IL EST LOIN LE TEMPS où, tout juste nommé place Vendôme, Eric Dupond-Moretti était accusé d’être « le ministre des prisonniers ». Le 14 mai dernier, après l’évasion sanglante de Mohamed Amra au cours de laquelle deux agents pénitentiaires sont tués, c’est le garde des Sceaux qui prévient lui-même les familles des victimes. Des coups de téléphone qu’il n’oublie pas.
Eric Dupond-Moretti, bienveillant ministre de l’administration pénitentiaire
— framafad paca corse (@WaechterJp) June 5, 2024
Le garde des Sceaux prévient lui-même les familles des victimes. Des coups de téléphone qu’il n’oublie pas. @lopinion_fr pic.twitter.com/fMadboqZdn
« Acquitator », l’avocat pénaliste mal vu par les forces de l’ordre, a vite compris qu’on ne dirigeait pas le ministère de la Justice contre l’administration pénitentiaire. Un Etat dans l’Etat, 43 000 agents dont 30 000 surveillants, un budget de 3,9 milliards d’euros, souvent accusé de se tailler la part du lion dans l’enveloppe Justice. La surpopulation carcérale chronique est devenue un sujet explosif sur les groupes WhatsApp de surveillants. Avant même l’attaque du commando au péage d’Incarville mi-mai, la chancellerie surveillait la pénitentiaire de près, voulant à tout prix éviter un « été chaud » dans les prisons en pleins JO. Pas question de laisser grimper dans le rouge ce baromètre sécuritaire.
Au lendemain du drame, les organisations syndicales obtiennent un tour de vis. Protection des agents et des voitures, organisations des escortes, dotation en armes, développement des auditions en visio pour limiter les déplacements ? Accepté !
Pistolets Taser. Des demandes plus larges sont aussi actées. Limitées par la jurisprudence européenne, les fouilles à corps pourraient redevenir plus systématiques, explique Emmanuel Baudin, secrétaire général de FO Pénitentiaire, qui assure que c’est une parade contre l’entrée de téléphones portables. La possibilité de doter chaque prison d’un chien dressé pour détecter les stupéfiants est également explorée. « Quand des agents fouillent des cellules pour chercher de la drogue, cela peut prendre des heures, note un surveillant. Avec des chiens, cela ne dure que quelques minutes. L’utilisation de pistolets à impulsion électrique, type Taser, est encore sur la table. « Quand un détenu se rebelle et qu’il faut que trois agents se jettent sur lui, ce serait utile ! », juge le même surveillant. Une évolution contestée cependant tant le fait d’armer les agents peut se retourner contre eux.
Depuis le 1er janvier 2024, la revalorisation des métiers est en marche. « Les concours font le plein. C’est historique », assure Emmanuel Baudin. Désormais, c’est la question délicate de la circulation de l’information entre les magistrats, destinataires des écoutes réalisées en prison, et l’administration pénitentiaire qui est en jeu. Eric Dupond-Moretti a saisi l’Inspection générale de la justice. « Du temps a-t-il été perdu ? Le cadre légal doit-il être revu ? », s’interroge-t-on à la Chancellerie. Aux inspecteurs de déterminer les responsabilités. Soupçonnée par les surveillants d’avoir fait de la rétention d’information, la JIRS ( juridiction interrégionale spécialisée) de Marseille, qui enquêtait sur Mohamed Amra, fera l’objet d’une attention particulière. C’est contre des magistrats de cette JIRS que le ministre a récemment tenu des propos musclés, et très critiqués par le monde judiciaire.
Limitées par la jurisprudence européenne, les fouilles à corps pourraient redevenir plus systématiques
L’Opinion - le 4 juin 2024