Prisons françaises : aux racines de la surpopulation carcérale


Enquête de La Croix

Le nombre de détenus dans les prisons françaises s’élevait à 83 681 au 1er mai 2025, selon des chiffres publiés le 31 mai, pour 62 570 places opérationnelles. Cette surpopulation carcérale record, régulièrement dénoncée, résulte notamment d’une réponse pénale plus ferme.

Par Hugo Forquès

Le nombre de détenus dans les prisons françaises atteint un nouveau record avec 83 681 personnes incarcérées au 1er mai. Cette surpopulation, régulièrement dénoncée, résulte notamment d’une réponse pénale plus ferme.

Dans toutes les maisons d’arrêt de France, la pratique s’est désormais imposée : « On est bien obligés de poser des matelas au sol », concède un directeur de prison impuissant. On en dénombrerait près de 5 300, contre 800 il y a quatre ans. Le symbole d’une surpopulation carcérale galopante qui sature les établissements pénitentiaires. Au 1er mai 2025, 83 681 détenus peuplaient les prisons françaises, pour 62 570 places opérationnelles. Du jamais-vu.

Les alertes abondent. La dernière en date vient d’une mission d’urgence sur l’exécution des peines commandée par la chancellerie : « La surpopulation doit désormais être appréhendée pour ce qu’elle représente : un état d’urgence », écrivent les participants – des présidents de juridiction, procureurs, un directeur de prison et une avocate – dans un rapport remis au printemps. Mais, en dépit des mises en garde, la situation s’aggrave. Comment en sommes-nous arrivés à une telle situation ?

Aujourd’hui vivement dénoncé, le phénomène est ancien, avance Gilles Chantraine, sociologue des prisons, directeur de recherche au CNRS : « La surpopulation carcérale devient un problème public, au sens où elle commence à être décomptée, à la fin des années 1950. » Selon lui, la première cause de la surpopulation est à trouver du côté de l’inflation carcérale. « C’est à partir du milieu des années 1970 qu’elle débute de manière significative et ininterrompue jusqu’à aujourd’hui, développe-t-il. On dénombre 25 000 détenus en 1975, 50 000 en 1995 et désormais plus de 80 000. »

L’inflation carcérale va s’accroître à partir des années 2000. « Cela résulte d’un double mouvement. D’une part, le choix d’enfermer plus massivement les petits délinquants, qui a entraîné une augmentation des flux d’entrée en prison, indique Gilles Chantraine. D’autre part, l’allongement des peines pour certaines catégories d’infraction qui a eu pour effet de laisser plus longtemps les détenus en prison. » Dans le même temps, en 2007, les grâces présidentielles collectives du 14-Juillet, longtemps considérées comme une soupape par les établissements pénitentiaires surpeuplés, sont supprimées par Nicolas Sarkozy.

Ce virage punitif a été disséqué par la Cour des comptes dans un rapport rendu à l’automne 2023. « La réponse pénale à la délinquance s’est durcie au cours des dernières années. Près de 90 000 années de prison ferme ont été prononcées en 2019 contre 54 000 en 2000, exposent les magistrats financiers. Et ce, alors que les enquêtes dites de “victimation” menées par l’Insee font état d’une certaine stabilité des faits de délinquance. » Les chiffres enregistrés par le ministère de l’intérieur en 2024 montrent une évolution contrastée des indicateurs de la délinquance. Les coups et blessures volontaires sur personne de 15 ans ou plus sont stables tout comme les violences intrafamiliales, tandis que les vols violents sans arme, les dégradations et les homicides sont en baisse. En revanche, les infractions liées aux stupéfiants et aux violences sexuelles progressent.

Le rapport s’attarde notamment sur la répression accrue des violences intrafamiliales. Les données du ministère de la justice témoignent de la dynamique que connaît ce contentieux : entre 2018 et 2023, les condamnations ont augmenté de plus de 60 %, et les années d’emprisonnement ferme de 70 %. « Cela illustre la montée en puissance de la réponse pénale en réaction à un besoin de justice ou à une demande sociale qui ne s’exprimait pas jusque-là », affirme la Cour des comptes.

De l’avis de nombreux spécialistes, les comparutions immédiates constituent aussi un facteur de surpopulation carcérale. « Destinées à accélérer la réponse pénale dans un contexte d’allongement des délais d’audiencement, les comparutions immédiates sont associées à une plus grande incarcération par rapport aux autres modes de poursuite. Elles aboutissent plus fréquemment à une condamnation assortie d’un mandat de dépôt », explique, à l’aide d’une étude empirique, la Cour des comptes qui note aussi que la détention provisoire est aussi plus souvent plébiscitée que le contrôle judiciaire ces dernières années.

Céline Bertetto, présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines, pointe un « réflexe pour l’emprisonnement », devenu la « peine référente ». « Il y a encore une croyance entretenue par les politiques selon laquelle l’incarcération est la seule peine qui vaille et donc un manque de confiance dans toutes les peines de probation », déplore une avocate membre du Conseil national des barreaux.« Le discours public laisse penser que les individus ne sont sanctionnés que s’ils sont incarcérés. Les juges ne sont pas hermétiques, ils suivent les évolutions de la société », abonde Céline Bertetto. La magistrate rappelle que la « gradation de la réponse pénale est pourtant un principe censé faire de la prison une exception » et constate que les alternatives à l’incarcération sont encore largement délaissées.

Quelle part occupent enfin les récidivistes dans la surpopulation carcérale ? Tous les acteurs s’accordent à dire que la population pénitentiaire est actuellement composée d’hommes qui s’inscrivent dans des parcours de récidive. Une étude du service statistique de la chancellerie, publiée en avril, montre que 30 % des sortants de prison en 2020 avaient réitéré l’année suivante. Mais les études manquent. « Aujourd’hui, la surpopulation génère des problèmes de cohabitation et de tolérance, décrit Alexandre Bouquet, secrétaire national du Syndicat national des directeurs pénitentiaires. Ce sont autant de contrariétés qui passent malheureusement au premier plan pour certains détenus, là où on devrait plutôt s’occuper de leur réinsertion. » Celui qui dirige le centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet, dans le Vaucluse, décrit un découragement qui monte au sein du personnel. « La prison doit être un temps où les professionnels aident le détenu à réfléchir sur le sens de la peine et sur ses gages de réinsertion. Or, face à de tels flux, ils ont le sentiment de n’être plus que des porte-clés qui ouvrent et ferment des portes. » Un sentiment partagé par Céline Bertetto : « C’est impossible d’accompagner correctement les sorties aujourd’hui, déplore-t-elle. Nous sommes en train de créer de la récidive avec une forme de retour à l’envoyeur qui entretient la surpopulation. »

Certains professionnels plaident pour un mécanisme de « régulation carcérale ». « Un mécanisme pompier qui fasse redescendre rapidement la pression », explicite la magistrate. Il s’inspirerait de celui qui, durant l’épidémie Covid-19, entre mars et mai 2020, avait accordé une réduction de peine exceptionnelle à destination d’une partie de détenus proches de la sortie. Pour la première fois en vingt ans, il avait permis de repasser sous la barre des 100 % de taux d’occupation.

Gérald Darmanin s’est prononcé contre ce dispositif et a proposé d’augmenter rapidement la capacité du parc pénitentiaire en créant des prisons « conteneurs ». À ce sujet, le rapport de la mission d’urgence rétorque : « L’histoire nous enseigne que les cinq programmes immobiliers d’ampleur mis en œuvre depuis trente ans n’ont pas permis d’endiguer la vague de la surpopulation. »

La Croix, le 3 juin 2025

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