On entend souvent que la prison serait l’affaire des autres. Mais avec le nombre de personnes détenues, c’est aussi le nombre de vies marquées par la prison qui ne cesse de croître. Aujourd’hui, près de 80 000 personnes sont incarcérées en France (1). Ce sont autant de familles, autant de proches traversés de plein fouet par la détention. Et parmi eux, environ 100 000 enfants (2).
On entend souvent que la prison serait l’affaire des autres. Mais avec le nombre de personnes détenues, c’est aussi le nombre de vies marquées par la prison qui ne cesse de croître. Analyse de Prune Missoffe Responsable des analyses et du plaidoyer à l'OIP @laprovence pic.twitter.com/tt2prl9L3o
— framafad paca corse (@WaechterJp) November 4, 2024
• Par Prune Missoffe Responsable des analyses et du plaidoyer. Observatoire international des prisons (OIP)
Il y a, d’abord, le choc carcéral : une vie bouleversée, parfois du jour au lendemain. L’incarcération sonne également le début du silence et de l’inquiétude. "Le plus difficile à vivre, dans les premières semaines, c’est la coupure brutale avec vos proches, rapportait une personne détenue à l’OIP, pas de contact téléphonique, pas de parloir, les courriers sont bloqués… Inquiétude des deux côtés. Toute la famille souffre de l’incarcération."
Avec l’interdiction d’accéder à internet en prison, les proches - dans la très grande majorité des mères ou des conjointes - doivent prendre en charge la quasi-totalité des démarches administratives à effectuer, en particulier au moment de l’incarcération. Au-delà, pour l’entourage, c’est souvent un quotidien entier à réinventer. Pour les conjointes, cela signifie porter toute la charge mentale du foyer et le coût supplémentaire de l’incarcération : en dépit de la perte d’un revenu, les nombreuses charges fixes de la vie quotidienne persistent (loyer du logement familial, remboursement d’un crédit, factures diverses, etc.).
Chaque parloir nécessite quant à lui une réservation sur des bornes électroniques, fréquemment en panne, ou par téléphone - au prix parfois de dizaines d’appels quotidiens pendant des jours. Pour près d’une personne sur quatre, s’y rendre impose de parcourir plus de 100 kilomètres (3). En général, il faut compter une demi-journée, voire une journée entière pour 45 minutes d’échanges. Au parloir, les proches vivent ce qui ressemble à une incarcération temporaire des corps : contrôlés avant d’entrer, ils sont placés dans un espace réduit - des boxes qui peuvent mesurer 1,5 m² - et subissent le bruit, l’odeur de la prison ou encore l’absence totale d’intimité.
Comment ne pas souffrir aussi par ricochet de la surpopulation, de l’indignité des conditions de détention et des droits fondamentaux bafoués ?
À force d’invisibiliser les maux que la société ne saurait voir, elle finit par s’enfermer tout entière. „
Comment ne pas s’inquiéter de l’entassement à plusieurs, 22 heures sur 24, dans des cellules de 9 m², régulièrement insalubres ou infestées de rats, cafards ou punaises de lits, avec des températures glaciales ou étouffantes selon les saisons ? Comment ne pas se sentir impuissant face à la dégradation de l’état psychologique d’un proche, des carences criantes en termes d’accompagnement et d’accès aux soins ?
Si le nombre de conjoints, parents, enfants, amis, etc., à vivre la prison de l’autre côté du mur n’est pas chiffré, ils et elles sont des centaines de milliers à subir en ce moment l’incarcération. Un nombre qui, sans changement en profondeur de notre système pénal, continuera inéluctablement son ascension. Une photographie à un instant T qui ne dit en outre rien des conséquences de l’incarcération sur le long terme car, que ce soit pour les anciennes personnes détenues ou pour leurs proches, à la sortie, tout est à reconstruire, dans un contexte d’appauvrissement et d’exclusion sociale que la prison aura trop souvent contribué à créer ou à aggraver. À force d’invisibiliser les maux que la société ne saurait voir, avant tout la précarité sociale et la détresse psychique, elle finit par s’enfermer tout entière.
1. "Statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée", Direction de l’administration pénitentiaire, octobre 2024.
2. Selon les estimations de Children of Prisoners Europe, au 1er décembre 2023.
3. "À propos du vécu des familles et des proches de personnes incarcérées", Résultats de l’enquête menée par l’Uframa entre septembre et décembre 2017.
La Provence - le 3 novembre 2024