« On sous-estime le potentiel de nuisance de prisons mal gérées »

ANALYSE Pierre-Marie Sève, directeur de l’Institut pour la justice (IPJ), revient sur les différentes annonces des dernières semaines concernant les prisons


• PROPOS RECUEILLIS PAR CHARLOTTE D’ORNELLAS

Gérald Darmanin multiplie les déplacements pour mettre en place ses prisons de haute sécurité destinées aux détenus les plus dangereux. Comment accueillez-vous cette mesure ?

L’ensemble des prisons a un réel défaut de sécurisation. Prenons un exemple : beaucoup de Français sont légitimement choqués de l’utilisation des portables en prison. Mais depuis des années, l’installation de brouilleurs se heurte au refus des syndicats de surveillants qui n’ont pas envie de subir le désagrément à leur tour. C’est dans ce contexte que le garde des Sceaux réclame un régime d’exception pour les détenus les plus dangereux, et il a raison. Ce n’est pas la révolution carcérale que nous attendons, mais c’est une décision pragmatique : commencer par les profils les plus inquiétants. C’est un petit pas dans la bonne direction.


Le ministre évoque sa volonté de séparer les détenus afin de prévenir toute contagion criminelle…

Là aussi, il est logique de séparer les détenus selon leur dangerosité. Les surveillants le font déjà d’ailleurs, autant qu’ils le peuvent, au moment de l’arrivée des détenus dans les établissements ordinaires. Les détenus islamistes sont par exemple les plus isolés – ce qui aggrave d’ailleurs la suroccupation carcérale. Mais c’est sans doute un peu artisanal, c’est donc une bonne chose de vouloir l’inscrire dans la loi.

En France, un quart de nos détenus sont étrangers…

Que pensez-vous de la volonté, soutenue par Emmanuel Macron, de faire participer financièrement les prisonniers à leur incarcération ?

D’abord, il faut savoir que cela a existé. C’est… Robert Badinter qui l’avait mis en place, défendant une mesure au profit des victimes ! C’est là aussi une bonne mesure, mais qui restera symbolique parce qu’il existe déjà une ponction [minime, NDLR] des détenus pour leurs victimes, il ne restera donc pas grand-chose…

Que pensez-vous d’une proposition un peu plus ancienne, mais toujours d’actualité, qui vise à faire purger les peines des étrangers… à l’étranger ?

En France, un quart de nos détenus sont étrangers… Il faut effectivement réagir ! Le ministre a donc abordé le sujet des transfèrements de détenus, afin qu’ils ne purgent pas leur peine en France. Le seul problème est que c’est aussi une décision très compliquée à mettre en place. Dans l’UE, les procédures sont plus simples, mais en dehors, et en particulier au Maghreb (qui concentre les principaux pays d’origine des détenus étrangers), c’est beaucoup plus compliqué. Sans parler du cas de l’Algérie… Cette mesure nécessite donc une très forte volonté politique que je ne décèle pas chez le président de la République.

Quel est votre regard sur l’éventuelle location de places de prison à l’étranger, en l’absence de places suffisantes en France ?

J’ai entendu Emmanuel Macron évoquer cette idée et je ne peux m’empêcher de penser qu’il se réveille vraiment tard… La suroccupation carcérale était déjà un problème immense quand il est arrivé au pouvoir ! Il avait d’ailleurs promis 15 000 places de prison en cinq ans, que nous attendons toujours huit ans plus tard…

Il a soutenu la création de prisons moins sécurisées, moins chères et plus rapides à construire…

Il faut le faire en effet : adapter le niveau de sécurisation aux délinquants est du bon sens. Gérald Darmanin a ainsi promis la construction imminente de 3 000 places. Le premier problème est que ces infrastructures légères ne concerneront pas la grande majorité des détenus car, en France, l’écrasante majorité des délinquants envoyés en prison ont des profils dangereux. Et puis, il faudra voir l’exécution concrète. Ces prisons doivent conserver un niveau de sécurité important et être réservées réellement aux détenus moins dangereux, pas au tout-venant. De manière générale, on sous-estime le potentiel de nuisance de prisons mal gérées. Prenez l’exemple récent de l’Équateur, en Amérique du Sud. Le crime organisé est en train de faire basculer le pays et tout cela…

Est parti des prisons. On ne « joue » pas avec les prisons. Or, en France, des détenus commanditent des opérations criminelles depuis les prisons, quand ils ne s’échappent pas tout simplement… C’est aussi une conséquence d’une suroccupation qui rend les prisons ingérables.

Lors de son interview cette semaine, Emmanuel Macron a affirmé que personne n’échappait à la prison en raison du manque de places. Que répondez-vous ?

Il se trompe, dans le meilleur des cas. Le sujet des places de prison est le goulot d’étranglement de toute la chaîne pénale, c’est là que ça coince ! Les magistrats reçoivent chaque mois un document leur indiquant le taux d’occupation carcéral, ils s’adaptent forcément. Le problème est tel que ces dernières années, constatant l’incapacité de la puissance publique à construire des prisons, même la loi s’est adaptée. Aujourd’hui, le Code pénal dispose que « toute peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours ».

Revenons donc à la location de places à l’étranger… Est-ce une bonne idée ?

Pourquoi pas. Mais on risque encore d’avoir une usine à gaz. Il faut organiser le transfert, se mettre d’accord sur le régime juridique qui s’y appliquera… Les Norvégiens, qui ont envoyé des détenus aux Pays-Bas, avaient dû former des agents au droit norvégien par exemple… Or nous en manquons. Cela dit, un détenu nous coûte 100 euros par jour en France, il n’est pas impossible que la location de places soit avantageuse économiquement… Mais c’est encore une fois temporaire. De notre côté, nous considérons que, pour faire baisser la population carcérale, il faut faire baisser la population délinquante. Il faut donc drastiquement tarir les flux migratoires et séparer le bon grain de l’ivraie parmi les étrangers déjà là : ceux qui commettent des délits doivent par principe être expulsés à la fin de leur peine. Cette expulsion automatique est un des principaux axes de travail de l’Institut pour la justice.

C’est-à-dire ?

Dès qu’un sujet de justice pénale passe devant l’Assemblée, nous proposons des amendements pour contraindre le juge à prononcer une peine obligatoire d’expulsion du territoire. Nous l’avons proposé pour les auteurs de squat, d’homicide routier, et nous venons de le faire également dans la loi contre le narcotrafic. L’amendement a été adopté, avec un avis favorable du gouvernement ! Nous en sommes très heureux.

Ces interdictions seront-elles suivies d’effet ?

C’est en tout cas beaucoup plus efficace que les OQTF ! Parce que, certes, le problème des OQTF est la délivrance des laissez-passer consulaires. Mais il y a un autre problème dans l’OQTF : c’est que la personne qui la subit peut effectuer recours sur recours devant le tribunal administratif. Alors que la mesure que nous préconisons, l’interdiction de territoire français (ITF), est une décision judiciaire : il n’y a donc pas de recours possible devant le tribunal administratif ! On gagne un temps fou. Et par ailleurs, à part l’Algérie, la plupart des pays prêtent plus d’attention à une décision judiciaire qu’administrative.

Le JDD - le 18 mai 2025

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