LES DEUX VISAGES DE L’ ÉTAT FACE LA GUERRE DES PRISONS

ATTAQUE La prison de Toulon-La Farlède, dans le Var, a été visée par une quinzaine de tirs de Kalachnikov.


• PAR JULES TORRES

Attaques coordonnées, agents ciblés, prisons sous tension : face à la montée des violences, Gérald Darmanin et Bruno Retailleau organisent la riposte. Une guerre souterraine s’engage entre l’État et les narcotrafiquantsLe crépitement des kalachnikovs, les voitures de surveillants brûlées, les graffitis de guerre sur les façades des établissements pénitentiaires… La France découvre, stupéfaite, que ses murs les plus clos ne sont plus à l’abri. Depuis la mi-avril, une série d’attaques coordonnées ciblent des établissements pénitentiaires sur tout le territoire. Leur point commun : une volonté manifeste de défier l’État. Les assaillants ? Des silhouettes sans visage, exécutants maladroits d’une stratégie plus vaste. Des « pieds nickelés » du narcotrafic, moque Bruno Retailleau, mais qui tirent à la kalachnikov et brûlent les véhicules des surveillants. Loin d’un simple baroud d’honneur, ces attaques ressemblent à une réponse : celle d’un système criminel qui se sent enfin bousculé.Depuis plusieurs mois, une reprise en main s’opère, discrète mais ferme. Gérald Darmanin, ancien ministre de l’Intérieur devenu garde des Sceaux, et Bruno Retailleau, nouvelle figure du ministère de l’Intérieur, ont lancé une offensive tous azimuts contre les réseaux qui gangrènent les établissements pénitentiaires et la vie des Français. Fini le temps où l’on se voilait la face. Désormais, il faut

Faire reculer les trafiquants, cellule par cellule. La méthode ? Une guerre d’usure. Drones de surveillance, brouilleurs de téléphone, fouilles renforcées, transferts réguliers des détenus influents pour casser les logiques de clan. Chaque levier est activé. On isole, on disperse, on brouille, on surveille. Parallèlement, les livraisons par drone sont traquées, les complicités internes identifiées. Les détenus stratèges sont désorientés, privés de leur territoire.


Bruno Retailleau, lui, déploie la protection à l’extérieur. Sous son impulsion, la consigne a été donnée aux forces de l’ordre de patrouiller de nuit autour des établissements sensibles. Les parkings sont sécurisés, les abords placés sous vidéosurveillance, les domiciles des surveillants davantage surveillés. Il faut rassurer les agents. Depuis les attaques, une angoisse sourde s’est installée : celle d’être visé pour ce que l’on incarne. Une peur viscérale, de plus en plus verbalisée, celle d’être un jour abattu pour son uniforme, pour son rôle, comme l’ont été les policiers de Magnanville en 2016, tués à leur domicile. Ce souvenir revient dans les discussions, comme un avertissement tragique. Les garants de notre sécurité savent qu’ils peuvent être les prochaines cibles. À Toulon, Gérald Darmanin a ressorti son costume noir typique de Beauvau et s’est rendu lui-même au chevet des personnels. Il a écouté les témoignages tremblants, les silences pesants, les récits des nuits où l’on n’ose plus rentrer chez soi en uniforme. Il n’a pas promis la lune, mais il a réagi vite : renforts, consignes de sécurité, riposte juridique. Et surtout, une parole d’autorité : l’État ne recule pas.

Avec Bruno Retailleau, ils ont signé un télégramme commun aux préfets. Un détail qui en dit long. La Justice et l’Intérieur, deux ministères souvent désunis, parlent enfin d’une même voix. Le message est clair : surveillance accrue, détection des signaux faibles, coopération renforcée entre police, gendarmerie et administration pénitentiaire. Une cartographie des sites à risque est actualisée. La réponse est systémique. Mais au-delà des mesures concrètes, c’est un basculement que révèle cette séquence. Car les prisons sont devenues, à bas bruit, des zones de pouvoir. Des quartiers généraux pour des trafics mondialisés où les ordres partent de cellules, transitent par messageries cryptées, et déclenchent des violences dans les rues de Marseille ou de Seine-Saint-Denis. On le savait. On feignait de l’ignorer. Il est désormais impossible de détourner le regard.

Les syndicats de surveillants ne s’y trompent pas. Ils réclament plus qu’une gestion de crise. Ils demandent une refonte, un réarmement de l’autorité, un État qui protège ses propres agents. Et ils réclament des moyens, surtout. C’est aussi ce que Gérald Darmanin a voulu leur dire à Toulon, d’une voix calme mais ferme : « Je ne suis pas un grand penseur. Pas un énarque. Je ne suis pas technocrate. Mais je sais aller à Bercy chercher des moyens. Et je suis capable de démissionner si je ne les obtiens pas. » La phrase a résonné dans la cour de la prison. Car ce que réclament les agents, ce ne sont pas seulement des mots : ce sont des effectifs, des équipements, des garanties concrètes de sécurité. Certains évoquent la peur de sortir avec leur badge, la crainte d’être repérés, suivis, ciblés. Le climat, disent-ils, a changé. Et dans certains établissements, les agents hésitent à venir en tenue.

Dans ce contexte, la bataille des prisons prend une dimension symbolique. Elle dit quelque chose de l’époque. De cette frontière incertaine entre la légalité et le désordre. De cette difficulté croissante à faire respecter la règle. Et elle interroge la capacité du pouvoir à reprendre la main. Ni Darmanin ni Retailleau ne cherchent à se mettre en scène. Ils savent que l’heure n’est plus aux effets d’annonce. Il s’agit de tenir. De répondre point par point. De montrer que l’État n’a pas déserté ses enceintes les plus sensibles. Que derrière les murs, ce n’est pas la loi du plus fort qui règne, mais la loi républicaine, tout court. Le combat est engagé. Il sera long, ingrat, et sans doute invisible pour l’opinion. Mais il est décisif. Car si l’État ne tient plus ses prisons, il ne tiendra bientôt plus grand-chose.

Le JDD Mag - le 27 avril 2025

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