« Il existe un renversement des priorités »

Pierre-Marie Sève, délégué général de l’Institut pour la justice (IPJ), déplore l’état du service de santé en France


• PROPOS RECUEILLIS PAR CLAIRVIE QUESNE

Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer une étude comparative entre l’accès aux soins en prison et dans le reste de la France ?

C’est d’abord un constat : l’accès aux soins est parfois assez mauvais en France, notamment dans les zones rurales. Et la situation va en se détériorant. En parallèle, à l’IPJ, nous avons constaté une emphase particulière chaque fois que la question des soins en milieu carcéral est abordée. L’impression d’une plus grande préoccupation en prison que dans le reste de la France a créé chez nous un malaise. Nous avons donc voulu chiffrer cette réalité. Nous avons mis deux ans à le faire parce qu’il y a peu de documentation publique sur le sujet.

Comment avez-vous travaillé, si les données sont si rares ?

Nous nous sommes surtout appuyés sur le travail des autorités administratives indépendantes, qui font et publient régulièrement des études chiffrées en se plaignant de trop mauvais soins en prison. C’est par exemple le cas de la contrôleuse des lieux de privation de liberté, qui fait des visites en prison et fournit des rapports assez complets. Ensuite, nous les avons comparés aux territoires dans lesquels ces prisons sont implantées, grâce aux données de l’Insee.

Le sujet n’est-il pas celui des déserts médicaux plutôt que du moins mauvais accès aux soins des prisonniers ?

Vous avez évidemment raison. Mais il existe malgré tout une sorte de renversement des priorités qui est symptomatique d’un déclin civilisationnel réel. Ceux qui sont en prison, et qui ont donc mis un coup de couteau dans le contrat social, méritent moins l’attention du public et de l’État que les gens qui le respectent. Bien sûr, l’idéal serait d’avoir d’excellents services de santé pour tout le monde, aussi bien en population générale que parmi les détenus. Mais quand la situation est la nôtre, il est étonnant, voire injuste, que les détenus soient mieux lotis que les Français, notamment ruraux.

« Il est injuste que les détenus soient mieux lotis que les ruraux »

Dans un contexte d’inquiétude budgétaire, avez-vous identifié des soins superflus en prison ?

Nous ne nous sommes pas attardés sur des soins précis car il n’existe pas de documentation. Mais il faut garder en tête que beaucoup de détenus ont des situations sanitaires particulièrement dégradées, plus mauvaises que la population générale. La majorité des soins dispensés sont donc normaux, ordinaires, et pas choquants. Mais beaucoup de Français ordinaires y ont moins accès.

Ajoutons que, même si les soins sont justifiés, il existe une injustice objective, notamment sur le paiement du ticket modérateur. Nous payons tous un ticket modérateur lors d’une consultation, les détenus non. C’est sur ces injustices potentielles qu’il faut être vigilant, surtout en période de disette budgétaire.

On souligne souvent l’état de délabrement des prisons. A-t-il un impact sur la situation sanitaire des prisonniers ?

La grande majorité de ces soins répondent à des pathologies qui pré-existent à l’incarcération, donc celle-ci n’est pas à la base des problèmes sanitaires, même si parfois, cela n’aide pas. Il arrive en outre que les détenus soient envoyés à l’extérieur pour recevoir leurs soins. Quand les locaux pénitentiaires ne sont pas à la hauteur, on réquisitionne ceux du grand public.

Le JDD - le 3 novembre 2024

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