Le ministre de la Justice a annoncé lundi 28 avril, sur « TF1 », son intention de faire payer aux détenus une partie des frais d’incarcération. « Ouest-France » décrypte en cinq questions cette proposition, qui est loin de faire consensus au sein de la classe politique.
5 questions sur l’annonce de Gérald Darmanin de faire payer aux détenus une partie des frais d’incarcération. « Ouest-France » décrypte en cinq questions cette proposition, qui est loin de faire consensus au sein de la classe politique. https://t.co/N12rXGyWUk
— framafad paca corse (@WaechterJp) May 5, 2025
L’annonce est très commentée depuis hier soir. Sur le plateau du 20 heures de TF1, lundi 28 avril 2025, le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a affirmé qu’il allait modifier la loi pour que les détenus participent à leurs frais d’incarcération. Un forfait de présence qui a été supprimé en 2023.
🔴 Gérald Darmanin (@GDarmanin), invité du 20H de @GillesBouleau
— TF1Info (@TF1Info) April 28, 2025
🗣️ Prisons : "Je vais rétablir les frais d'incarcération. Aujourd'hui, le fonctionnement de nos prisons coûte 10 millions d'euros par jour. Les détenus doivent contribuer aux frais d'incarcération." pic.twitter.com/4RK7CJ2uzP
« Les détenus doivent contribuer aux frais d’incarcération », a-t-il déclaré, comparant cette mesure aux frais d’hospitalisation que doivent régler les patients. Sans entrer dans le détail des montants envisagés, le ministre a précisé que les sommes récoltées serviraient directement à l’amélioration des conditions de travail du personnel pénitentiaire.
1. Que propose exactement Gérald Darmanin ?
Jusqu’en 2003, les personnes détenues en France voyaient leur compte nominatif ponctionné au titre des « frais d’entretien ». Ce compte, qui existe toujours, ouvert à leur arrivée en détention, leur permet de percevoir de l’argent de leurs proches pour cantiner (acheter des produits dans la limite de leurs moyens), rembourser les victimes ou se constituer une épargne.
Le ministre de la Justice souhaite rétablir ces « frais d’entretien », « comme il y a un forfait hospitalier. […] Une participation me paraît une bonne mesure », a-t-il défendu sur TF1. « Nous allons travailler ensemble pour que ce soit un montant qui soit symbolique, mais important pour qu’on arrête avec une sorte de laxisme qui existe dans nos prisons françaises », a-t-il dit.
Dans sa lettre, envoyée à l’occasion de l’interpellation de 25 personnes dans l’enquête sur les récentes attaques de prison et publiée hier soir sur X, il indique que la « somme récoltée ira directement à l’amélioration » des conditions de travail des agents pénitentiaires.
Chers agents de l’administration pénitentiaire,
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) April 28, 2025
Les violences et les menaces absolument inacceptables commises contre vous et contre les prisons ces derniers jours vous ont légitimement choqués.
J’ai été, durant toute cette période à vos côtés et aux côtés de vos… pic.twitter.com/vbauCgcp1z
Gérald Darmanin a également souligné l’importance de continuer à favoriser le travail en détention et d’orienter les revenus des détenus vers le remboursement des victimes.
2. Combien cette mesure rapporterait-elle à l’État ?
Selon le ministre de la Justice, « aujourd’hui, ça coûte 10 millions d’euros par jour, le fonctionnement de nos prisons, quasiment quatre milliards d’euros par an ». Une estimation qui émane d’un rapport de la Cour des comptes sur la surpopulation carcérale, publié en octobre 2023. « Il ne s’agit pas de faire payer les quatre milliards aux détenus, bien évidemment, mais une participation aux frais, au service public de la justice », a par ailleurs précisé le garde des Sceaux. D’après l’entourage du ministre, les indigents et les personnes placées en détention provisoire ne seront pas concernés par cette mesure.
Selon les députés Éric Pauget (LR) et Christophe Naegelen (Liot), qui ont déposé deux propositions de loi soutenant l’idée de Gérald Darmanin, la contribution des détenus pourrait permettre de récupérer environ 80 millions d’euros par an, de quoi financer la construction d’une prison de 250 places chaque année. Ces textes prévoient que les sommes soient prélevées sur les revenus issus d’une activité professionnelle réalisée en détention, mais aussi sur d’éventuels autres revenus ou sur le produit de la vente de leur patrimoine saisi.
3. Comment le ministre compte-t-il la mettre en œuvre ?
Pour cela, « il faut modifier la loi », a indiqué Gérald Darmanin. Autrement dit l’article 717-3 du Code de procédure pénale, anciennement article 720, selon lequel « le produit du travail des détenus ne peut faire l’objet d’aucun prélèvement pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire ».
Le ministre a aussi annoncé qu’il allait soutenir une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale allant dans ce sens. Selon l’entourage du ministre, les textes d’Éric Pauget et de Christophe Naegelen devraient être examinés prochainement par les parlementaires. Aucun de ces textes n’avait jusqu’ici abouti. La démarche a un avantage non négligeable : les propositions de loi ne nécessitent ni étude d’impact ni avis du Conseil d’État, contrairement aux projets de loi.
4. Quelles réactions suscite cette annonce ?
Plusieurs organisations, des magistrats et des avocats ont vivement dénoncé la proposition de Gérald Darmanin, la jugeant « démagogique ». « Le ministre de la Justice poursuit sereinement son entreprise de démagogie carcérale », a dénoncé l’Observatoire international des prisons (OIP) ce mardi matin dans un communiqué.
Son directeur, Jean-Claude Mas, a déploré « une proposition hors sol et consternante » qui « ne prend pas en compte la situation très précarisée de la majorité des personnes détenues » et qui « s’inscrit dans une surenchère punitive extrêmement préoccupante ». Et les personnes détenues, « pour deux tiers incarcérées dans des maisons d’arrêt surpeuplées », payent déjà en prison, où « la vie coûte extrêmement cher », a-t-il ajouté.
Selon François Molins, ancien procureur général de la Cour de cassation, interrogé sur BFMTV, faire payer les détenus « n’est pas le problème prioritaire dans les prisons ». La priorité « est d’avoir suffisamment de places pour héberger les gens, de leur offrir des conditions (d’incarcération) acceptables », a-t-il précisé, rappelant que la France avait été condamnée à plusieurs reprises pour ses conditions de détention « jugées indignes ».
💬 "Ce n'est pas le problème prioritaire"
— BFMTV (@BFMTV) April 29, 2025
➡ L'ancien procureur François Molins réagit à la proposition de Gérald Darmanin de rétablir les frais d'incarcération pour les détenus pic.twitter.com/Yi3pK0PYvl
Le Syndicat de la magistrature, joint par l’AFP, a fustigé « une proposition démagogique, particulièrement indécente au regard des conditions indignes » de détention et « en totale déconnexion avec la situation économique des personnes détenues ». Certains prisonniers s’entassent « à trois dans six mètres carrés, avec des vermines partout, des punaises de lit, des cafards, des rats qui galopent partout », a rappelé Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté. « Et ça, on veut le faire payer ? » « Qu’il commence par recruter des surveillants » et « vider les prisons des gens qui n’ont rien à y faire, tels que les malades psychiatriques », s’est-elle insurgée.
« C’est la surpopulation carcérale qui crée des conditions de détention indignes, et qui par effet ricochet, dégrade les conditions de travail des surveillants pénitentiaires », souligne Juliette Chapelle, avocate pénaliste et membre de l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus. Selon elle, « faire payer les détenus pour l’amélioration des conditions de travail », c’est « déplacer la responsabilité de l’État » quant aux conditions de détention et de travail des agents pénitentiaires.
« Envisager une telle mesure avant d’avoir totalement réglé la question du parc pénitentiaire, ça me paraît une hérésie », a réagi l’ancien ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, au micro de RTL. « Qu’est-ce qu’on va faire payer à certains détenus ? Les rats qui courent dans les coursives ? Dans les cellules ? Les matelas qui sont au sol ? À quel prix ? Et puis enfin, cet argent-là, c’est de l’argent qui ne serait pas versé aux victimes », a-t-il ajouté.
5. Cette mesure est-elle en place dans d’autres pays ?
Dans sa proposition de loi, le député Éric Pauget note que le Danemark, la Norvège et la Suède font « prendre en charge tout ou partie des frais d’incarcération par les détenus ». Au Danemark, les détenus sont obligés de travailler, tandis que seul un tiers des prisonniers a accès à une activité rémunérée pendant la détention en France. Le député constate aussi qu’en Suisse, « les détenus doivent payer la totalité de leurs repas », rappelle Le Dauphiné Libéré.
En Italie, les détenus qui travaillent doivent payer une partie de leurs frais d’hébergement et les frais de procédure, dans la limite de 40 % de leurs gains. Aux États-Unis, où les prisons sont largement privées, certains prisonniers doivent souvent payer un loyer-repas. En France, un tiers des prisons sont partiellement gérées de manière privée (maintenance des bâtiments, repas, blanchisserie, accueil des familles…).