Les surveillants pénitentiaires attaqués à la prison de Condé-sur-Sarthe racontent leurs séquelles
"Ma corpulence m'a sauvé": les surveillants pénitentiaires attaqués à la prison de Condé-sur-Sarthe racontent leurs séquelles devant la cour d'assises spéciale de Paris. https://t.co/XVdNpVfyIu
— framafad paca corse (@WaechterJp) June 14, 2025
Les deux surveillants pénitentiaires, attaqués en 2019 à la prison de Condé-sur-Sarthe, ont témoigné devant la cour d'assises spéciale de Paris ce jeudi 12 juin.
Certains matins, Yannick se réveille la joue gauche un peu engourdie. Olivier, lui, apprivoise encore aujourd’hui les séquelles gravées sur son bras. En mars 2019, ces deux agents pénitentiaires ont été attaqués par Michaël Chiolo et sa compagne, Hanane Aboulhana, morte dans l’assaut du Raid, à la prison de Condé-sur-Sarthe. Six ans plus tard, les deux hommes ont raconté cette attaque devant la cour d'assises spéciale de Paris, ce jeudi 12 juin au procès de l'attentat de la prison de Condé-sur-Sarthe.
Le 5 mars 2019, les deux agents prennent leur service à 6h45. Yannick et Olivier font couler un café pour lancer leur journée puis se rendent à l’Unité de vie familiale (UVF), un appartement sécurisé au sein duquel les détenus peuvent accueillir leur famille.
Michaël Chiolo, incarcéré pour des faits de droit commun, s’y trouve avec sa compagne, Hanane Aboulhana. "Ils nous ont fait un signe par la fenêtre", a exposé Yannick, en visioconférence, à la cour. "Il nous a dit qu’il voulait faire une sortie anticipée, car sa femme était enceinte et ne se sentait pas bien."
"Je me suis dit qu'il voulait m'égorger"
Les deux agents lancent la procédure. La sortie anticipée est acceptée, et la femme de Michaël Chiolo est autorisée à sortir. Yannick et Olivier se rendent à leurs côtés pour faire l’état des lieux de restitution de l’appartement.
"On était dans le patio. Quand on a ouvert la porte, j’étais face à la personne détenue", a rapporté Yannick ce jeudi. Michaël Chiolo lui signale qu’un câble manque à la console de jeux de l’UVF. Olivier entend l’information et s’étonne, la conversation s’interrompt.
"Je regarde sa femme, je le regarde et là, d’un geste extrêmement rapide, je vois une lame arriver au niveau du visage de Yannick. Je tente de venir et je sens un coup. Je me suis dit ‘toi aussi t’en prend un’", a rapporté la victime à la cour.
Depuis la porte de l’Unité de vie familiale, Yannick reçoit "un coup au niveau du crâne", tombe à terre, et se met sur le ventre. "C’était pour me protéger", a-t-il expliqué ce jeudi. L’agent pénitentiaire ne comprend pas immédiatement que Michaël Chiolo, qui crie en arabe "Allahou Akbar", l’a poignardé. Il n’a d’ailleurs jamais eu d’antécédents avec lui. Un bonjour, un au revoir, pas plus, pas moins.
"Il criait plein de choses. J’ai tourné la tête vers mon collègue, Olivier. Je le voyais sur les genoux. Il était violenté par cette femme, et c’est là que je me suis dit qu'il se passait quelque chose."
Olivier est au sol. "Chance ou non, je finis par prendre le dessus, je me retrouve au-dessus d’elle. Je l’étrangle, elle perd son souffle, et dans ses derniers souffles, elle appelle Chiolo", a-t-il expliqué. "Après, je ressens un poids et une douleur au crâne. Je comprends que j’ai les deux sur moi." Olivier sent alors une main le tirer par l’arrière.
Cette main, c’est celle de Yannick. Au sol, l’agent pénitentiaire s’est débattu contre Michaël Chiolo. "J’ai donné des coups de pied, il s’est reculé, j’ai rampé et j’ai ramassé le couteau en céramique", a-t-il expliqué. "Quand j’ai vu le couteau, un instinct de survie est venu en moi. Je me suis dit qu’il voulait m’égorger."
Il se rend armé au chevet de son collègue. Michaël Chiolo et sa compagne se retranchent dans l’UVF. Yannick et Olivier, eux, parviennent à s’extirper, et à appeler du renfort. "C’était très très violent, en moins de cinq minutes. C’est allé très vite." Michaël Chiolo et sa compagne resteront 10 heures retranchés dans l’UVF avant l’intervention du Raid. Cette dernière sera tuée pendant l’assaut.
Des séquelles physiques et psychologiques
Ce jeudi 12 juin, Yannick et Olivier ont raconté leur vie d’après. "Je suis passé par différentes phases très compliquées", a raconté Yannick, évoquant des nuits sans sommeil, sa volonté de ne pas trop en dire à des parents bien trop éloignés géographiquement. Après de longues années d’arrêt, il a retrouvé la prison de Condé-sur-Sarthe en 2023. "C’était ma volonté, je viens du Nord. J’ai tout sacrifié pour venir ici", a-t-il détaillé. "Ça va mieux. J’ai remis les pieds dedans, j’ai hâte qu’on ferme le livre."
Il conserve aujourd’hui des séquelles physiques, la lame du couteau en céramique utilisé par l’accusé est toujours en lui, logé dans son omoplate gauche. Et des séquelles psychologiques. S’il tenait à être présent pour témoigner devant la cour d’assises spéciale de Paris, l’agent pénitentiaire a finalement décidé de s’exprimer à distance depuis la prison de Condé-sur-Sarthe. "Pour moi, ici, je suis en sécurité", a assuré l’agent pénitentiaire qui, cinq ans plus tôt, se faisait poignarder dans cette même structure.
De son côté, Olivier, marqué physiquement et psychologiquement, a aussi repris son activité professionnelle à la prison de Condé-sur-Sarthe. Il suit une formation dans l'administratif. L'annonce du procès a fait remonter en lui de douloureux souvenirs: des flashs, des voix. "On ne s’y attendait pas (à cette attaque, NDLR) (...) La surprise et la violence des coups...", a confié Olivier.
VOIR LE REPORTAGE SUR VOTRE NAVIGATEUR
Au moment des premiers soins prodigués par ses collègues, il entend l'un d'eux dire: "il ne survivra pas". Une phrase qui continue de le marquer aujourd'hui, tout comme un autre souvenir: "les médecins me l'ont dit, c’est ma corpulence qui m’a sauvé".
Olivier et Yannick s'accordent à dire qu'ils n'avaient jamais rencontré de problèmes avec les détenus avant cette attaque. "Ce n’était pas moi qui étais visé personnellement. C’était l’uniforme. Ça aurait pu être n’importe qui ce matin-là", a conclu Yannick.