Marie Claire fait une recension du livre de
Elvire Emptaz, autrice de "Je suis dehors »
"On l’a retrouvée tôt le matin, le lendemain de sa sortie. Elle était là devant la maison d’arrêt avec ses sacs en plastique. Personne n’était venu l’attendre parce que personne ne l’attendait. Elle n’avait plus de famille, plus d’amis et nulle part où aller... On dirait un mélo, mais c’est souvent le lot des détenues qui se retrouvent dehors après une longue peine..." Cette anecdote, racontée par une surveillante à Elvire Emptaz, a déclenché son envie d’enquêter sur l’après : que deviennent les femmes, qui ne représentent que 3% des 80 000 détenus en France, une fois qu’elles ont franchi les portes de la prison ?
Pendant un an, la journaliste a enquêté et recueilli les témoignages de quatorze d’entre elles, encore détenues ou récemment libérées, qui racontent l’enfermement, l’abandon des proches, mais aussi la peur du dehors, dans on livre Je suis dehors. Quelle vie pour les femmes après la prison (Éd. JC Lattès).
Elvire Emptaz, autrice de "Je suis dehors" : "En prison, les femmes sont une minorité dans la minorité » et les inégalités femme-homme ne s’arrêtent pas à la porte de la prison… https://t.co/G3TDC5eFRK
— framafad paca corse (@WaechterJp) September 19, 2024
Les prisonnières ne sont pas préparées à l'après
En prison, ces femmes se sont refait une vie, elles sont parfois en couple, elles connaissent les codes, sont prises en charge. Toutes celles que j’ai vues ont été violées ou victimes de violences au cours de leur vie. Donc là, d’une certaine manière, elles sont dans un environnement où on prend soin d’elles. Leurs journées sont structurées. La libération, ce n’est pas aussi facile qu’on le croit", explique Elvire Emptaz. Sans compter que la vie après la prison est bien plus périlleuse que pour les hommes, mieux préparés à la réinsertion. Entretien.
Marie Claire : Pourquoi sait-on si peu des choses sur les femmes en prison ?
Elvire Emptaz : On s’intéresse peu aux détenus, on sait d’ailleurs rarement où se situe la prison dans sa ville. Et les femmes, 3,1 % de la population carcérale, sont une minorité dans la minorité. Qu’une femme puisse être une criminelle est encore difficile à accepter par notre société.
Et puis, on pense que la prison, cela n’arrive qu’aux autres. D’où l’importance, dans mon livre, de la préface de Leïla Slimani. Issue d’une famille de la haute bourgeoisie marocaine, elle raconte très bien comment son monde s’est écroulé quand son père a été incarcéré.
Comment expliquez-vous qu’elles soient abandonnées par leurs proches une fois incarcérées ?
Près de 100% d’entre elles ont été, à un moment donné de leur vie, victimes de violences. Elles sont en prison majoritairement pour des crimes intra-familiaux, infanticides et homicides du conjoint. Ayant fait exploser la cellule familiale, elles sont abandonnées par leurs proches.
Une de mes témoins, condamnée pour infanticide, a vécu dix ans en prison sans une seule visite. Beaucoup m’ont dit aussi qu’elles refusaient les parloirs pour ne pas être vues comme "des animaux dans un zoo ou des monstres de foire". Sans soutien lors de la détention, leur sortie sera d’autant plus difficile.
On imagine qu'elles attendent cette sortie avec impatience, or elles en ont peur…
Une peur tellement intense que l’on surveille les détenues à l’entrée mais aussi à la sortie par crainte de suicide. Les femmes finissent très souvent à la rue, sombrent dans l’alcool ou la toxicomanie après avoir été droguées aux médicaments en détention.
Impensé de la politique carcérale, la sortie n'est perçue en France que sous l'angle d’une potentielle récidive. Or quand on a tué son enfant, ou son conjoint, a priori on ne récidive pas. Elles ne sont que 28% à récidiver contre 46% des hommes.
Il faut arrêter les sorties sèches (80% des cas), et ouvrir plus de lieux d’accueil pour les femmes. J’ai découvert que l’État se repose sur les associations, peu nombreuses, qui les prennent en charge dès qu’elles quittent le système carcéral comme le Soleillet à Paris. Sans ces structures, 100% d’entre elles seraient à la rue.
Le regard des magistrats et des jurés est beaucoup plus sévère pour les femmes, même quand cela relève de la légitime défense.
Les femmes fragilisées après leur séjour en prison
Dans votre essai, on apprend que les inégalités femme-homme ne s’arrêtent pas à la porte de la prison…
Un homme qui tue sa compagne a une peine en moyenne de sept ans contre quinze à vingt-cinq ans pour une femme qui tue son compagnon. Le regard des magistrats et des jurés est beaucoup plus sévère, même quand cela relève de la légitime défense.
En prison, les femmes ont moins accès à l’emploi et aux formations, en outre très genrées comme la couture ou le ménage. Elles ont également moins d'aménagement de sortie que les hommes. C'est le serpent qui se mord la queue : privées de soutien familial, d’activités, de formations, les femmes sortent de détention fragilisées, les hommes, eux, virilisés. C’est injuste. ////
Marie-Claire - le 19 septembre 2024
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Sorties de prison : les femmes détenues représentent 3 % de la population carcérale. Elvire Emptaz lève le voile sur cette minorité peu visible.
Recension du livre :
— framafad paca corse (@WaechterJp) September 19, 2024
Je suis dehors.
Quelle vie pour les femmes après la prison ?
Elvire Emptaz
Sorties de prison : les femmes détenues représentent 3 % de la population carcérale. Une minorité peu visible. pic.twitter.com/ctwANNtNbJ
On l'a retrouvée tôt le matin, le lendemain de sa sortie. Elle était là, devant la maison d’arrêt avec ses sacs en plastique.
Personne n’était venu l’attendre parce que personne ne l’attendait. Elle n’avait plus de famille, plus d'amis et nulle part où aller... ».
C'est par ces mots poignants que s’ouvre Je suis dehors, d’Elvire Emptaz. Cette histoire, relatée par une surveillante, a été le déclencheur du livre. Pendant un an, la journaliste a rencontré d'anciennes détenues. Quatorze femmes lui ont fait confiance et rompent le silence pour raconter leur vie d'après, leur vie dehors.
« On ne dit jamais rien de ce qu'il advient à l'issue d'un long, parfois très long, séjour carcéral», explique Elvire Emptaz. Premier étonnement, si la prison est un monde dur, parfois « abject», il est difficile d'en sortir. La peur de la sortie reste l'une des principales séquelles de l'incarcération.
« La prison est à la fois un lieu où l'on dépérit et une forteresse qui protège d'un dehors où elles sont victimes d'abus et de violences », écrit Leïla Slimani, dans la préface de l'ouvrage.
Le pourcentage est effrayant: 99 % des femmes interrogées ont été violées ou victimes de violences au cours de leur vie. Elles sont incarcérées majoritairement pour des crimes intrafamiliaux, et la prison les protège, devient un lieu où elles peuvent se reposer sans être harcelées. C'est le cas de Rani, détenue pour avoir tenté de tuer un mari violent qui la battait et l'a enfermée pendant vingt-quatre ans dans leur maison. «Je me suis sentie plus libre que chez moi où j'avais tout le temps peur, ça m'a sauvé la vie », livre-t-elle.
Autre conséquence, beaucoup de ces femmes, qui ont souvent fait exploser la cellule familiale, sont abandonnées par leurs proches.
Stéphane, par exemple, n'a reçu aucune visite pendant dix ans. À sa sortie, elle se heurte au mur de la solitude. En prison, les hommes sont visités par leurs épouses, leurs sœurs, leurs mères, leurs ex-compagnes, qui les attendent.
Les femmes, elles, n'ont plus personne sur qui compter. L’autrice souligne également le risque d'infantilisation. Comment retrouver son autonomie, quand depuis cinq ou vingt ans, on n’a rien fait seule, pas même ouvrir une porte?Anne, 63 ans, a peur d’oublier ses clés, n’arrive pas à faire ses démarches administratives.
Bernie ne peut plus dormir dans un grand lit, oublie de fermer la lumière ou le robinet d’eau. Avec une grande humanité, Elvire Emptaz croise les voix de ces anciennes détenues par

chapitres thématiques, abordant aussi la question plus générale de leur réinsertion. Elle balaie bien des préjugés et plaide pour un changement de regard sur ces femmes.
- Flore de Borde
- Je suis dehors.
Quelle vie pour les femmes après la prison ?
Elvire Emptaz
JC Lattès, 192 p., 19,90 euros.