France Travail a organisé une rencontre entre des entreprises qui peinent à recruter et des détenus. Trouver un emploi est une étape clé du processus de réinsertion.
« On voit de bons profils » : quand les employeurs recrutent en prison
— framafad paca corse (@WaechterJp) June 25, 2024
France Travail a organisé une rencontre entre des entreprises qui peinent à recruter et des détenus. Trouver un emploi est une étape clé du processus de réinsertion. @Le_Figaro pic.twitter.com/XcghtANbza
• Louise Darbon
Oui, nos bureaux sont à côté de la Poste, vous situez ? », « Ah, vous avez apporté un CV ? C’est bien… » Entre les stands installés sous de petites tentes blanches aux pans relevés, les entretiens informels se succèdent, autour des grands kakémonos qui accueillent et guident les participants. Un salon de l’emploi à l’apparence, somme toute, très classique. « Et, à votre sortie, vous serez véhiculé ? » Certaines questions attirent l’oreille. Car, cet après-midi-là, les recruteurs adaptent leur discussion au profil quelque peu particulier de leurs potentiels candidats. Ce mardi de juin, c’est en effet dans l’enceinte de la maison d’arrêt de Draguignan que France Travail organise une « Place de l’emploi » à destination des détenus.
Un événement pour « aller vers les populations éloignées de l’emploi », explique Lidwine Bori, directrice de l’agence France Travail de la commune du Var. Organisé habituellement dans les « quartiers prioritaires de la ville » ou les zones rurales, ce « forum » se décline ce jour-là en milieu carcéral. « L’emploi est la meilleure arme contre la récidive », avance Florence Boulet, la directrice de l’établissement, pour résumer l’esprit de l’initiative. Ils sont, ce jour-là, nombreux à s’être déplacés pour apporter un peu du monde extérieur dans ce monde fermé. « Ça n’est pas forcément simple à organiser, c’est sûr, notamment en termes de sécurité », sourit Lidwine Bori, qui se réjouit néanmoins d’être parvenue à faire venir une petite dizaine de recruteurs potentiels, en plus des structures d’insertion et des partenaires tels que la mission locale ou l’Association varoise pour l’intégration par l’emploi.
Sous le soleil provençal, les bâtiments colorés de cet établissement inauguré en 2018 s’étendent entre des massifs de verdure et des petits jardins fermés. Seuls les épais barbelés protégeant les murs et les grillages rappellent l’univers carcéral au visiteur invité à laisser à l’accueil sac, téléphone et ordinateur avant le passage sous le portique de sécurité. Il est aux alentours de 13 heures lorsque les premiers détenus volontaires pénètrent dans le gymnase de la prison, pour aller à la rencontre des employeurs venus cet après-midi-là. Au fond de la salle, un attroupement se crée immédiatement autour d’un homme en treillis, installé devant son stand. À la grande satisfaction de la directrice de l’agence France Travail, la Légion étrangère a répondu présente avec enthousiasme.
« Nous sommes la seule armée à ne pas demander de casier judiciaire vierge à nos recrues. Au contraire, l’idée de la seconde chance, c’est l’ADN même de la Légion », explique fièrement l’adjudant-chef Bertrand, entre deux entretiens. Francis* est de ceux qui se sont dirigés directement vers le militaire. « C’est un truc que je voulais déjà faire avant. Mais j’ai fait des bêtises, donc, bon, je me retrouve là… », raconte avec un sourire gêné ce jeune homme vêtu d’un t-shirt rouge et d’un pantalon bleu, uniforme des détenus qui travaillent pour le compte de la prison - à la cuisine ou au ménage. Sur les 600 reclus qui occupent les murs, ils sont 150 à avoir une activité - soit en travaillant pour les services de l’établissement, soit au bénéfice d’entreprises qui installent des ateliers au sein même de la prison.
Une fois libre, le garçon de 22 ans compte bien tenter l’engagement militaire, lui qui, sans cette « Place de l’emploi », n’aurait pas su que les portes de l’armée lui seraient toujours ouvertes à sa sortie. « C’est une très bonne initiative, parce que la juge d’application des peines nous demande d’avoir un projet, et même une promesse d’embauche, si on veut un aménagement de peine, donc c’est bien, ce genre de choses », se réjouit-il.
« Quand les détenus déposent une demande d’aménagement de peine, ils doivent convaincre le juge qu’il n’y aura pas de récidive, et le fait d’avoir un projet professionnel est un vrai plus », résume Amélie Coste, la directrice du Service pénitentiaire de réinsertion et de probation (le SPIP) en « milieu fermé », chargé de préparer la réinsertion des détenus dès leur entrée en détention. Elle se réjouit de la tenue de l’événement. « Ça permet de mettre du concret dans ce qu’on fait », souligne-t-elle. Préparation de CV, lettres de motivation ou entretiens d’embauche, tous les acteurs de la réinsertion travaillant au sein de la prison ont préparé les quelque 140 volontaires à ce moment un peu exceptionnel. Même les détenus du quartier psychiatrie, ou ceux encore dépendants à la drogue, pouvaient participer à l’événement… mais sans se mélanger aux autres.
La maison d’arrêt de Draguignan étant « une petite société », selon les mots de la chef d’établissement, elle compte aussi une petite école pour ceux qui le souhaitent. Cours de français, mathématiques ou même anthropologie… Les détenus peuvent se former durant leur incarcération. Attenants au gymnase, des plateaux techniques - petits jardins fermés de hautes grilles - permettent ainsi aux résidents d’apprendre à devenir ouvriers du paysage et de production horticole.
Une voie que n’a pas choisie Vincent, un jeune homme de 23 ans derrière les barreaux depuis quatre ans déjà, mais qui s’apprête à retrouver la liberté dans quelques mois. « Je suis supercontent, j’ai parlé au GEIQ qui propose de passer un diplôme de cuisinier », lance-t-il, dévoilant un large sourire édenté. Le GEIQ avenir, un groupement d’entreprises, s’associe en effet à un CFA local pour proposer des contrats de professionnalisation en neuf mois. Une option dont pourraient bénéficier 5 détenus rencontrés par le GEIQ durant l’événement.
Si les détenus ont fait part de leur satisfaction aux services pénitentiaires, les entreprises elles aussi y trouvent leur compte. « Nombre d’entre elles réembauchent des détenus qui travaillaient chez elles avant leur incarcération, simplement après avoir suspendu le contrat le temps de la détention, constate Amélie Coste. Globalement, elles sont de plus en plus ouvertes à embaucher d’anciens détenus. »
« C’est un moyen pour les entreprises de faire de la RSE, ça leur donne une dimension sociale et sociétale aussi », avance Lidwine Bori. « Ça fait vraiment partie de l’engagement sociétal de notre entreprise », confirme ainsi Maëva Marmorato, chargée de mission en ressources humaines chez Pizzorno Environnement, une grosse entreprise de la région spécialisée dans le traitement des déchets, dont le siège est implanté à Draguignan.
Mais, au-delà de son statut d’entreprise à mission, Pizzorno Environnement rencontre aussi - comme beaucoup de ses pairs - des difficultés de recrutement. « Cela fait des mois qu’on cherche un mécanicien poids lourd, et le monsieur que je viens de voir correspond exactement au profil que je recherche, se réjouit ainsi Maëva Marmorato. Mais bon, on devra attendre qu’il sorte… »« Tous nos clients ont du mal à recruter », constate de son côté Marie Billy, chargée de recrutement chez R intérim, installée quelques tables plus loin. « Ce genre d’événement est donc un moyen d’étendre notre vivier de candidats - même si pour certains, on devra attendre leur libération », sourit celle qui, confiant sans en dire plus être issue d’un « parcours atypique », « trouve ça super de pouvoir leur offrir une nouvelle chance ». Quant à ses clients, « on ne leur dit pas d’où viennent les intérimaires, c’est leur histoire, c’est à eux d’en parler ». Un principe du droit à l’oubli respecté également par France Travail. Raison pour laquelle il existe peu de statistiques sur le taux d’emploi après la sortie de prison.
Une chose est sûre, « plus de 60 % des personnes libérées sans aménagement de peine et sans travail en amont sur le projet professionnel sont de nouveau condamnées dans les cinq années qui suivent leur sortie, explique Lidwine Bori. La lutte contre la récidive passe donc en grande partie par l’emploi ». C’est de cette certitude qu’est née la convention entre l’administration pénitentiaire et France Travail, concrétisée par la présence trois jours par semaine d’une conseillère France Travail justice au sein de la prison. « Je travaille à temps plein pour l’établissement pénitentiaire », précise Anna Flerick, qui est l’interlocutrice privilégiée du SPIP.
Si la réinsertion passe par l’emploi, elle est aussi conditionnée à d’autres facteurs, souligne cette conseillère justice. Les détenus sont ainsi accompagnés par les partenaires de la prison dans leur recherche de logement ou même dans leur parcours de soins, notamment pour ceux souffrant d’addictions. « La suite n’est pas évidente à préparer, car la prison est une expérience marquante : j’ai déjà vu un détenu récidiviste m’avouer avoir fait exprès de revenir ici parce qu’il n’avait pas supporté le retour à la liberté », se souvient Anna Flerick.
Résultat de cet après-midi peu habituel : un concessionnaire de camping-cars présent prévoit d’embaucher un détenu proche de la sortie en CDI, pour un poste de technicien. « C’est un format qui nous paraît adapté à notre mission de réinsertion, en confrontant les détenus à des démarches semblables à celles du monde extérieur », juge Pierre Pech, directeur adjoint de la maison d’arrêt. « Le principe de Place de l’emploi, c’est d’aller vers eux. Aujourd’hui, il s’agissait d’amener le monde extérieur à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire. Ça a permis aux détenus de rencontrer, d’échanger, dans un contexte quasiment normal, avec des employeurs », plussoie Lidwine Bori, qui compte réitérer ce type de mobilisation des détenus chaque année, « sous cette forme ou une autre ».
Le Figaro - le 24 juin 2024