Surpopulation, peines… Pourquoi les prisons s’enferment dans l’échec

En dépit d’une surpopulation record, le gouvernement s’entête à vouloir multiplier les peines de prison. Pourtant, plusieurs de nos voisins font la démonstration que les alternatives à l’incarcération permettent d’obtenir de meilleurs résultats et de mieux protéger la société.


• Laurent Mouloud

Le décryptage. Quand nos prisons s’enferment dans l’échec

En dépit d’une surpopulation record, le gouvernement s’entête à vouloir multiplier les peines de prison. Pourtant, plusieurs de nos voisins font la démonstration que les alternatives à l’incarcération permettent d’obtenir de meilleurs résultats et de mieux protéger la société.


Michel Barnier veut enfermer plus. Le premier ministre l’a martelé dans son discours de politique générale : il faut construire plus de prisons, et pas uniquement parce qu’elles sont surpeuplées. Le chef du gouvernement veut augmenter le nombre de citoyens incarcérés. Il plaide même pour de nouvelles « peines de prison courtes, immédiatement exécutées ». La prison est pourtant devenue une école du crime.


Si elle reste la seule solution face à des individus représentant un danger immédiat pour la société, des alternatives existent afin que le remède ne soit pas pire que le mal pour les autres prisonniers. La privation de liberté n’est pas la seule façon pour un citoyen de rembourser sa dette et de repartir du bon pied. Et des moyens supplémentaires doivent être donnés à la justice, aux hôpitaux psychiatriques, aux écoles, et aux services de prévention et de réinsertion. Sans angélisme, mais avec comme boussoles l’humanisme et l’efficacité.

Une politique du « tout-carcéral » qui entraîne la récidive

En prison, les fréquentations délinquantes sont favorisées. Sans accompagnement, la perte d’emploi, de logement et les ruptures de liens familiaux incitent à replonger à la sortie. Ainsi, 63 % des personnes condamnées à une peine ferme le sont de nouveau dans les cinq ans qui suivent.


En revanche, « la récidive est toujours moindre après des sanctions non carcérales », soulignait en 2014 le ministère de la Justice, tandis que le Conseil de l’Europe préconise de privilégier les sanctions alternatives. La volonté de Barnier d’inventer de nouvelles peines courtes pourrait par contre constituer un accélérateur dans les parcours criminels.


Cette fausse solution est aussi la plus onéreuse d’un point de vue budgétaire : une journée de détention coûte en moyenne 105 euros, une de semi-liberté 50 euros, un placement extérieur 33 euros, et une surveillance électronique 10 euros. Le choix de Barnier est donc « le plus irrationnel en termes de gestion des deniers publics », pointe Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature (SM).

Un budget de la justice grevé par la construction de

prisons

Et cette question n’est pas anodine puisque le ministère de la Justice voit déjà son budget plombé par les prisons. « Une part trop importante du budget va être consacré à la construction des prisons au détriment de l’accompagnement des personnes et des aménagements de peine, qui évitent la récidive », regrette la présidente du SM. Alors que nos voisins européens mettent en place des politiques de désengorgement des prisons, depuis quarante ans les gouvernements français successifs s’entêtent à vouloir enfermer toujours plus.


« Ces incarcérations massives sont le résultat d’une politique pénale qui privilégie les comparutions immédiates, avec un fort taux de déferrements, au détriment des procès criminels, qui interviennent dans des délais de plus en plus longs, explique Kim Reuflet.


Cette fuite en avant est une impasse au regard de la surpopulation galopante : si on continue au rythme de 5 000 détenus supplémentaires par an, dans cinq ans il y en aura 25 000 de plus. Or, 15 000 nouvelles places sont prévues.

« Rien ne sera réglé.» Sauf peut-être de lourdes factures : le coût de

construction d’une cellule varie entre 150 000 et 190 000 euros.

En prison, le manque criant de suivi psychiatrique

Nos prisons sont donc totalement à revoir. D’autant plus que 20 % des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychotiques, dont 7,3 % de schizophrénie et 7 % de paranoïa et psychoses hallucinatoires chroniques. Au total, huit hommes détenus sur dix et plus de sept femmes sur dix présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité en cumulant plusieurs (troubles anxieux, dépressions, troubles bipolaires, psychoses…).


Beaucoup de prisonniers devraient être dans une structure de soins, avec les traitements médicaux y afférents. Mais ce n’est pas tout : la prison elle-même rend fou. Le ministère de la Santé indique que les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes présentent, à leur sortie, un trouble psychiatrique ou une addiction, en comptant ceux qui étaient initialement en bonne santé.


L’accès au diagnostic et aux soins au sein des établissements pénitentiaires fait défaut.

« L’enjeu de l’identification des troubles avant la libération des détenus est crucial, puisque ces derniers sont associés à la fois à une surmortalité (par suicide notamment) mais aussi à la réitération des infractions », détaille une étude menée en 2023 pour le ministère de la Santé. Il y a donc urgence à renforcer les personnels de santé dans tous les établissements pour prodiguer des soins adaptés et assurer un suivi. Ce n’est pas la voie prise par le gouvernement. Au risque que de nouveaux drames fassent la une des journaux.

L’incarcération augmente, la réinsertion faiblit

Une personne incarcérée, même sur une courte durée, doit de plus être accompagnée pour retrouver une place dans la société à sa sortie. Pour éviter la récidive, la transition est nécessaire entre la détention et la liberté. Mais, dans les faits, la question de la réinsertion post-carcérale reste sous-investie.


Les effectifs des conseillers de réinsertion et de probation sont insuffisants et sans cesse en retard par rapport à la hausse des besoins.


Pour Prune Missoffe, chargée des analyses et du plaidoyer à l’Observatoire international des prisons (OIP), les politiques pénales participent à ce que la prison se transforme en une fabrique d’exclusion sociale. L’ancien prisonnier devient un paria, et la prison, plutôt que d’apporter une solution, bouche tout avenir à nombre de condamnés. « Contrairement à la réalité vendue par le gouvernement, la justice se durcit. Aujourd’hui, on compte 40 000 personnes détenues de plus qu’il y a quarante ans », pointe Prune Missoffe, qui invite à « sortir de la vision punitive où le détenu doit souffrir entre quatre murs » et continuer de souffrir ensuite.

D’autres solutions existent

En dehors des barreaux, les alternatives à la prison sont « parmi les meilleures institutions de notre justice pénale » mais restent pratiquées « dans le cadre d’une politique pénale incohérente », regrette Serge Portelli, ancien magistrat devenu avocat. En la matière, la politique réductionniste des pays scandinaves inspire : en près de trente ans, la Finlande a vidé ses prisons de moitié. Son taux d’incarcération est descendu à 50 pour 10 000 habitants, tandis que celui de la France grimpe à plus de 100.


Le tout grâce à une refonte du système de sanctions. Les citoyens condamnés travaillent plutôt au bénéfice de l’intérêt collectif depuis la création du « service à la communauté », en 1992. Durant ses cinq premières années d’existence, cette mesure a remplacé 35 % des courtes peines d’incarcération, selon l’OIP. Alors que la prison française transforme le petit criminel en grand, la méthode finlandaise parvient à faire sortir du crime. Et donc à mieux protéger la société.


L’Humanité - 31 octobre 2024

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