De plus en plus de ruches sont installées dans les prisons françaises. Le centre pénitentiaire de Paris-La Santé, dans le sud de la capitale, propose même une formation à l’apiculture.
Dans cette prison, les détenus élèvent des abeilles
— framafad paca corse (@WaechterJp) October 7, 2024
De plus en plus de ruches sont installées dans les prisons françaises. Le centre pénitentiaire de Paris-La Santé, dans le sud de la capitale, propose même une formation à l’apiculture. @OuestFrance pic.twitter.com/2MRvkux5TW
• Michel ORIOT
Reportage
Un figuier, des massifs de sauge, de lavande, de longues tiges de soleils, tout cela au beau milieu de la cour de promenade entourée de hauts murs de béton et de barbelés. Nous sommes dans la cour de promenade du Module de respect de Paris-La Santé, dans le XIVe arrondissement de la capitale
Au pied des petits arbres, deux ruches. Autour, un petit groupe tout en blanc s’affaire, semblable à une troupe de cosmonautes. Six détenus et deux formatrices ont revêtu la vareuse d’apiculteur pour se protéger des piqûres d’abeilles. C’est la phase pratique de la formation, après une heure de théorie passée dans une salle de classe. Cette dixième séance sur les douze que compte le cycle permet d’obtenir un diplôme qualifiant d’apiculteur. Lorène Mouchet, 28 ans, initiatrice de la formation auprès de détenus pour le compte de l’association Happyculteur, promeut l’élevage des abeilles et la sensibilisation à la biodiversité .
Aujourd’hui, c’est la visite d’automne pour préparer l’hivernage : il faut ouvrir la ruche puis lever les cadres un à un. Lorène et sa collègue Mathilde Peguet prodiguent les conseils, en retrait : les détenus soulèvent un premier cadre avec précaution pour ne pas écraser d’abeilles, observent les deux côtés, cherchent la présence de la reine parmi les centaines d’abeilles agglutinées sur les alvéoles. Ici le couvain, ici le pollen, ici le miel…
Anticiper la sortie de prison
Chacun posera ensuite quelques lanières entre les cadres pour éliminer le varroa, ce pou ennemi de l’abeille. Et apprendra à soupeser la ruche : Il faut la lever à moitié pour se rendre compte si la ruche est légère ou pas. Si elle est légère, il n’y a pas assez de réserves de miel, il faudra nourrir les abeilles », détaillent les formatrices. En juillet, les participants ont eu le plaisir de récolter une soixantaine de kilogrammes de miel qu’ils ont mis en pot, avec l’étiquette « Le miel et les garçons ».
Lorène Mouchet, professionnelle depuis trois ans, élève ses propres ruches dans la vallée de Chevreuse, entre les Yvelines et l’Essonne. Elle a aussi enseigné l’apiculture dans des centres de loisirs, en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), au sein de l’association parisienne Happyculteur. J’avais envie de proposer une formation pour les détenus. Et cela a été relativement facile.
Bruno Clément-Petremann, directeur de Paris-La Santé, un humaniste et un ardent défenseur de l’insertion des détenus, a très naturellement accueilli le projet de l’apicultrice : Depuis 1945, on a mis en lumière le fait que la prison devait être un temps utile. Pas seulement un moment où les gens sont enfermés et écartés de la société, mais surtout un moment où on anticipe le retour à la vie libre et la sortie de la personne condamnée.
Le directeur est confiant dans cette pratique innovante : Il est tout à fait envisageable que des détenus à leur sortie continuent à s’adonner à ça, sans doute à titre amateur aussi. Mais, en tout cas, on les a éveillés à quelque chose.
Un examen et une remise de diplômes
Aude Lidsky, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation, acquiesce : L’apiculture est une activité qui change. On a tendance à proposer des programmes très liés à la prévention de la récidive ou seulement occupationnels. Là, cette formation permet l’insertion par des compétences utiles pour la sortie et crée une occupation en échange avec des personnes extérieures.
Autour des apprentis apiculteurs, d’autres détenus font une pause dans la cour, discutent, arrosent les fleurs, ou exécutent des mouvements de gym. Certains hèlent le groupe, très intéressés. Mais il n’y a pas de place pour tout le monde.
Au sein des deux premières promotions, seize détenus ont décroché leur diplôme. Et pour ça, ils ont dû passer un examen : Pour la partie pratique, nous les évaluons sur leur capacité à s’équiper en sécurité, à désinfecter leur matériel, à reconnaître les différentes parties de la ruche… Pour la théorie, une vingtaine de questions appellent parfois des explications développées sur la tenue d’un rucher, la biologie de l’abeille…
Le 18 octobre aura lieu la remise des diplômes de la troisième promotion, dans la cour de promenade. Un moment fort vécu autour de jus de fruit, de pots de miel et de petits cadeaux. Le directeur se souvient d’une remise précédente. Un détenu m’a dit : c’est la première fois que je reçois un diplôme !
Ouest France, le 6 octobre 2024