Face au flux des « revenantes » s’ouvre à Roanne le deuxième quartier de prévention de la radicalisation du pays.
La prison s’adapte aux femmes terroristes
— framafad paca corse (@WaechterJp) January 14, 2024
Face au flux des « revenantes » s’ouvre à Roanne le deuxième quartier de prévention de la radicalisation du pays. @Le_Figaro pic.twitter.com/Ccli6TSvVC
Paule Gonzalès
DÉTENTION Répondre à la déferlante. Deux ans après l’ouverture du premier quartier de prévention de la radicalisation (QPR) à Rennes, une deuxième unité de 14 places ouvre à Roanne (Loire) ce mois de janvier. Un rééquilibrage géographique un peu vers le Sud, afin de gérer les flux de femmes terroristes revenant des zones de guerre. L’administration pénitentiaire a dû réaliser des travaux au pas de charge.
Outre la donne géographique, Roanne cochait bien des cases : « le fait d’être un centre de détention moderne, de disposer d’un quartier pour femmes qui n’était pas plein, avec des qualités bâtimentaires permettant d’assurer une bonne étanchéité avec le reste de la détention », détaille Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire. « À cela s’ajoute une équipe de direction d’établissement dynamique et, au niveau de la région, des personnels qui ont acquis une bonne connaissance du phénomène djihadiste puisque, à Bourg-en-Bresse, il y a déjà un quartier de prévention de la radicalisation dévolu aux hommes », poursuit-il.
Le choix et les travaux se sont achevés en sept mois, temps record pour l’administration pénitentiaire, et une équipe de 20 agents et professionnels ont été formés. Toutes volontaires, car les détenues femmes ne sont encadrées que par des équipes de femmes. En l’occurrence une gradée, une quinzaine de surveillantes, une agent d’insertion et de probation, une psychologue et une éducatrice spécialisée. Seul le spécialiste du fait religieux qui les accompagnera est un homme. Huit femmes sont déjà pré-affectées et devraient arriver d’ici à la fin janvier. Contrairement au QPR de Rennes qui, fin 2024, passera d’une capacité d’accueil de 16 à 29 détenues, celui de Roanne n’est pas extensible. Il faudra pourtant s’en contenter, même si d’autres arrivées sont encore possibles - il n’y a jamais eu autant de femmes incarcérées pour terrorisme qu’aujourd’hui. En outre, contrairement aux hommes, la majorité de ces femmes sont des prévenues, et non des condamnées, et sont donc vouées à une longue détention.
Actuellement, sur 389 djihadistes incarcérés en France pour faits de terrorisme, 94 sont des femmes dont 79 reviennent de Syrie et d’Irak, 49 ayant été rapatriées en quatre vagues au cours de la seule année 2023. « Alors que les femmes ne représentent que 3 % des détentions françaises, les femmes djihadistes constituent un quart de la population pénale incarcérée pour terrorisme en France. Il nous fallait donc nous adapter en urgence à cette massification mais aussi à ce profil criminologique particulier puisque beaucoup d’entre elles n’ont pas été que passives en zone de conflit », explique Laurent Ridel. Il souligne que, après les attentats de 2015, « l’accent avait été mis sur l’incarcération et la prise en charge des hommes. Je rappelle que, en 2018 et 2019, nous avons eu dans nos prisons françaises jusqu’à 550 terroristes islamiques hommes, auxquels il fallait ajouter près d’un millier de détenus de droit commun radicalisés ». « Une spécificité que l’on ne retrouve pas chez les femmes puisqu’il n’y a quasiment pas de droit commun radicalisées », précise Naoufel Gaïed, en charge de la lutte contre la radicalisation violente pour l’administration pénitentiaire. Une institution qui était peu et mal préparée à ces arrivées en masse. Débordée, elle a agi en urgence pour mettre à niveau les prisons françaises, se concentrant alors sur la question de l’incarcération et de la prise en charge des hommes. D’autant plus que, comme le rappellent les cadres de la pénitentiaire, « durant des années, nous avions une idée fausse et biaisée des femmes qui étaient impliquées dans des actions violentes ou de leur rôle en Syrie et en Irak ».
Jusqu’à présent, ces détenues de retour de zones de guerre ont transité par la prison de Réau, en région parisienne, avant d’être incarcérées, selon leur profil, dans une poignée d’établissements : en détention classique pour celles évaluées comme les moins dangereuses - notamment à Fleury-Mérogis - mais à l’isolement strict pour les plus dangereuses - en raison du prosélytisme et des passages à l’acte. Une trentaine d’entre elles passe chaque année par le quartier d’évaluation de Fresnes, mais seulement huit par session. L’épaisseur du trait quand on sait que l’on fait face à une « massification » des retours de femmes.
Très vite, la structure de Rennes, initialement conçue pour préparer la libération des premières sortantes de prison (qui avaient alors des profils moins lourds qu’actuellement), a dû revoir ses protocoles pour accueillir « une très large majorité des retours de Syrie ». Des profils que Laurent Ridel reconnaît comme « plus dangereux et plus aguerris » dans l’action et l’ancrage terroriste, surtout parmi les retours de « la quatrième vague, en 2023 ».
La diversification des structures d’accueil présente un autre intérêt : pouvoir faire davantage « tourner les détenues » entre les différents établissements. Une commodité même si « d’un strict point de vue pénitentiaire, la population des femmes terroristes affiche “une incidentologie” moindre que celle des hommes et que les anciennes détenues des camps kurdes se sont bien adaptées aux prisons françaises », souligne Naoufel Gaïed, sous-entendant qu’elles perturbent moins la détention.
Depuis un an, l’administration pénitentiaire travaille à la connaissance de ce public par des études universitaires afin d’améliorer la prise en charge. « Au fil du temps et de l’accumulation de la documentation, nous savons que celles que l’on a trop souvent considérées comme des victimes ont été des combattantes, des femmes parties volontairement et n’ayant pas servi qu’au repos du guerrier si on peut dire », explique Laurent Ridel. Leurs profils sont par ailleurs « très différents de ceux des hommes, complète Naoufel Gaïed. Contrairement à eux, peu ont été converties par les réseaux sociaux ou les sites djihadistes. Ce sont aussi des femmes qui se sont engagées bien plus jeunes dans cette cause, avec des départs en Syrie parfois à l’adolescence. On est donc face à des personnes qui ont vécu des ruptures générationnelles très fortes puisque, la plupart du temps, et en dehors des cas de familles entières qui sont parties en Syrie (comme les Klein, NDLR), c’est la cassure avec leur famille et leur désocialisation qui les ont conduites à la radicalité islamique. De fait, elles sont majoritairement sous diplômée ». Laurent Ridel et Naoufel Gaïed reprennent : « Il y a donc une dimension familiale très forte dans ces parcours de vie souvent très cabossés, à laquelle se sont ajoutés les traumatismes de la vie des camps et, avant, ceux de la vie à Raka qui était fantasmée. Beaucoup ont alors déchanté, vivant des situations de polymariage, passant d’un combattant à l’autre ou étant une femme parmi plusieurs épouses. Aussi le rôle de mère est essentiel dans leur parcours. Ces constats nous amènent à travailler beaucoup autour de l’estime de soi et de la parentalité. » À Roanne, des appartements familiaux sont prévus pour que ces femmes puissent retrouver leurs enfants, si le juge les y autorise.
Le Figaro - le 13 janvier 2024