BRIGAND VEUT SA PRISON

Alors que la surpopulation carcérale atteint un nouveau record, le député de Côte-d’Or ne désespère pas de voir un établissement pénitentiaire construit chez lui. Ce qui lui est refusé depuis près de quarante ans.


• Par Florent Buisson

C’est peut-être le patronyme le plus connu du ministère de la Justice. Darmanin ? Non. Brigand, prénom Hubert. Empêcheur de tourner en rond Place Vendôme depuis 1987. Alors jeune élu municipal chargé de l’économie dans la ville de Châtillon-sur-Seine, 6 000 habitants, il envoie un premier courrier pour l’implantation d’une prison dans cette commune de Côte-d’Or, surfant sur le programme Chalandon, du nom du ministre de la Justice de la première cohabitation (1986-1988) qui en construit tous azimuts. Réponse formelle dudit ministère, qui prend acte de la demande. La première d’une longue série. « En près de quarante ans, j’ai reçu toute la panoplie de la politesse ! » évoque en rigolant le septuagénaire, devenu député, dans son petit bureau-couchette de l’Assemblée à Paris, en mai dernier. Ses archives débordent ; un vrai catalogue des ministres de la Justice de la VeRépublique. Depuis le gaulliste Albin Chalandon, donc, à Gérald Darmanin aujourd’hui, en passant par Élisabeth Guigou, Marylise Lebranchu, Dominique Perben, Michèle Alliot-Marie, Michel Mercier, Christiane Taubira, Jean-Jacques Urvoas.

À chaque fois, l’histoire se répète. L’élu LR – quand ce n’est pas un de ses prédécesseurs au Parlement – obtient une réponse convenue, parfois un rendez-vous, jamais plus. Sa circonscription, très étendue, est peu peuplée et le coin choisi pour sa prison non desservi par le train. Rédhibitoire. Mais en 2025, à l’heure où la France comptait, au 1er mai, 83 681 détenus (dont 5 234 dorment sur le sol) pour 62 570 places, l’histoire ne fait plus rire personne. Quand certains élus locaux rechignent et bloquent des projets, Hubert Brigand, lui, défend le sien qui n’a rien d’une lubie. Dès 2002, un sénateur bourguignon avançait ainsi qu’il aurait des « conséquences économiques importantes pour lutter contre la désertification de la Haute Côte-d’Or ». Réponse laconique de l’État, encore. Puis « quatre mois après, rebelote, ça change de ministre ! » poursuit Brigand.

En 2001, François Patriat, alors membre du gouvernement socialiste, écrivait déjà à sa collègue garde des Sceaux sur le sujet. Vingt-quatre ans plus tard, le même est devenu sénateur macroniste de Bourgogne et soutient toujours le projet. « En 1987, on perdait déjà des habitants et, ces dernières années, trois usines ont fermé, justifie encore Hubert Brigand, de son accent bourguignon. Ce sont donc des écoles et des commerces qui ferment aussi. La création d’emplois industriels et du tertiaire se faisant dans les métropoles, j’ai pensé à l’alternative de l’établissement pénitentiaire, qui peut générer entre 100 et 150 emplois. » À force d’insistance, le territoire accueille un centre éducatif fermé pour jeunes, dans les années 2000. Vingt-cinq emplois, un bon début. Mais l’essentiel n’est pas là, et Brigand fulmine, écrit à tour de bras, quand il constate que « le ministère identifie des endroits dont personne ne veut, et qu’on est à 4 500 places de prison sur les 15 000 promises en France par Emmanuel Macron pour 2027… ». Un haut cadre de l’administration pénitentiaire éclaire : « La question est de savoir si notre administration doit faire de l’aménagement du territoire ou pas. On l’a fait dans les années 1980 avec les “prisons Chalandon”. Ça a ses limites : construire au milieu de nulle part pose des problèmes d’accessibilité pour les médecins, le personnel pénitentiaire qu’il faut aussi loger, et ça ne correspond pas aux bassins de délinquance. »

« J’ai pensé à cette alternative qui peut générer entre 100 et 150 emplois »

Et si tout ça changeait ? Trente-huit ans après la première missive, Hubert Brigand a reçu une réponse constructive, le 14 mai, signée Gérald Darmanin, intéressé par le projet. Mieux, le 26 mai, c’est le cabinet du Premier ministre qui lui faisait savoir que François Bayrou en personne souhaitait le recevoir. « Si ça aboutit, ce serait une victoire pour le monde rural ! bondit presque le parlementaire. On me demande souvent, chez moi : “Elle en est où ta prison, Hubert ? Parce que ça ramènerait des habitants…” »

Paris-Match, le 4 juin 202

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