À Villepinte, une prison surchargée et surmenée

Le taux d'occupation de cette maison d'arrêt située en Seine-Saint-Denis dépasse les 200 %, rendant difficile le quotidien des détenus et du personnel. Des conditions d’incarcération qui pourraient être aggravées en cas de coupe budgétaire pour le secteur.


Dns la petite cellule à la peinture écaillée, un grand morceau de tissu suspendu à un fil noir sert de séparateur entre la chambre et des sanitaires. Les trois codétenus n’avaient aucune envie de se doucher sous les regards des deux autres et des invités potentiels dans la pièce exiguë. « Un peu d'intimité quand même», chuchote l'un d'eux, attablé devant un plat de haricots blancs. Il désigne du doigt son couchage, un matelas disposé à même le sol, quelques cartons servent de sommier de fortune.


Environ 80 autres détenus de la maison d'arrêt de Villepinte (Seine - Saint-Denis) subissent le même sort, plus aucun lit n'étant disponible. Les quatre bâtiments de la prison, édifiée il y a trente trois ans, ont une capacité d'accueil totale de 582 personnes. Ils en comptent 1274. Le taux d’occupation atteint un triste record de plus de 200 % - la moyenne nationale est d'environ 150 %.


Pascal Spenlé, chef de l'établissement, est le premier à le déplorer auprès de Fabien Gay, sénateur PCF de Seine-Saint-Denis (et directeur de l’Humanité), venu, vendredi 18 octobre, y exercer son droit de visite. « L’idéal serait qu’aucun droit de visite. « L’idéal serait qu’aucun personne ne dorme par terre sur un matelas, bien sûr », reconnaît Pascal Spenlé.


Au moment de sa construction, le bâtiment a été conçu pour accueillir une ou deux personnes au maximum dans les cellules. Une trentaine d'années après, elles sont parfois trois ou quatre dans ce même espace.


Le seul service qui échappe à cette surpopulation carcérale est le quartier pour mineurs, 35 jeunes l’occupent pour 40 places. La problématique de l'effectif se pose également de l’autre côté, pour les surveillants: «Regardez, nous ne sommes que deux ! Ce n' est vraiment pas assez », apostrophent-ils. Au total, ils sont 206 au sein de l'établissement. Fabien Gay s'enquiert de leurs conditions de travail et du manque de personnel, répété à l'envi par presque tous les travailleurs questionnés.


Ils seront environ 500 dans trois ans, espère Pascal Spenlé, lorsque le projet d'extension sera finalisé. Entre 2027 et 2028, 800 nouvelles places se-ront étendues sur une vingtaine d’hectares, cela pour la somme de 210 millions d'euros. En attendant, les détenus sont parfois à l'étroit dans des cellules aux murs griffonnés et aux sanitaires dégradés par l'usage et le temps.


Les peintures des couloirs sont, elles, vives et agrémentée d'oeuvres de prisonniers et de l'artiste C215. Bénévolement, ce greffeur a tagué les murs de portraits de Nelson Mandela, Martin Luther King ou encore Victor Hugo.


Les animateurs, formateurs et enseignants manquent aussi à l’appel. Lorsqu'un détenu alerte le sénateur communiste quant au « manque d'activités», l'établissement répond, navré : « Nous aimerions en proposer davantage, mais nous n’avons pas assez de place, de personnel et de finance-ment pour cela. » Sur ce dernier point, Fabien Gay s'inquiète du rabotage qui pourrait toucher le secteur pénitentiaire, déjà en souffrance, dans le budget 2025. Quelque 500 millions d'euros

risquent d'être retirés au ministère de la Justice. La CGT des chancelleries et des services judiciaires va même plus loin, estimant que les coupes atteindraient plutôt 2,3 milliards d’euros. Dont 2,1 milliards d'économies pour l'administration pénitentiaire…


UN SERVICE DE SANTE EN TENSION


Sur une des portes de l'unité sanitaire, l'écriteau « Rupture de complément alimentaire » est scotché. Avant que la visite n'ait lieu, Pascal Spenlé avait précisé que ce service manquait de spécialistes tels que les dentistes ou ophtalmologistes. Le chef de l'unité de consultations et de soins ambulatoires de la prison de Villepinte, Ludovic Levasseur, presse le pas pour traverser le couloir. Il doit gérer le transfert d'un patient. Un «grand nombre» des personnes qu’il ausculte présentent des troubles liés à l'addictologie. « Ils continuent parfois à consommer du cannabis entre les murs de la prison», déplore-t-il.


L'équipe médicale, composée de 2,3 équivalents temps plein de médecins généralistes et de quatre infirmières, en grande difficulté, doit « remettre à niveau des problèmes de santé qu'ils avaient déjà à l'extérieur ».


Leur service dispense 11000 visites médicales par an. Leur temps de travail distendu pousse Ludovic Levasseur à réaliser de nombreuses astreintes les week-ends, en plus de sa semaine de travail. «J'ai peur que ce système s'écroule avec le renouvellement générationnel, surtout que rares sont les médecins qui choisissent d'exercer, en

premier lieu, dans un hôpital de détention du 93. » Le chef de l'unité repart aussi vite qu'il est arrivé, happé par des dossiers urgents. •

LÉA PETIT SCALOONA

Humanité - le 21 octobre 2024

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