Affaire Amra | La surveillance en prison de « la Mouche » a permis de mieux cerner son profil. Néanmoins, l’enregistrement des téléphones ou des conversations des détenus est strictement encadré par la loi.
L’écoute des détenus, un atout pour les enquêteurs
— framafad paca corse (@WaechterJp) May 27, 2024
La surveillance en prison de « la Mouche » a permis de mieux cerner son profil. Néanmoins, l’enregistrement des téléphones ou des conversations des détenus est strictement encadré par la loi. @le_Parisien pic.twitter.com/ZaimXTTmOl
Timothée Boutry
Pendant plusieurs mois, en 2022 et 2023, comme notre journal l’a révélé, Mohamed Amra continuait à gérer ses activités criminelles depuis la prison de la Santé (Paris XIV e). Enquêteurs et magistrats n’ont rien manqué de ses conversations. Et pour cause, la cellule de ce délinquant chevronné de 30 ans, en fuite depuis l’attaque meurtrière de son fourgon pénitentiaire le 14 mai, était sonorisée.
Avec la prolifération des portables en détention, une cellule peut vite se transformer en bureau d’ordre du crime. « On s’adapte en utilisant tous les moyens d’enquête à notre disposition », relate un magistrat.
« Un acte extrêmement intrusif »…
Depuis la loi dite Perben 2 de 2004, la captation de paroles ou d’images est permise dans les lieux privés : véhicules, locaux d’habitation mais aussi cellules ou parloirs. Ce recours n’est possible que dans les enquêtes sur la criminalité organisée et la grande délinquance financière. La validation d’un juge du siège est indispensable. Quand l’enquête est entre les mains d’un juge d’instruction, ce dernier peut ordonner une sonorisation pour une durée de quatre mois renouvelable jusqu’à deux ans.
Lorsqu’il s’agit d’une enquête du parquet, l’autorisation d’un juge des libertés et de la détention (JLD) est indispensable et la durée est beaucoup plus limitée : un mois renouvelable une fois. « Il s’agit d’un acte extrêmement intrusif, c’est la raison pour laquelle le législateur a prévu le visa obligatoire d’un juge qui doit vérifier que cette atteinte à la vie privée est nécessaire », explique Sébastien Fucini, maître de conférences en droit privé à l’université d’Aix-Marseille. « En revanche, poursuit l’universitaire, la Cour de cassation a considéré en 2015 que la sonorisation d’un local de garde à vue était déloyale, car il s’agit d’une mesure au cours de laquelle on a le droit de garder le silence. »
Sébastien Fucini rappelle que, l’an dernier, le Conseil constitutionnel a censuré une des dispositions de la loi de programmation sur la justice. Le gouvernement entendait autoriser l’activation à distance d’appareils électroniques à l’insu de leurs propriétaires afin de capter des sons et des images. Les Sages y ont vu une atteinte trop importante au droit au respect à la vie privée. « On a obtenu de beaux résultats au départ avec les sonorisations de parloirs, éclaire un juge d’instruction. Il nous arrivait même de délivrer des permis de visite à certains proches des détenus dans l’espoir qu’ils les fassent parler. Aujourd’hui les mis en cause font davantage attention. »
Cela n’empêche pas les bonnes surprises. Dans le dossier du projet d’attentat avant l’élection présidentielle de 2017, l’un des accusés, Clément Baur, s’était épanché auprès de son père au parloir, ce qui avait permis de nourrir l’instruction. « Les sonorisations de cellules sont beaucoup plus rares, poursuit le juge. La quantité d’informations à traiter est considérable. »
Cette fois, il s’agit d’intercepter les conversations téléphoniques des détenus disposant d’un téléphone portable. Pour les investigations pilotées par un juge d’instruction, le recours à une écoute est possible pour tous les délits passibles d’une peine supérieure à trois ans de prison. La durée maximale autorisée est d’un ou deux ans selon l’infraction visée. Quant aux enquêtes du parquet, les écoutes sont réservées au haut du spectre de la délinquance, et le délai maximal est d’un mois.
… et « chronophage »
Ici, les magistrats s’efforcent de faire d’une situation a priori anormale — la détention d’un téléphone en cellule — un atout. « Cela peut être très pratique, d’écouter un détenu, savoure un magistrat. Mais avec le développement des messageries cryptées, il est de plus en plus rare d’intercepter des communications. D’une manière générale, il faut savoir trouver le juste milieu car les écoutes sont très chronophages pour les enquêteurs. » Les détenus ont par ailleurs accès à des téléphones fixes avec lesquels ils ont le droit de converser avec un certain nombre d’interlocuteurs dédiés. Mais ils le savent, ces échanges sont enregistrés et peuvent être écoutés en direct.
Enfin, le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) a la possibilité de procéder à des écoutes administratives. Leur contenu peut être judiciarisé. Ainsi est-il apparu que la salle de convivialité de la prison de Condé-sur-Sarthe (Orne) était sonorisée et que les préparatifs de l’agression perpétrée en 2019 par un détenu radicalisé avaient été enregistrés
Aujourd’hui en France - le 24 mai 2024