Trafic de drogue en prison : ce projet de décret qui crée la polémique

 Face à la recrudescence des incidents et au manque de personnel, l’exécutif veut privilégier les alternatives aux poursuites. Les syndicats sont vent debout.


• Paule Gonzalès

XXL à l’extérieur de la prison, XXS derrière ses murs. Alors que Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti vont sur le terrain pour piloter en direct des opérations antistupéfiants à l’efficacité déjà jugée toute relative, la Chancellerie a présenté aux organisations syndicales de la pénitentiaire un décret qui rebat les cartes du droit disciplinaire en détention. Face à la recrudescence des incidents en prison et à l’incapacité pour l’administration pénitentiaire d’y répondre en temps utile - faute de personnels en nombre suffisants et de lieux pour effectuer d’éventuelles sanctions -, le nouveau texte s’inspire du droit pénal pour l’acculturer au monde des prisons : désormais, à l’exception de faits extrêmement graves, que le décret énumère restrictivement - « une atteinte volontaire aux personnes et à la sécurité de l’établissement ainsi que celles à caractère terroriste » -, toute infraction disciplinaire pourra faire l’objet d’une alternative aux poursuites.

 

Le texte en préparation, daté du 14 mars, « permet d’exclure l’ensemble des fautes du premier degré - les plus graves (NDLR) - à l’exception des stupéfiants qui pourront faire l’objet d’une procédure alternative ». Le texte précise aussi les mesures de réparation pouvant être prononcées. « Des mesures à visée essentiellement pédagogique : le rappel à la règle ; la rédaction d’une lettre d’excuse/d’un écrit en lien avec les faits ; les mesures de privation avec un quantum réduit à 8 jours : la privation d’exercer des achats en cantines (hors tabac, hygiène et correspondance) d’une ou plusieurs activités culturelles, sportives ou de loisirs (hors culte, enseignement, travail pénitentiaire et formation professionnelle), d’un appareil acheté ou loué via l’administration », ainsi que des« mesures restauratives (…) ».

Pour bien des organisations syndicales de surveillants, ce décret risque de mener à « l’impunité des trafics à l’intérieur des prisons », qu’il s’agisse de stupéfiants ou de téléphones mobiles, dont la recrudescence des saisies - 53 000 en 2023 - en dit long sur le nombre de portables qui circulent en détention. L’image du gros bonnet des stups qui continue son trafic derrière les barreaux en s’appliquant à rédiger une lettre d’excuses est assez vertigineuse…

À la Chancellerie, on rappelle que « le texte est toujours en cours d’élaboration et peut être amendé. Avec la surpopulation carcérale, on ne veut pas que les détenus pensent que nous n’avons pas assez de bande passante pour les sanctionner, même pour les plus petites infractions. » Le cabinet du ministre affirmait même hier « qu’une nouvelle version datée du 25 mars exclut les stupéfiants ». Mais, à cette même date, le syndicat de surveillants SPS a publié un tract furieux au sortir d’une réunion de présentation du texte : « Il nous est aussi indiqué qu’en matière de stupéfiant, la découverte de petites quantités (à l’appréciation de chaque chef d’établissement, la blague…) pourrait faire l’objet d’une procédure alternative à une poursuite disciplinaire. Mais de quelle quantité ? Est-on sur la voie de la légalisation ? » Parmi les cadres de la pénitentiaire, on reconnaît que ce décret répond à « la massification des infractions liée notamment à la surpopulation carcérale et à la volonté de trouver une réponse, quelle qu’elle soit. Cela reste une fuite en avant, qui souligne l’échec de l’institution à gérer les incidents entre nos murs ». « Nous y sommes favorables par défaut, pour maintenir une réponse dans le contexte de la hausse fulgurante de la population pénale », commente Sébastien Nicolas, secrétaire national de FO-direction. À l’Ufap, l’un des grands syndicats de surveillants, le secrétaire national Wilfried Fonck affirme que « l’on retrouve la volonté institutionnelle d’une normalisation carcérale afin de rapprocher le régime des prisons de celui à l’extérieur. La peine est réduite à la privation de liberté mais non celle des droits. Des droits qui n’ont cessé d’augmenter sans obligation des détenus en retour. » Chez FO-surveillants, syndicat majoritaire, on jure avoir obtenu le principe de sa suppression.

Aucune amende ne peut être infligée en détention

Aujourd’hui, selon les professionnels de la pénitentiaire, le trafic de stupéfiants est endémique et très peu sanctionné : « À titre d’exemple, 400 g de produit ont été saisis à la prison de Mulhouse-Lutterbach entre mi-novembre et mi-décembre 2023. Récemment, ce sont plus de 800 g au CP Perpignan. Personne ne peut imaginer que ce soit de la “consommation personnelle” », note un surveillant encarté dans une des grandes organisations syndicales. « Or les sanctions disciplinaires, qui n’excluent pas les poursuites pénales, sont limitées. Dernièrement, pour 280 g de résine, la sanction n’a pas dépassé les dix jours de cellule de discipline ; et un autre détenu, pris en possession de 115 g de produit, a été sanctionné de 14 jours de confinement en cellule, révèle cette source. En sachant que les prix en prison sont deux fois supérieurs à ceux pratiqués à l’extérieur, c’est un trafic très juteux », pour les trafiquants, qui n’ont aucun mal à se faire payer même si, officiellement, il n’y a pas d’argent en prison.

« Des proches à l’extérieur transmettront une enveloppe à un intermédiaire, ou bien le paiement s’effectuera par un achat en cantine, à l’intérieur », indique un surveillant. « Les grands délinquants ont beaucoup d’argent qu’ils peinent à dépenser, car c’est de l’argent sale, en liquide. Ils sont prêts à payer des biens très chers », souligne un directeur de maison d’arrêt. Ce dernier est convaincu que « la seule manière de rendre la prison efficace est de rendre la délinquance non rentable. Et pour cela, s’attaquer aux coûts et avantages qu’elle génère et que mesure très précisément chaque détenu », souligne-t-il.

Les trafics en détention se sont aggravés au fil du temps et de l’assouplissement du droit pénitentiaire. Au début des années 1980, les séparations aux parloirs sont supprimées et, en 2009, les fouilles à la sortie interdites. Les personnels pénitentiaires n’ayant pas le statut d’officier de police judiciaire, aucune amende ne peut être infligée en détention, une rupture d’égalité, d’ailleurs, des citoyens devant la loi. Paradoxalement, la suppression des crédits automatiques de peine a privé l’administration pénitentiaire d’un levier disciplinaire efficace. Les procédures alternatives ne devraient pas arranger les choses : « Elles engendreront une bureaucratie incroyable. De quoi emboliser le système qui ploie déjà sous les stocks d’incidents », prévient l’Ufap.

LE FIGARO - le 4 avril 2024

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