Directrice du centre pénitentiaire pour femmes de Rennes de 2020 à 2023, Véronique Sousset, originaire de Quimper, publie Dans la tête de JCR. Elle y décrit le retour à la liberté d’un condamné à perpétuité, inspiré de l’affaire Jean-Claude Romand.
Son livre interroge la liberté après la sortie de prison
— framafad paca corse (@WaechterJp) October 18, 2024
Véronique Sousset décrit dans 'Dans la tête de JCR' le retour à la liberté d’un condamné à perpétuité, inspiré de l’affaire Jean-Claude Romand. @OuestFrance pic.twitter.com/AucdDc0Gkg
• Angélique CLÉRET pour Ouest-France.
Entretien
Pour vous qui avez été directrice de prisons, notamment du centre pénitentiaire pour femmes de Rennes (2020-2023), quel sens a la liberté ?
Aujourd’hui, j’occupe le poste de directrice interrégionale adjointe à Strasbourg et je demeure au plus près des terrains : vingt-deux établissements et neuf services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip). Pour ma part, c’est parce que je tiens la liberté pour valeur cardinale, à laquelle je suis viscéralement attachée, que je suis très attentive aux conditions de sa privation, dans le cadre de l’exécution d’une peine. Et j’ai voulu, dans ce livre, m’interroger sur la liberté après la sortie. De quelle liberté s’agit-il ? Est-on libre une fois sorti, lorsqu’on a commis le pire ? Quelle est cette liberté, en ce cas : un exil perpétuel, une relégation au long cours ? De quelle vie minimale s’agit-il ?
Après deux livres ayant trait au réel(1), pourquoi avoir opté pour la fiction ?
La fiction donne la liberté d’imaginer. Écrire, ici, n’était pas témoigner d’une réalité mais mettre en scène une réalité imaginée.
JCR renvoie à Jean-Claude Romand, qui a menti à son entourage sur sa carrière de médecin, avant de tuer toute sa famille. Pourquoi lui ?
Je l’ai rencontré alors que je dirigeais la maison centrale de Saint-Maur (Indre) et nous nous sommes beaucoup parlé à cette époque. En entendant « sortant de prison », à chaque fois me revenait en tête cette interrogation : mais combien de temps reste-t-on ce « sortant », lorsque l’on recouvre la liberté ? Or sa sortie, à lui, n’a pas été un retour mais une entrée dans la liberté. Comment cet homme vit en liberté après avoir été enfermé des années dans son mensonge, puis des années en détention. N’est-il pas à nouveau enfermé par sa culpabilité ? Je l’ai imaginé ainsi, vieux et seul. Je me demandais de quoi pouvait être faite sa liberté ? Quelles émotions, quelles sensations, quelles inquiétudes.
Un homme condamné à perpétuité peut-il un jour retrouver la communauté des hommes et la rejoindre ?
C’est en effet l’application de la loi pénale. En droit, passé la période de sûreté qui fige pour un temps la peine, le condamné, même à perpétuité (sauf si elle est une perpétuité dite « réelle » et en ce cas incompressible) peut solliciter un aménagement de peine. Ce n’est pas la fin de peine. S’il obtient un aménagement, la peine va s’exécuter sous le mode d’une libération conditionnelle assortie d’obligations, comme ne pas sortir d’un périmètre, aller pointer à la gendarmerie ou au commissariat, ou des obligations de soins, de travail, d’indemnisation des parties civiles.
Quel regard portez-vous sur les longues peines ?
Le temps de la peine doit être un temps utile, afin que la prison garde son sens. Il y a des temps longs qui s’imposent en fonction de l’évolution du condamné, son passé, sa trajectoire. C’est aussi le sens d’un principe en droit : l’individualisation de la peine. Je plaide pour ma part pour la juste peine : celle qui sera comprise, acceptée et qui est utile au condamné comme à la société. La prison est un lieu d’expiation, de relégation mais elle ne peut être uniquement cela au risque de manquer son objectif : celui de protéger la société en évitant la récidive. L’administration pénitentiaire est un service public de sécurité.
Quelle place occupe l’écriture dans votre quotidien ? Est-ce une échappatoire ?
C’est une respiration. J’écris tous les jours, parfois juste des mots, des phrases, parfois un texte, un début, ou une fin. J’ai toujours un carnet sur moi et si je l’oublie, je griffonne sur des bouts de papiers, que j’assemble ensuite. Je voue une passion irraisonnée pour les mots ! Les mots ont sur moi des effets physiques. Un mot peut être une caresse comme une claque, je les manie donc avec précaution ! Chaque mot de ce livre a été soigneusement choisi. L’écriture, la littérature, est un instrument de compréhension de la complexité, dans un monde où tout est simplifié au risque de perdre la nuance.
(1) Véronique Sousset est l’auteure de Défense légitime (Le Rouergue, 2017) et de Fragments de prison (Le Cherche midi, 2022).
OUEST-FRANCE - le 17 octobre 2024