Une rare visite à Fuchu, organisée et encadrée par les autorités judiciaires pour quelques journalistes étrangers, lève le voile sur les conditions de détention des prisonniers au Japon. C’est là que Paul Watson pourrait purger sa peine s’il est extradé.
Au cœur de la plus grande prison du Japon, le monde du silence
— framafad paca corse (@WaechterJp) September 24, 2024
Une rare visite à Fuchu, organisée et encadrée par les autorités judiciaires pour quelques journalistes étrangers, lève le voile sur les conditions de détention des prisonniers au Japon. @LaCroix pic.twitter.com/5CBEUfpPsH
Tokyo (Japon)
De notre correspondant en Asie du Sud-Est
La façade moderne de cette institution bien particulière est trompeuse. De l’extérieur, on pourrait croire qu’on est face au siège d’une grande multinationale. Il s’agit bien de la prison de Fuchu, qui s’étend sur plusieurs centaines d’hectares dans un quartier résidentiel de la banlieue de Tokyo. Dès l’entrée de cette maison d’arrêt, la plus grande du Japon où 1 700 prisonniers purgent leur peine – que des hommes, dont 350 d’origine étrangère – un silence pesant plane. Les détenus y observent un règlement d’une extrême rigidité, minuté, où le silence est d’or. Réveil à 6 h 45, et petit déjeuner en silence. À 8 heures, travail en atelier sans avoir le droit de parler jusqu’à midi, heure du déjeuner, lui aussi en silence – « de la nourriture pourrait s’échapper de la bouche d’un détenu et tomber dans l’assiette de son voisin et provoquer des troubles entre prisonniers », explique le plus sérieusement du monde Kushibiki Yuiichiro, chef des 600 fonctionnaires de la prison de Fuchu, tous en uniforme bleu ciel.
Retour pendant quatre heures à l’atelier de couture, d’imprimerie ou de cuir. Dans un silence de cathédrale, la tête baissée sur l’ouvrage, certains avec des tatouages qui trahissent leur appartenance à la pègre yakuza, une trentaine de détenus, mutiques, répètent mécaniquement les mêmes gestes jusqu’à 16 h 40, sous la chaleur écrasante de cette fin d’été japonais. « Le budget ne nous permet pas de climatiser tous les espaces, déplore le directeur Hiroyuki, mais on distribue de l’eau régulièrement. » Deux gardiens suffisent à maintenir la discipline. Arrive enfin le seul moment de « liberté » où tous les détenus, japonais et étrangers, peuvent courir, se promener sur le terrain de sport et même parler, « durant trente minutes seulement » … avant le dîner silencieux à 17 heures et l’extinction des feux à 21 heures. Devant les sanitaires, le directeur précise que chaque détenu « a droit à trois douches de quinze minutes par semaine sans parler ».
« Les détenus étrangers n’ont aucun privilège particulier », insiste d’emblée Yashiro Hiroyuki. « Nous offrons simplement quelques aménagements matériels spécifiques », poursuit-il en traversant le long couloir spectral sans âme qui vive. À cette heure de l’après-midi, les cellules individuelles sont vides, tous les détenus sont disséminés dans différents ateliers. D’une surface de 10 m2, d’une impeccable propreté, elles sont équipées d’un lit en fer à l’occidentale, d’une toilette et d’une petite télévision à écran plat. « 90 % d’entre eux ont une cellule individuelle, assure encore le directeur Hiroyuki, alors que les Japonais sont quatre ou cinq par cellule avec tatamis et futons. »
« Tous les détenus doivent travailler dans les différents ateliers, explique Hiroyuki, sauf les malades physiques ou mentaux pris en charge par notre unité médicale. Le travail fait partie du processus de réhabilitation. » Les 4 000 yens (30 €) que chaque détenu reçoit chaque mois, s’il a bien travaillé, « ne constitue pas un salaire, insiste Kushibiki Yuiichiro. Cela fait partie de leur peine. » « S’ils ont un bon comportement, ils gagnent des points qui leur permettent d’obtenir certains privilèges », ajoute le directeur. Comme la visite de certains membres de leur famille, deux fois par mois pendant… 30 minutes, à travers une vitre. (1)
Un mauvais comportement, des insultes, la moindre violence entre prisonniers ou contre un gardien est immédiatement sanctionné. « Un prisonnier peut être placé à l’isolement total pendant un mois et au maximum pendant deux mois, précise-t-il, la vie des gardiens doit être préservée, tout comme celle des détenus. Il faut savoir limiter les libertés pour garantir la sécurité de tous. » Les prisonniers ont-ils le droit de posséder un téléphone portable ? « Impensable, inimaginable, répond, effaré, le directeur. Pas de portable, pas de drogue, pas de pistolet ni d’armes blanches, pas de trafic ici ! » Avant de quitter les lieux, une dernière question : « Combien d’évasions avez-vous connues depuis un siècle d’existence de Fuchu ? » La réponse fuse : « Zéro ! »
(1) De nombreuses ONG comme Amnesty, l’Acat et Human Rights Watch dénoncent depuis des années les nombreuses violations des droits humains dans les centres de détention au Japon où les prévenus sont emprisonnés en attendant leur procès. Mais aussi les mauvais traitements infligés aux migrants illégaux, et aux femmes dans les pénitenciers, notamment durant leur grossesse.
Dorian Malovic
La Croix - le 23 septembre 2024