Décider de l’emplacement d’une prison est une chose, savoir la construire en est une autre. Au cours de ces trois dernières années, la Chancellerie a ouvert plusieurs établissements, conformément à la volonté de l’État d’accélérer et de dynamiser la construction de places de prison. Au risque de mal faire, pénalisant ces sites, les détenus et le personnel pénitentiaire.
Oublis, malfaçons… Dans le quotidien ubuesque de ces enceintes mal construites
— framafad paca corse (@WaechterJp) November 20, 2024
Décider de l’emplacement d’une prison est une chose, savoir la construire en est une autre. @Le_Figaro pic.twitter.com/QeJ7RsdeT2
• Paule Gonzalès
Le cas du centre pénitentiaire de Mulhouse en est un exemple. Trois ans après le transfert de tous les détenus des vieux établissements de la ville, mais aussi de Colmar, la nuit du 11 novembre 2021, on ne compte plus les dysfonctionnements graves qui entravent le quotidien de cette nouvelle prison, conçue pour 560 détenus, mais qui en compte déjà plus de 700. Sébastien Viol, représentant du personnel pour l’Ufap-Unsa, détaille les aberrations, comme ces « fenêtres dont les vitres se descellent à la fourchette et au coupe-ongles pour faciliter les livraisons par drone jusque dans les cellules ». « Dans la nuit de jeudi à vendredi, nous avons trouvé 400 grammes de cannabis et 40 téléphones, précise-t-il. À raison d’un téléphone pour deux ou trois détenus, nous estimons que 400 téléphones circulent dans la détention. »
Le constructeur a par ailleurs omis d’« équiper de barreaux les fenêtres des quartiers femmes et des quartiers “confiance” (au régime carcéral allégé, NDLR), ajoute le syndicaliste en regrettant aussi que, au quartier disciplinaire des femmes, une des cellules n’est toujours pas équipée en chauffage ». Les extérieurs ne valent pas mieux, selon lui : « Les grilles qui entourent le chemin de ronde de l’établissement montent à seulement 1,20 mètre, ce qui permet à n’importe qui de s’y introduire sauf aux véhicules armés (plus hauts) qui font leur ronde : les surveillants doivent en descendre pour manœuvrer et pouvoir passer. »
Quant aux éclairages périmétriques, ils dysfonctionnent depuis l’ouverture de la prison. « Ils ont choisi de mettre des LED, mais, au lieu de les brancher sur du courant continu, ils l’ont fait sur du courant alternatif, explique Sébastien Viol. Au mieux nous sommes en mode sapin de noël, au pire, nous avons des mètres de guirlande éteinte. Par ailleurs, la peinture qui recouvre les murs en béton a déjà sauté. Sous l’effet des pluies, le béton est tout imbibé et cela fuit au niveau des unités sanitaires. Enfin, les portes d’entrée du parking des personnels restent régulièrement ouvertes. Autrement dit, le domaine pénitentiaire est ouvert à tous ». En revanche, le syndicaliste se réjouit qu’enfin, après trois ans d’existence, des travaux soient en cours « pour supprimer les cours traversantes : vous imaginez, emmener un détenu au quartier disciplinaire en traversant des cours de promenade ? ».
Ce florilège de malfaçons n’est pas circonscrit à la seule prison de Mulhouse. Le récent centre de détention de Troyes-Lavaux, d’une capacité de 476 places, inauguré le 25 octobre 2023 par Éric Dupond-Moretti, en est victime aussi. Contrairement à Mulhouse, l’arrivée des détenus s’était faite de manière perlée. De quoi cacher au garde des Sceaux des pans entiers du bâtiment - le quartier disciplinaire et le quartier d’isolement -, inondés à cause d’infiltrations d’eau massives, sans compter l’absence d’évacuation au sol. Le personnel, lui, doit se battre contre les problèmes d’électro-serrures qui perturbent toutes les circulations au niveau des postes d’information et de contrôle. À cela s’ajoutent les dysfonctionnements des caméras ainsi que des problèmes récurrents de serrures.
La palme des malfaçons revient cependant à Fleury-Mérogis. Pour alléger la surpopulation de la plus grande maison d’arrêt d’Europe, l’administration pénitentiaire a sacrifié son quartier pour mineurs afin de le transformer en centre de détention. Des années de travaux et de réhabilitation après, et 57 millions d’euros dépensés, le voici qui ouvre en septembre 2023. Mais, un an après, c’est l’échec cuisant : le nouveau bâtiment ferme pour une durée indéterminée. Les 88 détenus arrivés en avril - sur les 150 places prévues - repartent vers la maison d’arrêt. « Les marches à blanc sont raccourcies et les levées des réserves se font trop vite du fait de la surpopulation carcérale. Ce n’est donc qu’après coup que l’on découvre les malfaçons qui seront à la charge de l’administration pénitentiaire », souligne Augustin Luckenson, secrétaire général de l’Union régionale de l’Ufap-Unsa surveillants pénitentiaires. À Fleury, c’est le système d’eau et de chauffage qui rend impossible la vie en détention, à l’approche de l’hiver. Toutes les canalisations sont à refaire. « L’État bute souvent sur la difficulté de sélectionner des entreprises sérieuses, capables de respecter les cahiers des charges contraignants de l’architecture pénitentiaire. Surtout depuis la crise du Covid », souligne Augustin Luckenson, qui dénonce « des mercenaires venus gagner de l’argent et qui disparaissent aussi vite qu’ils sont venus ». P. G.
Le Figaro - le 19 novembre 2024