L’ombre de la DZ Mafia

Des narcotrafiquants issus de ce groupe ultra-violent seraient, selon les premiers éléments d’enquête, derrière les récentes attaques de prisons.

L'article « L’ombre de la DZ Mafia » explore les récentes attaques contre des prisons, attribuées à la DZ Mafia, un groupe de narcotrafiquants ultra-violent. Le 15 avril, une attaque coordonnée a visé le centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, avec des tirs à l'arme de guerre, sans faire de blessés. Cette attaque fait partie d'une série d'incidents similaires à travers la France, revendiqués par un groupe se faisant appeler "Défense des droits des prisonniers français" (DDPF), bien que les enquêteurs soupçonnent la DZ Mafia d'être derrière ces actions.

La DZ Mafia, originaire des quartiers nord de Marseille, est connue pour sa violence extrême et son contrôle du trafic de drogue. Le groupe a émergé après une guerre de territoire en 2023 et a depuis étendu son influence à travers la France, diversifiant ses activités dans le trafic d'armes, la prostitution, et le racket. Les attaques contre les prisons semblent être une démonstration de force, visant à intimider les autorités et à affirmer leur pouvoir.

Les autorités sont préoccupées par l'ascension rapide de la DZ Mafia et leur capacité à orchestrer des attaques coordonnées, ce qui représente un défi majeur pour la sécurité publique.


• ÉMILIE BLACHERE

MARDI 15 AVRIL, 0 h 40. Une pluie intense s’abat sur le centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, dans le Var, lorsqu’une voiture blanche se gare devant l’entrée. Sur une vidéo enregistrée par les caméras de surveillance que nous avons visionnée en exclusivité, un homme en noir – silhouette frêle, visage camouflé – sort du véhicule à 0 h 42 et tire à l’arme de guerre. Quinze balles criblent le mur métallique de l’enceinte. Une traverse la porte jusqu’à la vitre blindée du poste de surveillance, sans blesser l’agente… Une opération éclair, ultra-violente, censée intimider. Ce n’est pas la première fois que des prisons sont la cible de tirs, mais l’attaque à Toulon semble coordonnée avec d’autres sur le territoire. En trois nuits, de Tarascon à Nanterre en passant par Agen, Valence ou encore Aix-en-Provence, douze ont été recensées ; portes d’entrée, domiciles et véhicules du personnel ont été dégradés, incendiés. Sur Telegram, un mystérieux groupe, DDPF – pour « défense des prisonniers français » – revendique ces actions, laissant croire qu’il pourrait s’agir de militants d’extrême gauche… Un leurre. Selon les premiers éléments d’enquête, l’ombre des narcotrafiquants planerait sur ces incidents, en particulier celle de la DZ Mafia… « Si elle est derrière ces événements, c’est un affront terrible pour l’État, lâche un surveillant de prison. La peur change de camp et le message est clair : “On veut bien aller en prison, mais faut pas nous empêcher de bosser et de faire du fric ! Sinon…” Ça ne présage rien de bon ! »

Après la French Connection et les brigands corses, la DZ Mafia s’inscrit au rang célèbre des voyous marseillais. Ni mafia ni véritable cartel : on peine encore à définir ce groupe criminel surarmé qui mise sur la terreur pour écrire sa légende et grossir ses rangs. « Dans les prisons, on a des détenus qui se réclament de la DZ pour inspirer la peur, observe Wilfried Fonck, secrétaire national Ufap-Unsa justice. La plupart du temps, c’est de l’esbroufe, mais sait-on jamais. Appartenir à la DZ, c’est un levier désormais. Il y a tou- jours eu des menaces, mais c’était limité, individuel, souvent des paroles en l’air. Là, ils prouvent qu’ils peuvent agir. » D’un côté la DZ Mafia tourmente sérieusement les autorités, de l’autre elle séduit une génération de gamins perdus, convaincus d’appartenir à un gang riche et puissant. « Ils ont réussi à développer leur marque, ils sont devenus un produit marketing qui attire les minots sur les réseaux sociaux où ils proposent de “jober”, c’est-à-dire de travailler dans le trafic de stups, raconte Frédéric, un policier marseillais aguerri. Au départ, les chefs de la DZ étaient comme ceux qu’ils piègent dans leur filet, c’étaient des enfants paumés des cités. »

La DZ puise ses origines dans les quartiers nord de Marseille et ancre ses racines dans le terreau de la pauvreté. Tout commence à la Paternelle, dans le 14e arrondissement, un dédale de bâtiments bas, sales et roses où des coqs vivent en liberté. Jusqu’en 2023, le deal était organisé en trois « charbons » – dans le jargon, des points de vente de stupéfiants – tenus par deux patrons : Félix Bingui, alias « le Chat », boss du clan Yoda, et Mehdi Laribi, dit « Tic », patron historique de la DZ Mafia. Un regard de travers et des lancers de glaçons dans une boîte de nuit en Thaïlande auront raison en février 2023 de cette entente négociée. La guerre éclate et près de 50 personnes sont tuées la même année, forçant enfin les autorités à réagir. Félix Bingui est incarcéré, comme la plupart de ses sbires. Tic, lui, est le seul à échapper aux filets policiers. « Nos nombreuses arrestations au sein du camp Yoda ont permis la victoire de la DZ Mafia, qui a étendu son territoire et son pouvoir ! » constate, presque amer, un enquêteur.

Si la DZ Mafia est derrière ces événements, c’est un affront terrible pour l’État

Un surveillant de prison

Une ascension fulgurante

À l’abri au Maghreb, Tic déploie sa garde rapprochée pour négocier et protéger à coups de kalach sa dizaine de « commerces », et surtout faire fructifier ses recettes, une centaine de milliers d’euros par jour. Ses bras droits sont tous sont nés ici, entre Bassens et les Micocouliers ou les Carmes. Tous se connaissent depuis l’enfance et ont enterré des proches en pagaille. Tous ont en commun de longs casiers judiciaires et des surnoms qui en imposent. Il y a notamment Amine Oualane alias « Mamine Escobar », Mehdi Zerdoum, surnommé « la Brute », et Kamel Mimar, alias « Scarface ». Au gré des alliances et des trahisons, liées aux intérêts de chacun, l’organigramme évolue… Alliés un jour, ennemis le lendemain : à Marseille, c’est ainsi que le business tourne. La loyauté n’est pas un atout, c’est un aveu de faiblesse.

La DZ Mafia, gang souple mais structuré, dont la plupart des membres sont incarcérés, métastase dans tout le territoire, du Var jusqu’en Normandie, traversant jusqu’à la frontière belge, dit-on. Les troupes lancent des OPA agressives sur les points de vente des concurrents ; à Nîmes, un enfant de 10 ans a été tué. « C’est toujours la même tactique, explique un policier. Ils descendent, ils rafalent tout ce qui bouge, les clients ne viennent plus. Ils tuent le charbon puis le reprennent. » Les membres de la DZ diversifient aussi leurs activités. Trafic d’armes, prostitution, extorsion d’épiceries alimentaires et racket de rappeurs, dont le chanteur SCH. En juillet 2023, trois d’entre eux, équipés de calibres 9 mm et d’un bidon d’essence, traumatisent un jeune couple à Saint-Alban, près de Toulouse. L’année suivante, deux commerces à Nice sont rafalés à l’arme lourde, puis incendiés. À Aix-en-Provence, ils rackettent le gérant d’une boîte de nuit, lui imposant une facture de 80 000 euros.

La DZ Mafia écrase tout sur son passage comme une hydre maléfique et invincible, son ascension est fulgurante, son emprise, tentaculaire. Jusqu’où va-telle s’étendre ? « On se le demande tous, craint un agent de police. Une nuit, on nous a tiré dessus, des gars de la DZ. C’est la première fois que des trafiquants nous visent, c’est complètement contre-productif pour eux. Mais cela montre qu’ils n’ont plus peur de rien, et qu’on s’est complètement voilé la face… »

La Tribune du dimanche - le 20 avril 2025

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