Communication du lundi 10 juin 2024 de Laurent Ridel, Inspecteur général de la justice, ancien directeur de l’administration pénitentiaire au ministère de la justice

Communication du lundi 10 juin 2024 de Laurent Ridel, Inspecteur général de la justice, ancien directeur de l’administration pénitentiaire au ministère de la justice sur la France pénitentiaire https://t.co/1pAKQBA9Xi
— framafad paca corse (@WaechterJp) June 20, 2024
Thème de la communication : Regard sur la France pénitentiaire
Synthèse de la séance

La prison est une institution sociale qui doit être assumée par la société. Elle n’est pas, par essence, bonne ou mauvaise. Elle est ce que la société en fait, en fonction des moyens attribués, des règles de fonctionnement définies et des objectifs assignés. Elle n’est pas à la marge de la société mais au cœur de celle-ci et contribue à préserver le contrat social et le pacte républicain.
L’administration pénitentiaire suit aujourd’hui plus de 260 000 personnes dont un peu moins de 78 000 sont incarcérées. Les autres (soit 180 000), appelés probationnaires, purgent leurs peines restrictives de liberté en milieu libre. Ces 260 000 personnes sont prises en charge par 103 Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation et 187 établissements pénitentiaires. Les personnes détenues sont pour une majorité écrasante des hommes (96%), relativement jeune (35 ans en moyenne). C’est une population fortement précarisée et fragilisée sur le plan familial et professionnel, au sein de laquelle les addictions et les problématiques psychiatriques sont sur-représentées. Les détenus sont en majorité de nationalité française. Si la durée du séjour a tendance à s’allonger (autour de 12 mois actuellement), les durées de détention sont très contrastées en fonction des peines prononcées. Le taux de détention en France s’établit autour de 110 pour 100 000 habitants – ce qui situe la France dans la moyenne du Conseil de l’Europe – mais contrairement à ses voisins, ce taux est en augmentation sensible ; tandis que le taux de probation français est de 265 pour 100 000 habitants, soit le deuxième taux le plus élevé en Europe de l’Ouest après l’Angleterre. La combinaison de ces taux permet de battre en brèche l’idée que la justice pénale en France serait laxiste. Le niveau de réponse pénale est parmi l’un des plus élevé d’Europe.
La difficulté éprouvée par la société française à assumer avec sérénité ses prisons, en tant qu’institution nécessaire à la préservation de l’équilibre social, peut se lire dans l’opposition entre le populisme pénal qui voit dans le délinquant une personne irrécupérable et l’angélisme pénal qui voit dans la prison un lieu d’arbitraire et le creuset de la récidive.
L’administration pénitentiaire est l’une des administrations qui a le plus évolué en l’espace d’une génération, notamment dans son rapport au droit. La prison était il y a encore quelques décennies quasiment en dehors du droit. Les détenus ont désormais des droits qu’ils peuvent faire valoir de façon très concrète. Par ailleurs, les métiers pénitentiaires se sont diversifiés et enrichis, reflétant les nouvelles missions confiées à cette administration. Une réforme statutaire permet aussi de rendre ce secteur plus attractif, l’enjeu de recrutement consistant un immense défi pour l’administration pénitentiaire avec le départ à la retraite de toute une génération de fonctionnaires et l’ouverture de plus de 50 établissements avec le plan 15 000 places de prison, annoncé par le président Macron.
Si la prise en charge de personnes détenues radicalisées a toujours existé, il existe aujourd’hui deux différences notables : le nombre élevé d’incarcérations en un temps réduit et le caractère prosélyte de cette population. En 2020, on comptait plus de 500 terroristes islamistes en prison, et 1000 détenus de droit commun radicalisés. Le modèle français de prévention de la radicalisation est aujourd’hui reconnu au niveau européen. Cette stratégie ambitieuse et pragmatique s’est appuyée sur 3 piliers : garantir en détention le respect des droits de personnes détenues, la mise en place d’une politique de lutte contre la radicalisation, la création du Service National du Renseignement Pénitentiaire.
Verbatim du communicant
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L’encellulement individuel, posé par la loi en 1875, a été solennellement réaffirmé par la loi « présomption d’innocence » du 15 juin 2000. Toutefois cette notion, très française, n’est toujours pas appliquée et un 6ème moratoire a été voté en 2022. La situation de surpopulation carcérale est un véritable fléau structurel qui contribue à dégrader les conditions de détention, à compromettre le sens et l’efficacité des peines et à aggraver la violence en prison. La politique visant à favoriser les mesures de probation ne s’est pas traduite par une baisse de la population carcérale, en vertu du phénomène qualifié d’« extension du filet pénal ».
Au vu des coûts humains mais aussi économiques (la construction d’une place de prison coûte entre 300 et 400 000 € et le coût de fonctionnement de la journée de détention est de 120 €), il est impératif qu’une réflexion apaisée et constructive soit engagée par l’ensemble des acteurs. Il est indispensable de sortir de cette facilité consistant à faire de l’emprisonnement la réponse simpliste aux problématiques complexes que d’autres institutions ont échoué à traiter

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ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES - le 10 juin 2024