Les comparutions immédiates, qui permettent de juger vite les délinquants, débouchent très souvent sur des peines de prison ferme, alimentant la surpopulation carcérale. Reportage au tribunal de Bobigny.
La prison, l’issue fréquente des comparutions immédiates
— framafad paca corse (@WaechterJp) June 7, 2025
Les comparutions immédiates, qui permettent de juger vite les délinquants, débouchent très souvent sur des peines de prison ferme, alimentant la surpopulation carcérale. @LaCroix pic.twitter.com/UaSFfjWTwx
L’horloge cassée de la 17e chambre du tribunal de Bobigny affiche 16 heures tapantes, bien qu’il soit 13 heures. Dans cette salle en briques rouges et aux bancs grinçants, on traite les comparutions immédiates, une procédure qui permet au parquet de faire juger une personne à l’issue de sa garde à vue, s’il estime que les indices de l’infraction sont suffisants. En cet après-midi de mai, douze dossiers sont au programme.
Dans le box, les prévenus défilent. Parmi les premiers à comparaître, Supun (1), Sri-Lankais de 46 ans installé à Drancy avec sa famille. Il est poursuivi pour des violences sur sa conjointe commises en état d’ébriété deux jours plus tôt : il lui aurait asséné des claques au visage et tiré les cheveux. C’est un des enfants du couple qui a alerté les policiers. « Décidément, c’est la thématique du jour », raille la présidente. Plus tôt, un autre homme, Alexandre, a été reconnu coupable de faits similaires. « C’est inquiétant lorsqu’on comparaît pour la sixième fois pour des faits de violences sur madame », appuie la procureure. Elle requiert dix-huit mois d’emprisonnement assorti d’un mandat de dépôt, un ordre d’incarcération immédiate. L’avocat de permanence qui se démène depuis le début de l’après-midi pour éviter la prison à ses clients sait qu’il n’y pourra pas grand-chose. Mais il tente : « Que faut-il faire ? Extraire monsieur de cette violence qui gangrène sa vie et en même temps protéger la victime. La prison n’est pas la solution, je veux vous souffler du sursis probatoire. »
C’est peine perdue. Après s’être retirées pour délibérer, la présidente, assistée de ses deux assesseures, prononce une condamnation à quatorze mois d’emprisonnement avec un mandat de dépôt : « Vous avez eu suffisamment d’avertissements. Le tribunal considère qu’il n’a plus d’autres solutions que de vous éloigner », justifie-t-elle. Le condamné sort tête basse, escorté vers une prison francilienne.
L’audience se déroule à un rythme effréné. La question se pose de renvoyer certains dossiers : « Le tribunal n’entend pas finir à minuit ce soir. » Les « CI », dans le jargon, sont régulièrement visées lorsqu’il s’agit de diagnostiquer les causes de la surpopulation carcérale. « Elles aboutissent plus fréquemment à une condamnation assortie d’un mandat de dépôt », relève la Cour des comptes. « Les CI, c’est une justice qui ne prend pas le temps d’appréhender au plus juste la personnalité des individus. C’est de la gestion de flux », tonne une avocate membre du Conseil national des barreaux.
Le tribunal retrouve un habitué. Habib, 31 ans, dont le casier judiciaire est entaché de plusieurs mentions pour des vols ces dernières années. Cette fois, il a dérobé un téléphone portable. Pas de chance, ce dernier appartient à un fonctionnaire municipal. Des moyens ont été déployés pour le retrouver. Habib se justifie comme il peut : à cause des passages en prison, il a perdu ses petits boulots dans le bâtiment et en boulangerie. Alors, il avait besoin d’argent pour se payer à manger. « Sauf que voler un téléphone portable, ce n’est pas anodin comme préjudice. C’est voler l’outil de travail de quelqu’un », sermonne la procureure qui réclame une peine de huit mois d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt. Habib hoche la tête, tandis que son avocate essaye de venir à sa rescousse : « Il a certes un casier judiciaire chargé, mais on n’a pas souvent cherché autre chose que la détention, commence-t-elle sa plaidoirie. Nos prisons sont suffisamment débordantes. L’y envoyer, pour quoi faire ? J’ai une solution dont on nous dit qu’on ne la plaide pas assez : les travaux d’intérêt général. » La pénaliste ne sera pas entendue. Cinq mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt. L’horloge cassée affiche 16 heures. Il est bientôt 21 heures.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
La Croix le 3 juin 2025