L’Institut pour la justice s’est posé la question des disparités entre l’accès aux soins en prison et dans le reste du pays.
Les prisonniers sont-ils les mieux soignés ?
— framafad paca corse (@WaechterJp) November 4, 2024
L’Institut pour la justice s’est posé la question des disparités entre l’accès aux soins en prison et dans le reste du pays. @leJDD pic.twitter.com/9rVttRHVsF
• CHARLOTTE D’ORNELLAS
Le 23 octobre dernier, un sondage Ipsos réalisé pour le Conseil économique, social et environnemental (Cese) révélait que la santé constituait « le premier sujet de préoccupation des Français ». Plus en détail, il révélait une inquiétude encore plus grande parmi les habitants d’agglomérations de moins de 20 000 personnes. En parallèle, l’accès aux soins des prisonniers est un sujet régulièrement évoqué dans les mondes associatifs, judiciaires et pénitentiaires que côtoie l’Institut pour la justice (IPJ). Une question est donc née : les prisonniers sont-ils mieux soignés, en France, que le reste des Français ? Pour y répondre, l’Institut a étudié le cas de dix-huit établissements pénitentiaires situés en Corse, en Isère, en Dordogne, dans les Yvelines, la Nièvre, le Tarn ou le Var… en les comparant à leurs territoires d’implantation. Deux ans d’analyses comparatives plus tard, le titre de cette étude est une réponse : « La santé en prison : l’injustice au détriment du grand public. » D’emblée, l’organisme démine : « Il ne s’agit pas de demander une réduction de soins pour les prisonniers […] mais d’y voir plus clair. En application des principes supérieurs de notre droit, il convient que chacun soit soigné convenablement, sans donner la préséance à certaines catégories de population. » A fortiori lorsqu’elles se sont rendues coupables d’atteintes au contrat social.
L’étude note d’abord deux injustices caractérisées, alors que le code pénitentiaire engage l’État à respecter des « conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population ». Premièrement, l’absence de participation des détenus, en fonction de leurs ressources, aux frais de santé. La loi prévoit bien une participation financière des détenus, mais l’IPJ explique qu’il s’agit d’une exigence virtuelle : « Un décret d’application était censé venir préciser les modalités d’application […] ; aucun texte n’a été adopté. » Résultat, « l’administration pénitentiaire prend en charge, pour la personne écrouée, le ticket modérateur », c’est-à-dire la partie des dépenses de soins qui reste à la charge des patients partout ailleurs en France ! Ensuite, l’étude note une autre injustice, à l’égard des étrangers en situation irrégulière cette fois-ci… Tout détenu, sans exception, est affilié au régime général de la Sécurité sociale. Et ce, même en situation irrégulière ! En prison, la condition de régularité du séjour ne s’applique pas, et il n’est pas nécessaire de solliciter l’aide médicale d’État (AME). En résumé, un étranger en situation irrégulière sera mieux loti, en matière d’accès aux soins, s’il a été condamné à une peine de prison.
En prison, le ticket modérateur est pris en charge
Plus largement, certains chiffres révèlent non pas un excès de soins pour les prisonniers, mais une « surreprésentation » relative de l’offre de soins en prison, comparativement aux territoires ruraux dans lesquels ces établissements sont souvent implantés. Le nombre de consultations en médecine générale, par détenu et par an, est par exemple de 7,39… contre 3,99 en moyenne dans le périmètre de l’établissement pénitentiaire ; il y a également plus du double de médecins en prison – 0,32 temps plein pour 100 habitants, contre 0,12 en population générale ; dix fois plus d’infirmiers ; deux fois plus de consultations pour soins dentaires, ainsi qu’une proportion de médecins psychiatres ou de psychologues « considérablement plus importante ». Forcément, insiste l’étude, ces chiffres appellent des nuances et des explications. Il y a paradoxalement, par exemple, des délais d’attente plus longs en prison, signes d’une population qui nécessite plus de soins que la population générale. « La sociologie de la population carcérale ainsi que les conditions de détention (par exemple, la suroccupation) expliquent des besoins de santé plus importants. Cela se vérifie surtout en matière psychiatrique (impact des conditions de détention) et dentaire (usage de stupéfiants) », décrypte encore l’IPJ. Reste que le discours consistant à déplorer un moindre accès aux soins en prison se trouve réfuté par l’étude minutieuse de ces dix-huit établissements.
Le rapport, enfin, tente de chiffrer le coût de cette prise en charge, malgré un manque de données actualisées. Un rapport sénatorial de la commission des finances le chiffrait à 360 millions d’euros en 2016. En tenant compte du nombre de détenus et de l’inflation, l’IPJ estime aujourd’hui qu’il se situe « entre 420 et 455 millions d’euros ».
LE JDD - le 3 novembre 2024