La grande solitude des surveillants de prison

La récente vague inédite d’attaques de centres pénitentiaires et de menaces sur les gardiens a mis en lumière la vulnérabilité de ce personnel, en première ligne.


• Nicolas Jacquard

Chaque soir, le même rituel. Julie*, 45 ans, laisse son uniforme dans son casier de la maison d’arrêt de Blois (Loir-et-Cher), « et avec lui tous les soucis ». Alors, Julie entame sa deuxième journée, celle de maman solo de quatre enfants de 9, 13, 15 et 22 ans. L’aîné est militaire. Lui a parfaitement saisi que la tenue bleu marine n’est plus une protection, et même qu’elle est devenue une cible. Pas les plus petits. « Je ne leur mets pas les infos, détaille Julie. Je ne veux pas qu’ils soient inquiets. »

Masquer le thermomètre n’empêche pas la fièvre. La série d’attaques menée en début de semaine contre plusieurs établissements s’est soldée par des dizaines de voitures brûlées et des agents harcelés. Elle est dans toutes les têtes. À Blois, maison d’arrêt à taille humaine située en centre-ville, les mesures de sécurité ont comme ailleurs été renforcées. Les patrouilles de police se font plus présentes. Les consignes ont été rappelées : tenue civile sitôt les murs de la prison franchis et discrétion sur les réseaux sociaux.

Il y a longtemps que Julie les a intégrées. Passée par les maisons d’arrêt de Rouen et de Varces, cette surveillante « tournante » change de poste au gré des besoins. Elle sait bien que les murs d’enceinte ne prémunissent de rien, et que l’agression peut survenir dans les coursives autant qu’en faisant ses courses. Elle le dit à demi-mot mais on sent qu’il y a surtout eu un avant et un après-évasion de Mohamed Amra pour cette fonctionnaire qui participe régulièrement aux extractions. Il y a deux ans, elle se serait exprimée sous son nom. Ce n’est plus le cas.

Gérer la rancune

Jusqu’à présent, les seuls bleus que Julie a ramenés chez elle, ce sont ceux qu’elle a reçus en formation. Elle a déjà été menacée, il y a quelques années. Il lui arrive de recroiser en ville d’anciens pensionnaires. Ça peut être un « bonjour ». Le plus souvent, chacun fait comme si de rien n’était. Parfois, il y a de la rancune. Une « colère » dont elle a compris qu’elle ne la visait pas en tant qu’individu mais comme représentante de l’institution. « Ça fait partie du boulot, explique Julie. On gère à l’extérieur comme à l’intérieur. C’est un métier à risques mais, comme je dis toujours, il y a aussi des boulangers qui se font braquer. »

Didier Duchiron en sait quelque chose. Trente-huit ans durant, il a côtoyé les plus gros profils à la maison centrale de Saint-Maur (Indre). Surveillant, il a gravi les échelons jusqu’à devenir le chef de détention. À la retraite, il fait partie de la « réserve pénitentiaire » comme agent de surveillance électronique. Il pose les bracelets.

Deux lignes directrices ont guidé sa carrière : humanité et fermeté. Ce fin connaisseur de la pénitentiaire n’a pas été surpris par les tensions des derniers jours. « Je m’y attendais, lâche-t-il. On sait que les trafiquants ont des ramifications et des moyens énormes, et qu’ils ne voient pas d’un bon œil le fait d’être regroupés dans des établissements sécurisés. » Pour autant, lui qui assure n’avoir « jamais eu peur » aborde cette flambée de violence avec le calme des vieilles troupes. Il a connu les prises d’otage, les évasions armées, la sévère mutinerie de 1987 et les menaces à domicile. Il a entendu résonner ces coups de fil, à 3 heures du matin, pour lui dire de se « calmer ». La même voix glaçante qui lui glisse trois mois plus tard où sa femme et sa fillette se trouvaient l’après-midi, preuve qu’elles avaient été suivies. L’affaire s’est réglée « à l’ancienne ». Pour les détails, il faut se reporter à son passionnant récit publié en 2023**.

« Manque de fermeté » des directions

« Cet épisode, c’était il y a trente ans, rembobine-t-il. Il n’y avait pas les réseaux sociaux. On n’en parlait pas comme aujourd’hui. » Il en convient toutefois : s’il y a toujours eu « de petits faits divers », comme il les relativise, « les feux de véhicules se sont amplifiés depuis quatre ou cinq ans ». Plus globalement, il regrette « un manque de fermeté général de la part des directions », constat qui revient souvent dans la bouche des surveillants. À commencer dans celle de Corinne, vingt ans de Baumettes au compteur. « La population pénale a changé, déplore-t-elle. Les jeunes n’ont plus de respect, plus de limites, que ce soit envers nous ou envers les anciens détenus, qui auparavant contribuaient aussi à faire respecter les règles. »

Corinne fustige « un laxisme de la part de l’encadrement ». Il y a quelques mois, l’adjoint au chef de détention de la prison marseillaise a fait l’objet d’un « contrat ». 120 000 € sur sa tête. Son adresse a été dévoilée. Il a été déplacé contre son gré. Depuis, il n’est plus rare qu’un détenu toise un surveillant pour lui rappeler l’épisode. « Toi aussi tu veux un contrat ? Comme ça, tu dégageras… », est-il régulièrement glissé aux gardiens. « Le message, c’est qu’ils ont gagné, souffle Corinne. Si un agent veut faire son travail, il est menacé. »

Elle prend l’exemple d’un détenu qui a raté son heure de promenade. En théorie, on n’a pas le droit de lui ouvrir la cour alors qu’elle a déjà commencé. « Il va hurler, et l’agent va céder », décrit Corinne. « Il n’y a plus aucun établissement où les détenus n’ont pas le pouvoir », résume-t-elle.

Pour le reste, l’annonce du regroupement des 100 détenus les plus dangereux à Vendin-le-Vieil (Nord) et Condé-sur-Sarthe (Orne) n’a pas ici suscité de nervosité.

« Je suis sûr qu’au final, ce regroupement va très bien se passer », anticipe Didier Duchiron. Lui a connu la fermeture des quartiers haute sécurité (QHS) en 1983 et le groupement à Saint-Maur de ceux dont les condamnations à mort avaient été commuées en perpétuité. « Les narcos d’aujourd’hui, ce sont des gens intelligents, analyse-t-il. Ils se tiendront à carreau et feront tout pour quitter ces établissements le plus vite possible. » Pour les détenus comme pour les surveillants, le maître mot de la prison demeure l’adaptation. « Certaines journées sont plus lourdes que d’autres, concède Julie. Mais on est dans l’humain. Nous sommes les premiers à ouvrir la porte de la cellule le matin. C’est aussi en ça qu’on se sent utile. »

Des moyens jugés toujours très insuffisants

Délaissées ces dernières années, les carrières dans la pénitentiaire ont à nouveau le vent en poupe. La sécurité de l’emploi et les revalorisations salariales actées sous le ministère d’Éric Dupond-Moretti y sont pour beaucoup. À la sortie de l’école, le salaire est passé de 1 770 € à 2 040 € net, hors heures supplémentaires. Quand les précédentes promotions ont souvent peiné à faire le plein, la dernière campagne de recrutement a battu des records, avec 17 325 candidats pour 1 500 places.

Les 30 000 surveillants, pour 81 600 détenus, constituent la troisième force de sécurité du pays. Selon les syndicats, 4 000 postes devraient être pourvus et ne le sont pas. À Blois, par exemple, 35 surveillants gèrent 179 détenus dans un bâtiment conçu pour 110. Sur le papier, il en faudrait dix de plus. « On manque toujours de tout, de moyens et de personnel, soulève Corinne. Notre sécurité commence aussi et d’abord par ça. »

Aujourd’hui en France - le 20 avril 2025


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