Retailleau veut faire sortir les associations des centres de rétention


DROIT DES ÉTRANGERS

La responsable rétention de la Cimade en Occitanie revient sur les récents propos tenus par le ministre de l'Intérieur, qui souhaite confier à l’Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), placé sous sa tutelle, le conseil juridique et social aux personnes retenues, aujourd'hui assuré par les associations d’aide aux migrants.


Une nouvelle loi immigrapour 2025 tout juste un an après le précédent texte sur le sujet salué comme une «victoire idéologique » par le RN. C'est l'annonce faite ce 13 octobre par la porte-parole du gouvernement, dans la droite ligne des propos tenus par le ministre de l'Intérieur dès sa prise de fonction.


Au lendemain de l’affaire Philippine, cette jeune étudiante dont le meurtrier présumé est un Marocain libéré d'un centre de rétention administrative (CRA) à défaut d'une délivrance par le Maroc du laissez-passer consulaire nécessaire à son expulsion, Bruno Retailleau s’en est pris, dans un entretien paru le 2 octobre dans le Figaro Magazine, aux associations qui oeuvrent dans les CRA.


Plus de 40 000 migrants en situation irrégulière sont enfermés chaque année dans ces établissements en vue de leur éloignement contraint. Des associations mandatées par l’État y effectuent une mission d'information et d'aide à l’exercice des droits auprès des personnes retenues. « Je considère que le conseil juridique et social aux personnes retenues dans les CRA relève de l’Office français de l'immigration et de l’intégration et non des associations, qui sont juge et partie », a accusé Bruno Retailleau dans Le Figaro Magazine.


Notre intervention s'effectue dans le cadre légal prévu par le Ceseda (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, Ndlr), en répondant à un appel d'offres », rétorque Julie Aufaure, responsable rétention pour la région de la Cimade, qui intervient au CRA de Toulouse.


« Un rôle de contre-pouvoir »


Dans une décision rendue en 2009 suite à un recours contre l'attribution d'un des lots du marché à un collectif considéré comme un faux nez du ministère, « le Conseil d'État a rappelé que l'exercice effectif des droits pour les étrangers dans les centres de rétention doit être confié à «des personnes morales présentant des garanties d'indépendance et de compétences suffisantes, notamment sur le plan juridique et social », rappelle Julie Aufaure. « Or l’Office n'est pas indépendant du ministère de l'Intérieur, puisque c’est son ministre de tutelle », pointe la représentante de la Cimade.

En ciblant les associations,Bruno Retailleau  entend qu'elles ont une responsabilité dans la remise en liberté des personnes retenues. «Mais nous n'avons aucun pouvoir de décision. Il y a des juges qui contrôlent le placement en rétention et les mesures d'éloignement. Nous n'intervenons que pour accompagner les personnes dans les démarches juridiques », insiste Julie Aufaure.


Restent que ces associations exercent un rôle de vigie capital dans ces lieux de privation de liberté. «Nous relevons et dénonçons parfois des pratiques abusives, comme des expulsions illégales, des enfermements de personnes gravement malades ou de personnes réfugiées. Il existe aussi, parfois, un recours abusif à l’isolement dans des conditions indignes quand il y a des problèmes dans les CRA. Sans parler des conditions de rétention : nous avons la mission de nous assurer que les conditions des personnes enfermées dans ces centres restent dignes », détaille la représentante de la Cimade. Un « rôle de contre-pouvoir de la société civile » qui dérange le ministre de l'Intérieur. C'est extrêmement problématique d’un point de vue démocratique. Notre liberté d'expression nous permet de témoigner de ce qu'il se passe à l'intérieur et la liberté d'expression est une liberté constitutionnel à laquelle une simple loi ne peut pas déroger », alerte Julie Aufaure. Quant à la volonté de Bruno Retailleau d'allonger la durée maximale de rétention à 210 jours (contre 90 actuellement), les associations estiment que c'est une mesure inutile : «On a pu constater sur les dernières années que ce n'est pas en allongeant la durée de rétention qu’on éloigne plus. En 2023, 81 % des expulsions ont eu lieu pendant les quarante-cinq premiers jours de la rétention », illustre la représentante de la Cimade, qui déplore « une nouvelle instrumentalisation de la rétention au profit d'une fuite en avant sécuritaire et répressive. »

Amélie Goursaud

La Marseillaise - le 25 octobre 2024

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