Pourquoi la surpopulation carcérale explose

Le 1er décembre 2023, le compteur affichait 75 677 détenus, pour 61 359 places opérationnelles. Un record.


• Paule Gonzalès

JUSTICE Objectif raté. Un an après son entrée en vigueur, la dernière réforme carcérale, qui visait à déconstruire l’échelle des peines - en rendant les plus courtes quasi hors la loi - et à accélérer les flux de détenus, a échoué à vider les prisons. Le 1er décembre 2023, le compteur affichait 75 677 détenus - pour 61 359 places opérationnelles -, un record. Une progression de près de 4 % par rapport à 2022. Jamais la surpopulation carcérale n’a été aussi forte, avec des densités qui atteignent 150 % en moyenne dans les maisons d’arrêt. Le nombre de matelas au sol a ainsi atteint les 2 748 en 2023, soit une hausse de 28,8 % en une année. Un tonneau des Danaïdes.

Depuis 2013, les réformes successives, qui visent à faire de la prison une exception, n’y changent rien : ni la loi de Christiane Taubira d’août 2015, ni celle de Nicole Belloubet de mars 2020, ni encore celle d’Éric Dupond-Moretti de décembre 2021 n’ont eu raison d’un fléau qui met pourtant à mal l’une des missions premières de l’administration carcérale, celle d’assurer la réinsertion des délinquants.

Aggravation des atteintes aux personnes

Pire : au cours des deux dernières années, les flux se sont accélérés. Entre le 1er janvier 2022 et le 1er décembre 2023, les chiffres pénitentiaires affichent 6 229 détenus de plus. À titre de comparaison, entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2022, le nombre de détenus était passé de 64 787 à 69 448. Soit une progression de 4 661 détenus seulement en dix ans.

La Chancellerie et les magistrats rappellent volontiers que le quantum des peines s’est alourdi. En matière délictuelle, la durée moyenne de l’emprisonnement ferme - ou de la partie ferme d’une peine mixte - a en effet augmenté de plus de deux mois entre 2000 et 2021, passant de 6,8 mois à 9. En matière criminelle, depuis 2005, la durée moyenne de l’emprisonnement ferme est passée de 14,4 à 16 ans. Le taux d’emprisonnement ferme, lui, est passé de 28 % en 2000 à 36 % en 2021. Ainsi, le nombre d’années d’emprisonnement ferme prononcées est passé de 55 000, en 1999, à 93 000, vingt ans plus tard. Si les atteintes aux biens sont en baisse l’an dernier, les chiffres montrent une aggravation des atteintes aux personnes et du niveau de violences, ainsi qu’une explosion de la délinquance dans les villes moyennes - qui se rapprochent des grandes villes sur ce critère.

Cette surpopulation est également liée aux dispositions prévues par la dernière loi « confiance dans la justice », entrées en vigueur au 1er janvier dernier. Avec notamment des mesures chères au garde des Sceaux concernant les crédits de réduction de peine et les libérations sous contrainte. Cela partait d’un bon sentiment : Éric Dupond-Moretti souhaitait que ces crédits de peine, qui amputaient automatiquement la détention de trois mois, s’obtiennent désormais au mérite et après examen. De quoi, par définition, ralentir les flux de sortants de prison, ce qui explique aussi la croissance exponentielle du nombre de détenus. En contrepartie, la loi facilite les libérations sous contrainte, un dispositif qui permet au détenu de purger la partie finale de sa peine hors de la prison. Celui-ci a été rendu quasi automatique pour les peines inférieures à deux ans, dès lors que le délinquant peut justifier d’un domicile. Or, le nombre de personnes suivies hors les murs par l’administration pénitentiaire évolue peu : entre juin 2022 et juin 2023, on compte respectivement 178 951 et 179 286 individus.

Les libertés conditionnelles se sont effondrées

Ces libérations sous contrainte ont certes augmenté de 25 % en 2023 par rapport à décembre 2022, mais elles n’ont toujours pas retrouvé le « rendement » de 2020, puisqu’elles sont en dessous du millier. Dans le même temps, depuis l’année du confinement, les libertés conditionnelles se sont effondrées. Selon les statistiques de l’administration pénitentiaire, elles sont ainsi passées de 6 304 en juin 2020 à 3 400 en juin 2023. Autant dire que les magistrats y regardent à deux fois avant de céder à des libérations inconsidérées. « Vu le niveau de violences, et le fait que la moitié des prisons est peuplée de détenus condamnés pour violences graves, vous imaginez si un magistrat prend la responsabilité de faire sortir un détenu qui va commettre un carnage, alors même que le gouvernement veut augmenter la responsabilité des juges ? », commente un cadre de la pénitentiaire.

Au sein de la macronie, on assure que seule la construction de places de prison résoudra la situation. Certes, la Chancellerie a annoncé que 4 300 places avaient déjà vu le jour ces dernières années et que fin 2024, la moitié des 15 000 nouvelles places prévues d’ici à 2027 seront opérationnelles. Pour autant, d’après les statistiques du 1er décembre dernier, le nombre de places opérationnelles nettes supplémentaires par rapport à l’année précédente est de 661, soit une hausse de 1,1 % en un an. On est très loin des 75 000 places opérationnelles espérées, alors le nombre de détenus approche les 76 000.


@LeFigaro - le 5 janvier 2024

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