PIERRE BOTTON “Les prisons sont des zones de non-droit”

Violence, surpopulation, drogue, hygiène... Pour Pierre Botton, un primo-délinquant n’a pas sa place en prison.


L’homicide de deux surveillants pénitentiaires le 14 mai dernier, lors de l’évasion de Mohamed Amra, a mis un nouveau coup de projecteur sur l’état déplorable des prisons françaises. Pierre Botton, ex-gendre du maire de Lyon, Michel Noir, condamné deux fois à la prison pour abus de biens sociaux, dénonce cette situation.

VSD. Dans votre dernier livre QB4, le nom du quartier VIP à la Santé, vous dépeignez les conditions de travail terribles des gardiens de prison…

Pierre Botton. Comment voulez-vous qu’un individu payé 1 600 euros par mois accepte de se faire insulter et menacer 24 heures sur 24 ? Dans certaines sections, ce sont les détenus qui font la loi et protègent les gardiens. Si un surveillant refuse d’obéir à un prisonnier, il lui fait « la misère ». À chaque fois qu’il ouvre une cellule, il est insulté, on lui crache dessus. Parfois 40 fois de suite. Les surveillants sont sans cesse sous la pression des menaces. Je me souviens très bien d’un détenu qui menaçait de brûler la voiture d’un gardien. Le lendemain, la voiture a brûlé… Les prisons sont des zones de non-droit. Prisonniers et gardiens forment un couple infernal.

 

Côté détenu, les conditions d’incarcération sont tout autant lamentables…

Quand j’ai été incarcéré une première fois en 1990, elles étaient déjà effroyables mais le pire, c’est qu’elles le sont encore. Le régime des trois douches par semaine existe encore à Fresnes et d’autres centres pénitentiaires. Une douche quotidienne n’est possible que si vous souffrez d’une maladie de peau et encore, certificat médical à l’appui. J’ai connu la lumière qui ne pouvait s’allumer que de l’extérieur, c’est donc les surveillants qui décidaient de la privation d’électricité. Aujourd’hui, si les cellules sont équipées d’interphone pour mettre les détenus en contact avec le poste de contrôle intérieur en cas d’urgence par exemple, personne ne répond jamais. Les coupures d’eau et d’électricité ne sont pas rares. À la Santé, considérée comme une prison modèle, j’avais une douche dans ma cellule, mais pas d’eau. À l’été 2021, on est resté trois jours sans eau en pleine canicule : pas de douche et pire, aucune possibilité de tirer la chasse des toilettes. La Pénitentiaire nous donnait un litre d’eau par jour et si on avait besoin de plus, on devait l’acheter….

Côté propreté, les conditions se sont-elles améliorées ?

À la « prison modèle » de la Santé, on trouve des cafards dans les cellules et des rats qui courent dans les espaces de promenade. Mais ce n’est rien comparé à Fresnes où les rats ont élu domicile dans les cellules. L’État a été condamné plusieurs fois pour organiser la dératisation mais n’a jamais rien fait. En vérité, tout le monde s’en fout. On voit des haines se développer. Des radicalisations.

La surpopulation n’améliore sans doute pas ces conditions déjà difficiles…

C’est certain. Car il faut tenir compte aussi des petites humiliations que cette surpopulation suppose. Imaginez aller aux toilettes dans une cellule de quatre ou cinq personnes alors qu’elle n’est prévue que pour deux ? D’autant plus que dans certains établissements, elles ne sont même pas fermées. L’autre problème de la surpopulation est encore plus dramatique. Les surveillants ont tellement de travail qu’ils ne peuvent pas sortir les détenus de leurs cellules pour leur permettre, par exemple, d’accéder à la salle de lecture, apprendre à lire ou passer des concours pour leur réinsertion, la prison prépare normalement à la vie d’après… De toute façon, même si on doublait le salaire des gardiens, la Pénitentiaire ne recruterait pas plus. Qui accepte de mettre sa vie en danger et celle de sa famille ?

Pourquoi tant de violence dans les prisons françaises ?

Cette violence est ce qui m’a le plus effaré. Pour une peccadille, tout explose. Pas un jour ne passe sans qu’il y ait des bagarres. De ma cellule à la prison de la Santé où j’étais détenu entre 2020 et 2021, ma fenêtre donnait sur la cour de promenade des courtes peines, le QB1. J’ai assisté à une scène effroyable. Quatre détenus se sont jetés sur un autre pour le tabasser, coups de pied, coups de poing. J’ai cru qu’ils allaient le tuer. Puis ils l’ont sorti en le tenant par les extrémités et personne n’a rien dit. Les gardiens ne rentrent pas dans les cours de promenade par peur du dérapage et de l’agression. Ces cours sont des lieux d’extrême violence. Un simple ballon de football devient une arme pour faire mal, intimider, racketter. Je n’avais jamais vécu ça 25 ans plus tôt.

Et bien sûr, l’argent circule…

Oui, l’argent de la drogue. C’est si important que les caïds peuvent tout acheter. Depuis l’intérieur de la prison, ils continuent de diriger leur réseau. Certaines cellules sont équipées de chichas, ils ont cinq téléphones, trois écrans. Des PlayStation. La drogue circule. Bien sûr, il y a des connivences avec les gardiens qui sont souvent menacés s’ils n’obtempèrent pas. Et les menaces sont toujours mises à exécution.

La solution est-elle de faire sortir ces jeunes délinquants de l’univers carcéral ?

Je pense qu’un primo-délinquant de 18 ans n’a pas sa place dans un centre pénitentiaire où sont incarcérés des délinquants aguerris car on le met au contact du « virus » et inévitablement, il sera contaminé. Si au lieu de l’incarcérer, on avait mué sa peine en travail dans un Ehpad, un hôpital ou sur un bateau de pêche, sans doute que sa réinsertion serait facilitée en prenant conscience de son erreur par le travail. L’oisiveté est le pire fléau des prisons. Il existe dans le monde des solutions dont on peut s’inspirer comme les travaux d’intérêt général en Grande-Bretagne ou le système danois, où 95 % des condamnés ne récidivent pas. Il faut naturellement faire respecter la loi à l’intérieur des pénitenciers et amener les délinquants vers d’autres centres d’intérêt en favorisant par exemple leur passion. Si on les prend à temps, tout n’est pas perdu. Mais il faut aller très vite. La prison doit servir à redresser mais si le délinquant en sort un peu meilleur, eh bien, je pense qu’on a gagné… VÉRONIQUE PIERRON

“Prisonniers et gardiens forment un couple infernal.”

VSD - le jeudi 30 mai 2024

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