La prison de Poissy réunie autour d’une autre flamme

Le passage officiel de la flamme olympique dans la commune des Yvelines, mardi 23 juillet, en cachait un autre : derrière les murs de la maison centrale, le monde de la pénitentiaire s’est relayé autour d’une torche. Une communion pour avoir voix au chapitre des Jeux olympiques.


De notre envoyé spécial

Sur le bitume de la cour de promenade, des détenus patientent en cercle. « C’est le grand jour », s’enthousiasme Isabelle Brizard, la cheffe d’établissement. Un surveillant pénitentiaire franchit les portiques de sécurité : « La torche arrive », prévient le gradé. Les visages de la quinzaine d’hommes incarcérés s’illuminent. Cette torche, un long tube métallique avec au bout, par mesure de sécurité, une lampe plutôt que du feu, c’est leur flamme olympique à eux. Le temps d’une journée, ils vont pouvoir la porter en enchaînant les tours de piste. Le projet a été mûri au début de l’année par le personnel de l’établissement et une poignée de détenus accros à la course à pied. Quand il a été confirmé que la flamme olympique – la vraie ! – passerait par Poissy, cela a sonné comme une évidence. Pendant des mois, la course a été minutieusement préparée par les participants. Sur les deux terrains de sport aux murs en béton jonchés de fresques, des plots délimitent le parcours. Un espace de ravitaillement est tenu par deux détenus.

Les coureurs ont des fourmis dans les jambes. « Cela fait des millénaires qu’existe la flamme olympique, elle symbolise la paix, disserte Isabelle Brizard dans son discours. On voulait la flamme, on a eu la torche. » Le regard d’ordinaire sévère de la directrice s’efface au profit d’un sourire protecteur. Rattrapée par l’émotion, elle fend l’armure : « Je suis très fière de vous. » Le top départ est donné, la quinzaine de détenus s’élance sous les encouragements. Premier porteur, Adam, qui approche de la quarantaine, est la cheville ouvrière de cette journée. « En détention, c’est un modèle pour les autres », juge Olivier, coordinateur sportif dans les prisons des Yvelines. En 2018, Adam a créé son association, Robins des murs, pour allier défis sportifs et actions solidaires, à l’intérieur de la prison. La course à pied a toujours été son échappatoire. « Pendant mes premières années de détention, je courais dans mon coin, résume-t-il. Puis, j’ai voulu faire profiter les autres en leur transmettant ma passion. » En mai 2022, Adam a réussi un défi hors norme : avaler 300 kilomètres, sans s’arrêter, entre les quatre murs de la prison afin de récolter des fonds pour l’association Aïda, une œuvre caritative qui aide les jeunes face au cancer.

Après un premier tour symbolique, Adam, toujours aussi affûté, décroche pour se mettre au service de tous les coureurs. Il accompagne, ravitaille, encourage. Sur la piste, par un effet d’entraînement, les moins sportifs imitent les performeurs du jour. Chacun à son rythme. Un détenu âgé porte la torche en marchant, quand un autre la brandit du bras droit en trottinant, le bras gauche immobilisé dans une attelle. Les plus téméraires vont engloutir près de 200 tours de piste en moins de six heures pour courir 50 kilomètres. La métaphore de ce que peut être la détention si l’on ne se fixe pas d’objectifs : un tunnel sans fin. « Mais ils font plus que courir, ils préparent leur réinsertion », assure Isabelle Brizard. À Poissy, bien que les détenus purgent de très longues peines, ils sortiront un jour. Travailler sur l’après est essentiel pour construire un projet cohérent de réinsertion sociale et prévenir la récidive. Sur la piste, tous les métiers de la pénitentiaire qui y contribuent se calent dans la foulée des détenus. Une conseillère d’insertion et de probation court avec le détenu qu’elle suit depuis des années. Les applaudissements reprennent de plus belle quand le médecin de l’unité de santé écourte sa pause déjeuner pour fouler la piste.

On en oublierait presque que le relais officiel passe, en même temps, de l’autre côté des murs. « Nous essayons de reproduire ce qui se passe à l’extérieur pour montrer aux détenus qu’ils ne sont pas à part », explique Reinald, qui travaille à la direction de l’administration pénitentiaire. Pour lui, une journée comme celle-ci sert aussi à pacifier les relations en prison : « C’est dans l’effort que tout le monde apprend à se voir d’un œil différent. » Le drame de l’évasion d’Incarville – dans lequel deux agents ont trouvé la mort – est encore dans toutes les têtes. Il y a un peu plus de deux mois, la maison centrale de Poissy avait suivi le mouvement national des opérations « prison morte » pour demander de meilleures conditions de travail. « C’est bon de ne pas se sentir oubliés et de pouvoir mettre en place un événement en milieu fermé, se réjouit Dylan, surveillant-moniteur de sport au solide gabarit. C’est notre façon à nous de participer aux JO. » Après plus de cinq heures d’effort, les premiers coureurs du 50 kilomètres en terminent. Celui qu’on surnomme Mekton hurle de douleur. « Sans les paroles d’Adam, je finissais pas », avoue ce grand colosse au crâne dégarni. Il sort de sa poche un petit papier jaune. La veille au soir, Adam lui avait écrit des mots d’encouragement pour qu’il tienne bon dans les moments durs de sa course. Dans quelques jours, tous suivront les Jeux à la télévision. Les souvenirs d’Adam, ce sont « Marie-José Pérec contre Cathy Freeman à Atlanta en 96 et les records de Michael Phelps en natation ». Pendant ce temps, la torche continue de circuler de main en main, alors que le soleil se couche. « Je vais bien dormir ce soir », lance Mekton à qui veut l’entendre. C’était un peu comme leur cérémonie d’ouverture. Une fenêtre sur l’extérieur.

Hugo Forquès

LA CROIX, le 25 juillet 2024

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