Au total, 26 suspects avaient été arrêtés mardi soir, au terme d’une traque complexe où plus de cent « techniques spéciales » ont été utilisées.
Attaques des prisons : dans les coulisses d’une enquête hors norme
— framafad paca corse (@WaechterJp) May 5, 2025
Au total, 26 suspects avaient été arrêtés mardi soir, au terme d’une traque complexe où plus de cent « techniques spéciales » ont été utilisées. @Le_Figaro pic.twitter.com/Nah7OWjRMQ
- Christophe Cornevin Paule Gonzalès
Défié par les petits caïds du narcotrafic, piqués au vif par l’ouverture prochaine de deux quartiers de haute sécurité à Vendin-Le-Vieil et Condé-sur-Sarthe, l’exécutif riposte avec une nouvelle loi censée endiguer l’avalanche de drogues qui déferle sur le pays. Le texte, définitivement adopté ce mardi à l’Assemblée nationale, sonne comme une victoire pour le gouvernement. Sur le terrain, les policiers, qui viennent de placer un 26e suspect - dont 3 issus de la DZ Mafia marseil-laise - en garde à vue, poursuivent l’enquête sur la récente série d’attaques visant les établissements pénitentiaires. Les grands moyens ont été mobilisés pour résoudre ce casse-tête.
Une série d’attaques qui a d’abord dérouté les autorités
Quinze jours ont été nécessaires avant de mener ce coup de filet, tant le spectre des attaques était à la fois vaste sur le plan géographique que varié dans ses modes opératoires. « D’emblée, c’est parti dans tous les sens, un vrai casse-tête », souffle un enquêteur. Jets de cocktails Molotov contre des véhicules sur le parking de l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Enap) à Agen et incendies volontaires sous les fenêtres de la maison d’arrêt de Villepinte, tirs au fusil à pompe sur un local de l’équipe régionale d’intervention (Eris) à Luynes et rafale de kalachnikov contre la porte de la prison de Toulon, survols de drones malveillants, tags et menaces de mort…
Au total, 130 faits ont été répertoriés par le ministère de l’Intérieur. « Même si la piste des narco-racailles a vite été évoquée par Bruno Retailleau et François Bayrou, la mode opératoire a fait souvent penser à des pieds nickelés », grince-t-on de même source. « Si tout semblait coordonné, rien n’a permis d’orienter les investigations vers un syndicat du crime à la française », concède une source informée. La confusion était d’autant plus forte que nombre d’assauts étaient perpétrés au nom d’une mystérieuse « DDPF », pour « Droit des prisonniers français ». Au nez et à la barbe de la fine fleur de la police, les assaillants allaient même jusqu’à se filmer et se vanter de leurs exploits sur les réseaux sociaux, créant au passage des émules. Mises au défi, les autorités ont dégainé les grands moyens pour sortir de l’ornière.
La difficulté d’assurer la protection des agents pénitentiaires
En tout, l’administration pénitentiaire compte 44 200 agents, dont plus de 30 600 personnels de surveillance en détention et 5 300 personnels d’insertion et de probation. Ce sont les surveillants qui sont en première ligne des menaces, des intimidations et des violences. Des violences qui commencent en détention, à raison de plus de 5 000 incidents par an depuis plusieurs années déjà. Le 13 avril dernier, elles ont débordé les établissements pénitentiaires pour se propager jusqu’aux véhicules des personnels sur les parkings ou, pire encore, jusqu’à leur domicile.
Compte tenu du nombre de fonctionnaires, il est impossible de protéger individuellement chacun d’entre eux. Par ailleurs, les surveillants habitent souvent à proximité des domaines pénitentiaires, parfois dans des logements sociaux où ils côtoient les familles des détenus, de sorte que chacun sait où ils vivent. D’où la nécessité d’une enquête rapide. Il s’en est d’ailleurs fallu de peu pour que le monde des surveillants ne s’enflamme comme un brasier. Lors de la publication de son rapport annuel, mardi, le Conseil supérieur de la magistrature s’est inquiété de cette violence croissante contre les juges et contre la pénitentiaire qui signe, comme l’ont rappelé Élisabeth Guigou et Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, une volonté très profonde de s’en prendre à l’État de droit.
La saisine du Parquet national antiterroriste était logique
Contrairement à une idée reçue, nul ne peut saisir le Parquet national antiterroriste (Pnat). Lui seul peut se saisir s’il estime que les infractions entrent dans des qualifications très précises. C’est ce qui s’est passé dès le 21 avril, le Pnat estimant que les faits pouvaient correspondre à des qualifications terroristes telles que « la participation à une association de malfaiteurs terroriste en vue de crime contre les personnes », « la tentative d’assassinat sur personne dépositaire de l’autorité publique en relation avec une entreprise terroriste », ou encore « la dégradation ou détérioration en bande organisée du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes en relation avec une entreprise terroriste ».
En filigrane, pour les magistrats antiterroristes, le risque d’actions menées par des mouvements extrémistes ou la crainte d’une ingérence étrangère. « La nature des faits, les cibles choisies et le caractère concerté d’une action commise sur de multiples points du territoire, ainsi que l’objectif qu’ils poursuivent de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation » ont motivé sa décision. « En se fondant sur les qualifications les plus hautes, le Pnat a pu diligenter les techniques d’enquête les plus sophistiquées et les plus intrusives, issues des lois successives depuis les attentats de 2015 », souligne un magistrat de l’antiterrorisme. Le Pnat est même allé plus loin en créant une équipe commune d’enquête avec la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco), afin de balayer aussi le spectre du narcotrafic.
Une traque hors norme, lors de laquelle les enquêteurs ont déployé des « techniques spéciales »
Pas moins de 320 policiers ont été sur la brèche avant de mener lundi leur coup de filet. Sous la coordination de la Sous-direction antiterroriste (Sdat), cosaisie avec la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dix-huit services ont travaillé main dans la main. « Chacun s’est emparé du dossier », se félicite une source informée. Selon nos informations, les enquêteurs ont utilisé près de cent « techniques spéciales » d’enquête pour retrouver les incendiaires et les tireurs présumés. Ces dernières ont principalement permis de géolocaliser de suspects, de suivre leurs véhicules grâce à des balises et de placer leurs téléphones sur écoute. « La prévention de la criminalité organisée devient le principal motif de surveillance en nombre de personnes », souligne le dernier rapport de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui précise que 7 058 trafiquants présumés ont été espionnés en 2023. Soit une augmentation de 29 % par rapport à l’année précédente. C. C. ET P. G.
Le Figaro - le 30 avril 2025