Depuis trente ans, les bénévoles de l’Accueil familles Pergaud, soutiennent et orientent les familles de détenus. Situé en face de la maison d’arrêt de Besançon, le lieu fait office de boussole pour des centaines de femmes, hommes et enfants, qui se retrouvent bien souvent démunis face à l’incarcération de leur proche.

Accueil familles Pergaud, un lieu refuge pour les proches de détenus. Situé en face de la maison d’arrêt de Besançon, le lieu fait office de boussole pour des centaines de femmes, hommes et enfants souvent démunis face à l’incarcération de leur proche. https://t.co/lIYSbYPXB9
— framafad paca corse (@WaechterJp) November 29, 2024
Une jeune femme pousse la porte vitrée, toute essoufflée. Elle n’a pas trouvé de place pour se garer et transporte péniblement un lourd sac cabat. À la hâte, elle déchire les cartons des lots de chaussettes et de caleçons neufs, demande un stylo pour remplir l’inventaire des vêtements tout en avalant quelques donuts, l’oeil rivé sur la pendule. Elle s’appelle Flora* et a grandi trop vite. À 22 ans, elle s’est retrouvé à devoir gérer la détention de son fiancé. « J’ai pris de la maturité en un jour, clairement. J’avais encore une âme d’enfant et d’un coup, je me suis retrouvée à gérer son linge, ses papiers, la CPIP, ses mandats, tout… »
Flora* se rend à l’Accueil Familles Pergaud chaque semaine avant son parloir. Établie depuis trente ans dans un local prêté par la municipalité, à quelques mètres de la maison d’arrêt, l’association entend « offrir un accueil inconditionnel et une aide morale aux proches de détenus ». Les 19 bénévoles, retraités pour la plupart, se relaient chaque jour pour effectuer des permanences et accueillir les familles. « Être accueillant, c’est se garder de questionner, de prendre parti ou de juger les situations », indique Yves, l’un des bénévoles, alors qu’un couple prend congé, en remerciant pour le café.

Niché dans une maison en pierre à l’abri d’un immense saule pleureur, l’Accueil Familles se situe rue Pergaud, à quelques mètres de la Maison d’arrêt de Besançon. ©MargauxDzuilka
L’incarcération d’un proche, c’est vraiment la double peine pour les familles
L’Accueil familles Pergaud se voit comme un pont entre le dedans et le dehors. Outre le service du linge qu’ils peuvent déposer à la place des familles, les bénévoles proposent également de s’occuper des enfants pendant les parloirs de leurs parents ou encore d’accompagner les mineurs rendre visite à leurs pères. « On s’occupe aussi d’orienter les familles quand elles s’interrogent : que faire des meubles, du chat, comment résilier les contrats d’assurance, etc. L’incarcération d’une personne engendre beaucoup de questionnements et de démarches pour leurs proches », explique Paul, le président.
« Entre les transports, la fatigue, les enfants à gérer, le linge à s’occuper, le salaire en moins, le travail, la honte, la culpabilité… L’incarcération d’un proche, c’est vraiment la double peine pour les familles », martèle-t-il. Cet ancien éducateur spécialisé se souvient, un jour, avoir croisé la route d’un ancien détenu. « Il m’a dit : “nous à l’intérieur, on a juste à attendre, alors que dehors, ils doivent tout gérer”. Il avait pleinement conscience que la charge de son incarcération avait entièrement reposé sur sa famille. »
Il est 15h30, l’odeur du café chaud flotte dans l’air. Sur la nappe en plastique, des biscuits faits maison sont en libre-service. Un petit garçon joue au chef d’orchestre, pendant que sa grand-mère patiente sur le canapé aux motifs colorés. Claudine pousse la porte de la maison en pierre, elle revient d’un parloir avec son fils. D’ordinaire, elle marche pour se vider la tête. Claudine est une habituée de l’Accueil Familles. « Hélas, ça fait plusieurs années que je viens là. Si l’histoire de mon fils était un roman, on en serait déjà au tome 7 », soupire cette artiste peintre béninoise, en faisant référence à la 7ᵉ incarcération de son aîné.

En 2023, 355 enfants ont fréquenté l’Accueil Familles Pergaud. ©MargauxDzuilka
« Passée par là »
« Au départ, c’était douloureux. J’ai sombré très bas. Mais avec le temps, j’ai compris que mon rôle, c’était d’accompagner mon fils jusqu’à ce qu’il retrouve son chemin. » Claudine trouve que la prison « lui a fait perdre son identité ». Alors, celle qui a été pendant 20 ans professeure de mathématiques s’évertue, à chaque parloir, à lui faire (re)prendre conscience de sa valeur. « Je lui rappelle qu’il a eu un BTS en électronique, qu’il a des diplômes, qu’il peut se relever. »
Aller chaque semaine à l’Accueil famille permet à Claudine de rencontrer d’autres proches de détenus. « Au début, je ne parlais pas, et puis petit à petit, j’ai retrouvé ma force intérieure et je me suis mise à discuter avec les autres mères, en leur expliquant que j’étais passée par là, qu’elles allaient s’en sortir. Quand ça nous arrive, en tant que parent, on est broyé d’un coup. Et puis, avec le temps, on apprend à accepter ce qui nous arrive. » Autour de la grande table aux chaises colorées, les bénévoles assistent souvent à des discussions entre familles. « Ça leur permet de comprendre qu’elles ne sont pas les seules à vivre ça », soutient Monique, bénévole depuis 17 ans.
Au service des familles
L’Accueil familles est aussi un lieu de décharge. « Ce sas qu’on leur propose permet à certaines familles d’évacuer leur colère ou leur rancœur envers la pénitentiaire avant d’aller au parloir », assure Paul. Les bénévoles sont aussi là pour désamorcer les conflits entre les familles et l’administration pénitentiaires (AP). « On ne travaille pas au service de la prison, mais au service des familles. D’ailleurs, elles ne nous diraient jamais ce qu’elles nous disent si on était liés à l’administration pénitentiaire », explique le président qui tient à l’indépendance de l’association.
Les liens avec l’AP se font en bonne intelligence. « Les surveillants disent aux familles qu’on existe et peuvent les orienter vers nous si besoin, mais on ne se prive pas d’écrire à la direction de la Maison d’arrêt lorsqu’on est témoins de situations injustes », précise Yves. Le bénévole se souvient d’un monsieur qui ne parlait pas bien français, qui habitait loin et qui était venu déposer du linge pour son fils. Il s’était vu refusé son sac au motif que sa feuille d’inventaire était mal remplie. Les bénévoles, encore marqué par l’arbitraire de cette décision, étaient alors montés au créneau et avaient fini par s’occuper dudit sac de linge.

Sur les 375 détenus que compte la Maison d’arrêt de Besançon, une petite centaine ne reçoit aucune visite. ©MargauxDzuillka
Un engagement qui fait figure d’exception
Avec un budget de 5 000 euros à l’année, l’association tient grâce à l’engagement de ses bénévoles. Eux-mêmes tiennent grâce à des groupes de parole, organisés cinq fois par an avec une psychologue, « pour analyser nos pratiques, remettre notre éthique en question, raconter ce qu’on entend et supporter la charge émotionnelle de cet engagement ».
Certains ont vécu l’incarcération d’un proche, d’autres ont été visiteurs de prison. Ils ont en commun l’empathie, le sens de l’écoute et l’absence de jugement. Dans une société du « tout carcéral », leur engagement fait figure d’anomalie. Bénévole depuis 10 ans, Yves constate : « Je vis dans un petit village de 150 habitants et autour de moi, personne ne comprend pourquoi je fais ça. » Monique acquiesce. « Quand j’ai dit à mon neveu que je venais ici, il n’a pas compris mon engagement et notre relation s’en est trouvée changée. »
Alors que les derniers parloirs de la journée s’achèvent, l’Accueil famille se vide petit à petit. Les bénévoles se mettent à ranger les lieux. Paul poursuit la réflexion : « Les gens ont l’impression qu’en aidant les familles, on pardonne aux détenus. Mais les familles n’ont pas à payer pour les crimes de leurs proches ! ».
Margaux Dzuilka