Les Milles : purger sa peine en regardant l’Histoire en face

L’institution judiciaire et la fondation du camp des Milles unissent leurs forces en formalisant le stage de citoyenneté. Si les condamnés par le tribunal correctionnel d’Aix ont l’obligation d’y participer, ils en ressortent aussi changés.


• Laure GARETA

Mike, 34 ans, comparaissait le 28 décembre dernier devant le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence pour avoir, notamment, violenté, insulté, frappé, mordu, menacé et craché sur les policiers et gendarmes qui tentaient de le maîtriser. Le 21 décembre, dans les rues d’Avignon, c’est André Mondange, maire de Péage-du-Roussillon qui était agressé par deux hommes, en pleine rue avec sa famille dont sa fille de 20 ans. Issue d’une union franco-nigérienne, elle reçoit des injures racistes remettant en cause sa légitimité à être en France.

Violences envers des agents dépositaires de l’autorité publique, insultes racistes, agressions antisémites… Des faits de cette nature, les magistrats du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence en jugent tous les jours. Ce témoignage de la violence de la société actuelle révèle aussi un glissement certain vers un repli identitaire assumé.

Si la justice est un principe cardinal d’une société civilisée, elle doit savoir répondre avec utilité. Pour faire face, jusqu’à présent, la réponse pénale était une incarcération avec ou sans sursis, et une indemnisation des victimes. Aujourd’hui, les magistrats du ressort du tribunal judiciaire aixois pourront également ordonner un stage de citoyenneté au site mémorial du camp des Milles.

Réfléchir aux fondements des valeurs républicaines

Savoir et comprendre changeraient la donne. C’est l’espoir et l’ambition de cette convention signée entre la fondation du camp des Milles en la présence de son président Alain Chouraqui et l’institution judiciaire représentée par le procureur de la République Jean-Luc Blachon et la nouvelle présidente du tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence, Hélène Judes.

Quelques signatures plus tard, l’expérimentation menée pendant une année avec le tribunal de Marseille est donc formalisée et élargie. En effet, depuis la fin de l’année 2022, six groupes d’une dizaine de personnes condamnées ont déjà pu bénéficier d’un stage de citoyenneté aux Milles. Les résultats étant satisfaisants, les choses se devaient d’être actées. "La citoyenneté et le partage des valeurs de la République nous concernent tous ; encore plus actuellement dans cette période où nous sentons des troubles du séparatisme, du racisme, et de l’antisémitisme qui ne se cache plus, notamment sur les réseaux sociaux, confie la présidente du tribunal Hélène Judes. Nos ambitions se rejoignent. Nous voulons œuvrer ensemble à restaurer un grand principe de notre République qui est la fraternité, qui dans cet endroit, n’est pas un vain mot parmi tant d’autres. Par cette signature, et également en lisant quelques mots à l’entrée de la fondation, il est mentionné ’Mémoire, éducation’. De très belles valeurs à promouvoir ensemble et que nous essaierons de faire comprendre aux condamnés."

Car entrer au camp des Milles n’est jamais anodin. Pour quiconque en fait l’expérience, il y a un après. Ces anti-valeurs détruisant les libertés et cette souffrance à cœur ouvert prennent tant aux tripes qu’elles ne peuvent que susciter la réflexion. Le questionnement est un premier pas sur un chemin plus juste.

La Shoah, le Rwanda, l’Arménie, les mécanismes qui mènent aux grandes tragédies de l’Histoire, sont récurrents et identiques, quels que soient le continent, la culture ou l’époque. Le camp des Milles donne les clés pour les comprendre mais pour réagir, résister, réparer. Ce lieu d’histoire et d’éducation à la citoyenneté offre des analyses sur ce processus qui peut mener au pire et montre toute la fragilité de la démocratie.

"L’enjeu de la démocratie repose sur l’institution judiciaire. En positif comme en négatif. En négatif, puisque l’institution judiciaire est attaquée dans ses processus, c’est l’hommage du vice à la vertu. Au centre des débats, des tensions plus ou moins latentes, les attaques sont là et souvent délibérées. En positif, car la justice résiste, maintient l’État de droit, l’améliore, l’adapte aux évolutions de la situation pour les droits des libertés individuelles, souligne le directeur Alain Chouraqui. Il est essentiel pour la fondation du camp des Milles de renforcer chaque fois que possible ses liens avec l’institution judiciaire."

La citoyenneté et le partage des valeurs de la République nous concernent tous ; encore plus actuellement dans cette période où nous sentons des troubles du séparatisme, du racisme, et de l’antisémitisme qui ne se cache plus, notamment sur les réseaux sociaux.„

Obligation pénale

Ce nouvel outil à disposition des magistrats d’Aix-en-Provence peut donc concrètement s’appliquer à des infractions du type racisme, antisémitisme, rejet de l’autre, apologie du nazisme mais aussi, plus largement à toutes les infractions pour lesquelles les magistrats considèrent qu’un stage de citoyenneté au camp des Milles peut avoir un intérêt. "La convention va au-delà de ce qui était proposé, en adressant simplement des personnes qui ont des propos et comportements qui stigmatisent, mais aussi toutes celles qui contestent, mettent en cause et en péril les institutions et leurs représentants. Tout ce qui dit et fait la République", rappelle le procureur Jean-Luc Blachon. Si le condamné se défile et ne se présente pas au stage, le ministère public reprend la main. "En général, ça se traduit par une poursuite en bonne et due forme devant le tribunal. Dès lors qu’on fait le choix d’imposer ce stage, on considère qu’il répond à une situation et que cette réponse pénale est adaptée. Si le condamné ne remplit pas cette obligation, il sera poursuivi avec toutes les conséquences que cela a : casier judiciaire, etc.", ajoute le procureur. Hélène Judes de poursuivre : "S’il était une obligation du sursis probatoire, on considéra qu’elle n’est pas respectée et fera sauter le sursis en tout ou partie. C’est une obligation, donc le condamné doit s’y plier."

À l’image de la délinquance, la majorité des stagiaires sont des hommes, néanmoins tous les âges et catégories socio-professionnelles sont représentés.

La valeur éducative du camp des Milles n’étant plus à démontrer, une réflexion est menée par le parquet général pour élargir cette convention aux mineurs. De quoi donner un lourd travail à Lionel, animateur des stages. "Mais on ne dépassera pas dix personnes par stage car il faut que ce soit qualitatif", souligne-t-il. "Et ça serait mauvais signe que ça augmente trop vite", sourit le procureur.

L’Histoire comme levier pour apprendre de ses erreurs, et réaliser que d’autres chemins sont toujours possibles.

La Provence - le 26 janvier 2024

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