bêtises, je suis un récidiviste », avoue-t-il quelque peu vergogneux. La dernière remonte à la fin du mois d’août, lorsqu’il a été contrôlé positif aux produits stupéfiants au volant de sa voiture. « Au procès, quand le procureur a requis trois mois de prison ferme, je me suis écroulé, j’ai cru que ma vie était foutue », confie-t-il, la voix grave et posée.

Adrien doit sa liberté à la mansuétude des juges qui l’ont finalement condamné à du sursis, assorti de 90 heures de travaux d’intérêt général (TIG). « Une peine pour les délits passibles au maximum de six mois d’emprisonnement et qui valorise les savoir-faire d’un condamné en lui permettant de travailler, au sein d’une structure habilitée, en réparation du préjudice causé, expose Amina Gachouche, la directrice des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) du Cher. Elle fait l’objet du consentement du condamné qui peut la refuser. »

Sans hésiter, Adrien, diplômé d’un bac pro électricité, a accepté cette peine et son cadre, la préfecture du Cher. L’accueil de « tigistes » est un projet récent. « Nous avons lancé cette initiative dès la fin de l’année 2022 », relate le préfet Maurice Barate, un fin connaisseur de la problématique carcérale. Dans une autre vie, il a dirigé plusieurs établissements pénitentiaires. Créé en 1983, le TIG était « un grand rafraîchissement en matière pénale », selon lui, car « cela faisait bien longtemps qu’il n’y avait pas eu de nouvelles mesures alternatives à l’incarcération ».

Mais, quatre décennies plus tard, la mesure connaît un « essoufflement », regrettent les plus avertis. Entre 2015 et 2022, le nombre de TIG prononcés par les juridictions pénales a diminué progressivement, passant de 25 130 à 16 560, soit une baisse de 34 %, souligne une étude récente du ministère de la justice. Sollicitée, la chancellerie précise que les prononcés de TIG sont légèrement repartis à la hausse sur la période 2023-2024. « La principale raison reste l’orientation des courtes peines vers des dispositifs de surveillance électronique », constate Amina Gachouche. Un constat partagé par Céline Bertetto, présidente de l’Association nationale des juges d’application des peines (Anjap).

Cette magistrate estime que la grande loi sur la réforme de la justice de 2019 a eu des effets contre-productifs sur les prononcés de TIG : « Avant cette loi, les tribunaux correctionnels condamnaient à une peine et notre métier consistait à l’aménager de la manière la plus appropriée, décrypte la juge d’application des peines. Désormais, dès que le tribunal aménage la peine, il se tourne à 92 % vers la solution du bracelet électronique. » « L’apparition des mesures alternatives permises par l’électronique a créé une forme de concurrence entre les peines, analyse le préfet Maurice Barate. La part du TIG demeure trop faible. » Au 1er août, les statistiques du ministère de la justice indiquaient que 16 119 individus condamnés faisaient l’objet d’une détention à domicile sous surveillance électronique de la justice, témoignant ainsi du caractère massif de cette peine. Mais pour Christian Mouhanna, sociologue des prisons, « le bracelet électronique est la solution de facilité ». « Quand on laisse un individu chez lui, le condamné n’est pas acteur de sa peine et de sa réinsertion », poursuit le chargé de recherche au CNRS.

Le dispositif de TIG souffre de la comparaison avec le bracelet électronique, car il demande une mobilisation accrue des services pénitentiaires. « Nous effectuons plusieurs rendez-vous avec les condamnés pour s’assurer que leurs profils correspondent aux lieux du TIG, aussi bien en matière de contraintes médicales que de capacités de mobilité », détaille Benjamin Yot, conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). Un tigiste demande plus de temps et de moyens alloués qu’un individu porteur d’un bracelet électronique. « Mais l’offre est plus engageante et fait office pour certains de premier contact avec le monde du travail », plaide Maurice Barate. Pendant longtemps, l’obstacle au développement du TIG a donc été de trouver des structures d’accueil. Aujourd’hui, le problème ne se pose plus. « Dans l’ensemble du département du Cher, nous avons ouvert 211 fiches de postes », se félicite Amina Gachouche. Sur le plan national, l’impulsion a été donnée par la création, en 2018, de l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (Atigip).

Malgré cette politique volontariste, les pratiques des professionnels de la justice doivent encore évoluer. « Les avocats se sont approprié certains types d’alternatives à l’incarcération et, parfois, ne plaident pas le TIG ou ne l’ont pas en mémoire », explique Amina Gachouche. En l’écoutant, Adrien réagit : « J’ai eu de la chance que mon avocat m’accompagne vers le TIG. » Bien que les structures d’accueil de tigistes ne manquent pas, les mentalités conservatrices persistent. « Il y a comme une peur commune. La structure pense que le tigiste va voler un stylo dès que les employés auront le dos tourné et le tigiste pense que c’est écrit TIG sur son front », schématise Benjamin Yot.

L’après-midi à la préfecture est bien avancé. Adrien s’ouvre peu à peu : « En arrivant, j’avais peur d’être mis dans une case, celle du gars qui a été condamné à du TIG. » Ses craintes ont vite été dissipées en rencontrant son tuteur, Pascal, le jardinier de la préfecture depuis vingt-quatre ans. « J’ai l’air d’un dinosaure, mais nous sommes très complices, assure le quinquagénaire. Chaque journée débute par de l’arrosage et se termine par un peu de potager. Qu’on soit bien clairs, je ne fais jamais faire à un tigiste ce que je ne veux pas faire. »

Depuis un an, Pascal a vu passer cinq tigistes, il loue un « dispositif humaniste ». Cela s’est toujours bien passé, hormis avec l’un d’eux qui a abandonné en cours de route. « Les pannes de réveil ont commencé à se succéder », raille-t-il. Adrien, lui, n’a plus que quelques heures de TIG à valider pour arriver au terme de sa peine. Il l’assure : « Toutes ces bêtises sont derrière moi. » Avant de partir, Amina Gachouche, l’encourage à sa manière : « Je vais être désagréable mais on veut plus avoir affaire à vous. Passez à autre chose. » Adrien opine du chef. Le jeune homme veut commencer une nouvelle vie et devenir routier à l’international.

(1) Le prénom a été modifié.

Hugo Forquès

la CROIX - le 16 septembre 2024

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