Entre l’État et les élus, le bras de fer sans fin pour construire de nouvelles prisons

Promesse d’Emmanuel Macron, l’objectif des 15 000 places supplémentaires en 2027 ne sera pas atteint. Dans les régions où la surpopulation carcérale atteint des niveaux critiques, les projets d’établissements pénitentiaires font l’objet de fortes oppositions.


• Paule Gonzalès

Mon premier est une promesse de campagne renouvelée de quinquennat en quinquennat. Mon second est une grande annonce solennelle d’Emmanuel Macron, la main sur le cœur, en 2018. Mon troisième est une « opération vérité » signée Didier Migaud qui n’a pas l’intention de porter le chapeau d’un échec annoncé. Mon tout est un plan de construction de places de prison qui n’atteindra jamais les 15 000 unités en 2027, comme promis. « Je ferai des propositions au premier ministre pour que nous puissions rattraper pour partie ce retard, mais on ne le rattrapera pas d’ici à 2027 », a indiqué le garde des Sceaux, la semaine dernière, évoquant « des difficultés foncières » et « des oppositions de la part d’élus » pour voir sortir de terre ces nouvelles structures.


Si l’on peut espérer que les travaux en cours dans huit établissements pénitentiaires iront à leur terme, rien n’est moins sûr pour les vingt autres opérations du plan «15 000 ». Parmi elles, cinq nouveaux établissements sont en phase d’études de conception, dix projets sont encore soumis à l’appel d’offres « constructeurs ». Enfin, cinq autres restent au stade de l’étude préalable, avec 1 613 places qui pourraient être fauchées par l’aggiornamento ministériel à venir. Depuis 2017, seules 4 465 places de prison ont été construites en France. Loin des 7 000 places voulues par Nicolas Sarkozy - stoppées un temps par Christiane Taubira - auxquelles Emmanuel Macron avait ajouté ambitieusement 8 000 unités. Sans oublier 3 000 places déjà existantes à réhabiliter.


En attendant, la surpopulation, qui bat chaque mois des records, écrase les maisons d’arrêt, devenues des lieux de vie et de travail indignes pour les détenus et le personnel pénitentiaire. Au 1er octobre, la densité carcérale atteignait 127,9 % en France (79 631 détenus pour 62 279 places opérationnelles), dont 155 % en maisons d’arrêt. En Île-de-France, celles de Fresnes et Bois d’Arcy culminent respectivement à 178 % et 186 %.

À Nice, la situation est encore plus critique (198 %). Au grand dam d’Éric Ciotti, qui décrivait, à l’occasion de sa dernière visite dans l’établissement il y a quinze jours, « les 9 douches pour 600 détenus, vertes de moisissure, les filets antiprojections troués, par où passent cannabis, viandes et téléphones portables. » « Nous avons pataugé dans l’eau à cause des fuites », s’indignait l’élu niçois, qui pointe du doigt Christian Estrosi. Selon lui, le maire de Nice pratique « un double jeu, en rendant impossible depuis plus de dix ans maintenant la construction d’une nouvelle prison à Nice. » « On n’a cessé de jouer au ping-pong. Tous les terrains proposés, comme celui de Saint-Laurent-du-Var, ont été refusés pour des raisons électoralistes, dénonce l’ex-président des Républicains. Les solutions proposées sont dilatoires - car les emplacements proposés sont trop loin - ou pas adaptées, comme le surélèvement de la prison existante qui date de 1897. J’ai moi-même proposé le doublement de la prison de Grasse, mais, cette fois-ci, c’est la Chancellerie qui n’en a pas voulu ».

Au cabinet du maire de Nice, on s’insurge : « Nous avons proposé des dizaines de terrains, tous refusés sans que jamais la direction de l’administration pénitentiaire ne fasse de propositions. Or Nice n’est ni la Corrèze ni la Lozère et l’immobilier est ici très rare. C’est une inversion totale des rôles, car les prisons dépendent de l’État, à eux donc de proposer. Nous sommes à la disposition du ministre pour aborder ce sujet important qui ne fait plaisir à personne, mais qui est nécessaire pour la bonne exécution de la justice. »

Place Vendôme, les gardes des Sceaux se succèdent mais les bons connaisseurs du dossier n’en démordent pas : « Nous sommes en partie victimes de la guerre entre Ciotti et Estrosi, chacun proposant des terrains sur le territoire de l’autre, histoire de se savonner la planche électorale mutuellement. Or une nouvelle prison à Nice est une nécessité absolue ».

Également en urgence absolue, l’Île-de-France, première région criminogène du pays. Sur son territoire, 10 000 places de prison réparties entre huit centres pénitentiaires : Bois-d’Arcy, Fleury-Mérogis - première prison d’Europe -, Meaux-Chauconin-Neufmontiers, Nanterre, Osny-Pontoise, Paris La Santé, Villepinte et Fresnes. Un maillage très largement insuffisant face à une délinquance galopante, avec des manques géographiques cruels. « Il n’y a plus de mots pour exprimer l’urgence. Les politiques ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, qu’il soit administratif ou citoyen », note une source judiciaire désabusée.

Quatre projets sont dans les cartons de la Chancellerie. Certains font l’objet d’âpres négociations et de vraies tensions entre le ministère et les élus locaux. Parmi eux, les maires des villes concernées mais aussi Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France. « Comme d’autres élus de droite, elle joue un double jeu en refusant systématiquement les localisations que nous proposons, notamment à Magnanville et à Noiseau », s’agace-t-on dans les couloirs de l’administration pénitentiaire.

Deux projets d’envergure font l’objet d’un bras de fer sans merci : un centre pénitentiaire de 700 places à Magnanville, dans les Yvelines, et un autre de 800 places à Noiseau, dans le Val-de-Marne, supposé délester une prison de Fresnes au bord de l’implosion. « Tous ces élus de droite s’affichent pro-prison et pour le tout-autoritaire, mais en vérité, personne ne veut jamais de prison sur son territoire. Ce n’est pas vendeur électoralement », analyse-t-on, crispé, au sein de la Pénitentiaire.

« C’est faux », martèle Valérie Pécresse qui rappelle que, depuis 2020, la région a investi pas moins de 9 millions d’euros « afin de financer la construction, la rénovation et la sécurisation des établissements pénitentiaires ». Par ailleurs, poursuit-elle, « la région a inscrit la création de 3 000 places dans son dernier schéma directeur environnemental (SDRIF-E) et nous sommes d’accord pour artificialiser les terres et construire de nouveaux établissements. Cela figure dans nos documents d’urbanisation. Mais je prends aussi mes responsabilités en termes de localisation. Les services de l’État, qui savent que la prison est mal ressentie par la population, ferment systématiquement les écoutilles, prennent leur décision dans leur coin et décident seuls sans consulter ou informer les élus, alors que nous sommes en charge de l’aménagement du territoire ».

Sa responsabilité s’est traduite, le 12 septembre dernier, par une motion de tous les élus « marquant l’opposition de la région au projet de prison de Noiseau et la nécessité de trouver un site alternatif au projet de Magnanville, le site actuel n’étant plus cartographié au SDRIF-E ».

« C’est absurde, note un directeur d’établissement, une prison dynamise les localités par l’activité humaine qu’elle suscite ». À Noiseau, le maire LR Yvan Femel, n’est pas du même avis : « Jamais les surveillants de prison, qui travaillent dans un contexte de menaces, ne s’installent sur place. En termes de dynamisme économique, nous n’avons que des désagréments et des nuisances. » Et de poursuivre : « C’est de la maltraitance d’élus. Il y a six ans, Nicole Belloubet est venue, nous a montré un gros point rouge sur la carte. C’était Noiseau, site choisi sans aucune étude préalable, sans concertation alors que nous avons des problématiques environnementales très fortes : 20 hectares de terres cultivées qui seront retirées à des agriculteurs, qui vont perdre 12 % à 15 % de leurs revenus et que l’on n’indemnisera pas, car ils ne sont pas propriétaires. Des pleins champs à proximité d’une forêt domaniale riche en biodiversité, avec des vestiges du XVIIe siècle et des problématiques hydrauliques importantes, car il y a de l’argile. L’artificialisation posera des problèmes de ruissellement inévitablement. »

Le maire le jure : « Bien sûr, je suis pour la construction de places de prison, mais pourquoi tape-t-on toujours sur les mêmes ? Avec 4 600 habitants, notre commune ne peut être que déstabilisée. Pour permettre à 800 délinquants d’être proches de leur famille, on pénalise en réalité 20 000 personnes. » « Je connais pourtant des maires ailleurs en France qui demandent d’accueillir une prison, mais ils n’ont pas assez de délinquants pour cela, grince l’élu, qui indique avoir toute la population derrière lui. En février 2023, nous avons fait une réunion de concertation. 600 concitoyens étaient présents, mais aucune de nos propositions n’a trouvé d’écho auprès du gouvernement ».

En juin dernier, le préfet a imposé un programme d’intérêt général qui oblige les collectivités locales et la région à modifier le plan d’urbanisme local. Direction, donc, le tribunal administratif. « Ça va durer », prévient Yvan Femel. Valérie Pécresse, elle, propose une extension et une reconstruction de Fresnes. Une aberration pour les services de la Chancellerie. « Le domaine pénitentiaire de Fresnes n’est pas extensible ! On ne va pas construire un immeuble de grande hauteur pour accueillir des détenus ! », s’énervent de bons connaisseurs du dossier.

À Magnanville, la situation est d’autant plus tendue que la commune est à jamais marquée par l’attentat terroriste contre un couple de policiers en 2016. Le projet a ravivé le traumatisme au point de mettre les habitants dans la rue, emmenés par l’association « Tous contre la prison » et par un maire solidaire, Michel Lebouc. « Ce n’est pas vrai que nous sommes atteints du syndrome du “Pas chez nous”, explique l’édile. Mais que penser d’un établissement pénitentiaire qui se situerait à une encablure d’un lycée de 1 400 élèves, à 150 mètres d’habitations et à 300 mètres du cœur de ville ? En sachant qu’une prison induit des nuisances de mobilité avec les familles qui vont et viennent et les complices qui font des projections d’objets divers vers les cellules. Tout l’échiquier politique est de mon côté, de Gérard Larcher à Sophie Primas désormais ministre (Commerce extérieur, NDLR). »

« J’ai eu le courage de dire aux élus et à tous les maires qu’il fallait une maison d’arrêt dans le Mantois, alors qu’il existe déjà les établissements de Porcheville et Poissy, reprend de son côté Valérie Pécresse. J’ai fait valoir le fait que ce département était bien desservi par l’autoroute, ce qui facilite les déferrements. Mais avec toutes les friches industrielles qui existent, avait-on besoin d’installer un centre pénitentiaire de 700 places en face d’un lycée ? Je fais donc la part des choses entre mauvaise décision et impopularité. » La présidente de la région Île-de-France a reculé sur un autre dossier. Celui de la petite commune rurale de Crisenoy où devrait être construit un centre pénitentiaire de 1 000 places pour remplacer celui de Melun, vétuste et situé en zone inondable.

François Isensi, le maire communiste de Tremblay-en-France, n’a fait lui aucune histoire pour l’extension de la maison d’arrêt de Villepinte ; soit 542 places supplémentaires, et plus de 1 000 détenus hébergés : « Je suis pour les maisons privatives de liberté, car il faut que la société se protège, parce qu’une surpopulation de 200 % est inadmissible et parce que je crois à la seconde chance. J’ai posé plusieurs conditions, dont le nom, celui de “Prison de Seine-Saint-Denis”, pour épargner la commune. Mais ce n’est pas de mon fait si cela traîne depuis huit ans. Je crois que l’État est en butte à la loi sur l’artificialisation des sols. Je ne sais pas comment ils vont régler tout ça. »

Car les normes de construction de prison sont si contraignantes que les services de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, comme les entreprises de bâtiment, s’y perdent. La Chancellerie rappelle que tout projet nécessite impérativement « une superficie de 15 à 20 hectares pour assurer un glacis avec une largeur minimale de 400 mètres. Le terrain doit être plat, sans dénivelés, pour éviter les vues plongeantes de l’extérieur. Il faut être éloigné des habitations et à bonne distance des dessertes d’autoroute, mais à proximité des tribunaux et des gendarmeries. Il faut pouvoir se raccorder à l’eau, à l’électricité, et à l’assainissement, ne pas être en zone inondable, ni proche d’un aéroport ou d’un site Seveso ». À cela s’ajoutent les règles sur l’artificialisation des sols qui obligent à compenser les terres perdues, recréer des espaces protégés pour éviter les pertes nettes de biodiversité. « Nous sommes obligés d’acheter les terrains de compensation avant les terrains principaux », rappelle-t-on à la Chancellerie.

En Guyane, personne ne s’est jamais opposé à la construction d’un nouvel établissement pour délester le centre pénitentiaire de Remire-Montjoly, proche de Cayenne. Mieux encore, le terrain a été trouvé, à Saint-Laurent-du-Maroni, les arbres coupés, le lieu terrassé. Mais sous le ciel changeant de Guyane, la nature reprend vite ses droits et « aucuns travaux ne commenceront avant le deuxième trimestre 2025 », indique Steve Bertrand, représentant syndical de l’Ufap-Unsa. « C’est qu’ici, il est très difficile de trouver des entrepreneurs. Et à cause de la saison des pluies, on ne peut rien faire pendant des périodes de quatre à six mois », souligne cet expert pénitentiaire. Pendant ce temps, les gangs de narcotrafic venus du Brésil prennent possession de la seule prison de Guyane pour étendre leur toile. P. G.


Le Figaro - le 19 novembre 2024

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