LE DÉBAT : Redéfinition des peines de prison, où est le piège?

Gérald Darmanin, le garde des Sceaux, a communiqué une feuille de route à l'ensemble des agents de son ministère le 12 mai. Plutôt qu'un « big bang judiciaire », les premiers concernés redoutent un « big flop ». CLARA BENSOUSSAN ET JULIE JARNO, avocates au barreau de Marseille et ANTHONY CAlLLÉ, Secrétaire général de la CGT police s’expriment à ce sujet dans les colonnes du quotidien L’Humanité.


Le ministre dit être à l'écoute des acteurs de terrain, mais le soutien demandé par les personnels est balayé d'un revers de main par ses orientations.

CLARA BENSOUSSAN ET JULIE JARNO

Avocates au barreau de Marseille


Gérald Darmanin a communiqué,

le 12 mai, une feuille de route à l'ensemble des agents du service public de la justice pour «réfléchir à remettre du bon sens, de l'efficacité concrète et de la rapidité dans notre système judiciaire» afin de lutter contre les maux actuels de la justice. Ce bon sens, première ambition annoncée, est pourtant difficilement identifiable dans les propositions faites. Leur manque de cohérence inquiète quant à la tournure que peuvent prendre les événements d'ici à 2027. Ces derniers mois, notre nouveau ministre de la Justice - ancien ministre de l'Intérieur, cherchez l’erreur d'un tel enchaînement - laisse penser être à l'écoute des acteurs de terrain par sa présence sur la scène médiatique, partout, tout le temps.


Le soutien demandé par les magistrats, les personnels de greffe et les agents de l'administration pénitentiaire est balayé d'un revers de main par ces nouvelles orientations. Alors que la régulation carcérale permettrait de répondre aux alarmes incessantes d'un système en crise aiguë (dignité humaine, conditions sanitaires, inefficacité de la répression face à la récidive), la seule réponse apportée par le garde des Sceaux est d'enfermer plus, plus vite, plus longtemps et peu importe les conditions.


Par cette lettre, Gérald Darmanin fait croire à une refonte de notre système pénal: passer des « 200 » peines actuelles à 4 uniquement, redonner vie aux peines planchers, simplifier l'audiencement des procédures criminelles. La volonté ministérielle est donc claire : il s'agit de supprimer le sursis, de considérer que l’aménagement de l'emprisonnement est une probation et de sanctionner tout manquement à cette dernière par, toujours la même réponse, enfermer. Cette critique de notre droit de la peine est incorrecte en ce que ces 200 peines considérées comme illisibles sont en réalité regroupées dans 8 catégories de peine principales. Si Gérald Darmanin souhaite tourner en ridicule le système actuel, il démontre uniquement ne pas connaître son sujet car le panel de peines est nécessaire au respect du principe constitutionnel d'individualisation de la peine.

Aucune revalorisation des moyens alloués à la justice n'est prévue.

C'est d'ailleurs par une loi sur cette individualisation et sur l'efficacité des peines pénales que les peines planchers ont été supprimées en 2014. Les envisager à nouveau est aller à l'encontre d'une quelconque cohérence face auxdits maux de la justice pénale. L'objectif d'enfermer plus vite s'incarne aussi dans la proposition d'un « plaider coupable » en matière criminelle. Cette procédure reposerait sur une négociation du quantum de la peine sans procès, et donc sans laisser de place aux débats ni sur les faits ni sur la personnalité.

En somme, l'essentiel de la réponse attendue est oublié car aucune revalorisation des moyens alloués à la justice n'est prévue. Créer des postes de magistrat et de greffier, s'assurer que ces derniers soient pourvus: une mesure qui n'a rien de révolutionnaire mais qui rendrait certainement la justice plus efficace». •

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En liant la refonte des peines au démantèlement de la police judiciaire, c'est l'autonomie de l'enquête et donc le lien avec l'autorité judiciaire qu'on affaiblit.

ANTHONY CAlLLÉ, Secrétaire général de la CGT police

Alors que la situation politique se révèle pour le moins compliquée et incertaine, on sent bien que la perspective de la prochaine élection présidentielle hante les milieux politiques. C'est dans ce contexte que le garde des Sceaux nous promet, dans un courrier soigneusement ébruité, un «bigbang» de la justice. On risque plutôt de constater un « big flop ». En courant derrière le Rassemblement national et en cédant à des sirènes qui n'ont rien de disruptives, M. Darmanin, qui constate les dysfonctionnements de son ministère, nous propose de vieilles recettes: une justice automatisée par les peines planchers, un désengorgement carcéral par la « contraventionnalisation » de certaines infractions ou la substitution de l'emprisonnement par des amendes. li applique la même méthode: ajuster la justice aux coup budgétaires en la pliant non pas aux besoins du terrain, mais aux moyens restreints décidés en haut.

C’est pourtant l'inverse qu'il faudrait faire. Doter la justice d'un budget suffisant permettrait de mettre fin à des conditions de détention indignes, condamnées par l'Europe, et d'assurer un suivi postincarcération permettant une réinsertion rapide prévenant la récidive. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: 31 % des sortants de prison récidivent dans l'année. Ce taux tombe à 23 °!o avec une libération conditionnelle, à 18 % avec un aménagement. Preuve que la réinsertion protège mieux que l'enfermement automatique. Un budget adapté redonnerait à la justice son efficacité et sa dimension humaine, par le recrutement de magistrats, greffiers et personnels, mettant fin aux jugements expédiés et à la lenteur excessive. Loin de s'attaquer à la complexité d'un droit devenu illisible à force de réformes dictées par l'actualité, le ministre propose un dispositif de «plaider-coupable» à l'américaine qui écarte le juge de l'appréciation des faits, ne lui laissant que la validation. Un système contestable au regard de I'égalité de chacun devant la justice. Par ailleurs, l'articulation police-justice n'est nullement améliorée, alors qu'elle conditionne l'efficacité et la légitimité du système aux yeux des justiciables.

La réinsertion protège mieux que l'enfermement automatique.

Le piège est aussi institutionnel. En liant la refonte des peines au démantèlement progressif de la police judiciaire, désormais placée sous l'autorité des préfets, c'est l'autonomie de l'enquête - et donc le lien avec l'autorité judiciaire- qu'on affaiblit. La CGT le rappelle: une police judiciaire forte, spécialisée, indépendante et articulée aux juridiction est essentielle pour lutter contre la criminalité, les violences ou la délinquance économique. Nous ne voulons pas d'une justice téléguidée, ni d'une police réduite au rôle de bras armé du pouvoir. Ce que nous défendons, c'est un système judiciaire structuré, humain, cohérent, protecteur. Une justice qui prend le temps de la vérité, pas celle des algorithmes ou de la précipitation. Ce big bang punitif n'est pas une réforme. Il finira en big flop. •

L’Humanité - le 4 juin 2025

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