TRIBUNAL CORRECTIONNEL D’AIX Bien connus des services de police, les prévenus ont été jugés pour avoir dirigé depuis les prisons de Luynes et du Pontet un réseau Ubershit établi à Marignane. Des peines de 9 ans et 6 ans de prison ont été requises.
TRIBUNAL CORRECTIONNEL D’AIX - Deux caïds accusés de gérer un trafic de drogue en cellule. Des peines de 9 ans et 6 ans de prison ont été requises. @laprovence pic.twitter.com/f5F8lNoqtf
— framafad paca corse (@WaechterJp) July 26, 2024
• Bettina MAITROT
Certains détenus ne semblent pas s’ennuyer en prison. Et poursuivent même leur trafic de stupéfiants depuis les geôles où ils continuent de structurer leur activité criminelle. Pour cela, il leur suffit d’un téléphone, assez facile à obtenir en détention, et d’un bon carnet d’adresses, souvent acquis par le passé. "Gérer un trafic en prison permet sans doute de devenir quelqu’un d’important et de respecté", relève la procureure de l’audience qui s’est tenue lundi à Aix.
Deux hommes bien connus des services de police étaient jugés, l’un présenté comme la "tête de réseau" de Marignane, l’autre comme son bras droit. Le premier, Kelim M., 31 ans, incarcéré pour trafic de stup, agissait depuis la prison de Luynes. Le second, Bouabdallah O., 33 ans, a été condamné à 20 ans de réclusion pour un braquage de bar-tabac qui avait mal tourné à Marignane en 2013. Un retraité qui voulait stopper la fuite des deux malfaiteurs, dont Bouabdallah O., avait été tué… Dans ce nouveau dossier, il opérait depuis la prison du Pontet, dans le Vaucluse. Les deux amis d’enfance comparaissaient pour des faits se déroulant du 1er décembre 2023 au 25 mars 2024, dans un trafic Ubershit de cannabis et de cocaïne établi à Marignane via les réseaux Signal et Snapchat.
Un renseignement anonyme
Tout était parti d’un renseignement anonyme désignant Bouabdallah. Ce tuyau affirmait qu’un homme se faisant appeler "Bob, Stylo Bic bleu, Jean-Pierre ou encore Charles Aznavour, en prison au Pontet pour un braquage qui avait mal tourné" était mêlé à un trafic depuis la prison. En jeu, un téléphone retrouvé dans sa cellule et des interceptions téléphoniques, dont les écoutes ont été retransmises au tribunal. "Oui, mon surnom c’est Bob, mais ça fait 11 ans qu’on m’appelle plus comme ça. Ce téléphone, je l’utilisais juste pour appeler ma femme, la rassurer. Cette puce est d’ailleurs au nom de ma femme mais je prêtais ce téléphone à une dizaine d’autres détenus", se défend Bouabdallah. Il persiste dans ses dénégations, crie au complot. "Mecroyez-vous assez bête pour lier un trafic au nom de ma femme ? J’aurais aimé me défendre contre les gens qui parlent sur moi. J’ai fait des jaloux qui utilisent des techniques de la rue pour me faire du mal de loin." En demande d’aménagement de peine, Bouabdallah semblait pourtant suivre le chemin de la réinsertion, jouant au théâtre, dans une pièce qui devait se produire au Festival d’Avignon qu’il n’a pu honorer, faute d’autorisation de sortie. Le prévenu était parallèlement en train de passer son permis poids lourds et avait intégré le milieu associatif en organisant des matchs de foot à destination de jeunes des quartiers… Via un autre renseignements anonymes, les autorités étaient ensuite remontées à Kelim, incarcéré à Luynes. Au cours de l’enquête, plusieurs membres du réseau l’avaient également accusé. Depuis le box, Kelim ne nie pas, mais nuance : "Oui, c’est moi qui aie créé ce réseau mais je me suis fait arrêter, j’ai pris 5 ans le 8 février 2023. Je me suis fait prendre avec de la marchandise et depuis, je dois de l’argent, 45 000¤, à ceux qui ont repris le réseau."
J’ai pris une peine de tueur, 11 ans en tout, alors que je suis juste un commerçant.„
Joe Dalton, Nicolas Cage, Bruce Willis… Lui, se faisait surnommer selon les téléphones. Fabrice le BG, Fabrice le Retour, aussi. Cela le fait sourire. "Oui, Fabrice, c’était une petite dédicace à un policier de la Bac de Marignane qui me connaissait bien (…). Quand le réseau marchait bien, il rapportait 3 700¤par jour, les jours normaux, environ 1 000¤. J’étais un intermédiaire depuis la prison, pour rembourser. Je trouvais un livreur par ci, par là, soupire-t-il. J’ai pris une peine de tueur, 11 ans en tout, alors que je suis juste un commerçant." La présidente tique. "Mais la cocaïne et le cannabis, c’est pas tout à fait autorisé !""Vous savez, beaucoup de gens fument, même dans la police, répond-il. Me faites pas passer pour un tueur à gage, j’ai tué personne. On est à Marignane, pas à Marseille. J’aurais dû me mettre dans le CBD". La procureure rappelle que le trafic de stup "alimente des guerres de territoire sanglantes", avec "une montée en puissance d’une barbarie dirigée envers les jeunes charbonneurs" . Elle demande 9 ans pour Kelim, 6 ans pour Boubdallah.
Pour les deux conseils des prévenus, beaucoup de choses clochent dans ce dossier. Me Lusinchi, pour Kelim, relevait d’ailleurs en début d’audience quelques exceptions de nullités, notamment à propos de ces curieux renseignements anonymes, "ces visages sans nom, fil d’Ariane de cette enquête". Me Mori-Cerro, pour Bouabdallah, se montre quant à elle agacée par cette procédure. "Je la trouve déloyale, presque malhonnête dans son procédé. On a tant parlé de ce renseignement anonyme sans l’ombre d’une audition, a minima en présence du conseil. On fait rentrer des ronds dans des cases en s’abstenant de toute vérification." Me Lusinchi enchaîne : "C’est gênant, 9 ans. Il doit de l’argent. Que va-t-il faire ? Mettre du parfum en bouteille aux ateliers de Salon-de-Provence pour un salaire de misère ? Puis faire des petits virements à ses créanciers ? Ceux à qui il doit de l’argent ne vont pas attendre pour venir le tuer." Après six heures d’audience, la décision a finalement été mise en délibéré au 31 juillet.
On a tant parlé de ce renseignement anonyme sans l’ombre d’une audition, a minima en présence du conseil.„
La Provence - le 24 juillet 2024