Pourquoi les prisons pour mineurs ne sont occupées qu’aux deux tiers

« Nous avons des places libres pour les mineurs, en établissement pénitentiaire pour mineurs et en quartier pour mineurs. Le taux de remplissage est de 70 %. »


• Paule Gonzalès

Sur Europe 1, le pédopsychiatre Maurice Berger, spécialiste de la violence des mineurs, appelait mercredi matin à un sursaut pénal après la mort de Mélanie G., surveillante de 31 ans, agressée au couteau par un adolescent de 14 ans à Nogent, mardi. Et d’ajouter : « Ce n’est pas comme pour les majeurs, (pour lesquels) les maisons d’arrêt sont pleines à environ 150 %. Là, on a des places. Donc on a une question d’idéologie qui nous empêche de mettre cette butée absolument indispensable. »

La question que soulève le praticien ne se pose pas réellement en l’espèce puisque, pour un crime, la détention provisoire est systématiquement requise, si elle n’est pas, il est vrai, toujours retenue par le juge pour enfant. En l’occurrence, l’adolescent devrait faire, d’ici à son jugement, 18 mois de détention préventive - au maximum.

Mais la remarque du pédopsychiatre pose deux questions. D’abord, est-il vrai que le taux de remplissage des établissements pénitentiaires pour mineurs et des quartiers mineurs est aussi bas ? Et si oui, pourquoi ? Le taux de remplissage pour les mineurs navigue en effet entre 70 % et 80 %. Une fois ces niveaux dépassés, des alertes se déclenchent pour avertir la direction de l’administration pénitentiaire de la situation.

Tout surveillant pénitentiaire témoignera de la dureté des détentions de mineurs, bien plus compliquée à surmonter que celles des majeurs. « Les heurts entre jeunes détenus peuvent être si violents qu’il est d’usage de garder des cellules vides au sein de ces structures pour s’octroyer une marge de manœuvre afin de changer de cellule, de coursive ou d’étage un jeune détenu. Soit parce qu’il en menace ou en affronte d’autres, soit parce qu’il est mis en danger par des codétenus. Nous faisons tout pour éviter l’intervention physique », souligne Wilfried Fonck, membre de l’Ufap-Unsa surveillants.

Cette marge de manœuvre est d’autant plus étroite que l’encellulement est obligatoirement individuel et que le quartier d’isolement n’existe pas dans ces structures pour mineurs. « Si nous étions à 100 % sur ces établissements, cela deviendrait vite des cocottes-minute ingérables. Si nous avions une seule gestion pénitentiaire, ce serait peut-être encore possible. Mais, comme la priorité de l’éducatif demeure, ces établissements sont codirigés par la direction de l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse. »

Ces dernières semaines, deux établissements d’Île-de-France ont déclenché leur seuil d’alerte, ceux de Porcheville et de Nanterre. Dans ce dernier, sur dix-huit cellules, quinze sont occupées. Rarement le taux d’occupation n’a été aussi élevé. ­Au-delà de cette raison objective de gestion carcérale, y a-t-il une réticence à incarcérer les mineurs délinquants ?

Si l’on se penche sur les statistiques pénitentiaires, les chiffres d’incarcération varient peu entre 1980 et aujourd’hui. Il y a cinquante ans, on comptait 791 mineurs incarcérés contre 857 au 1er mai dernier, dont 58 % sont des prévenus qui attendent leur procès. Une stabilité qui donne à penser que la délinquance des mineurs n’a pas changé et qu’il n’y a aucune évolution de la violence ­juvénile.

Or, si l’on observe les chiffres du ministère de la Justice de plus près, en étudiant la durée moyenne de détention pour les mineurs, on constate que cette dernière est passée de 1,9 mois en 1994 à 4 mois au 31 décembre 2023. Mathématiquement, à flux égal de délinquants ou criminel condamnés, le nombre de détenus aurait théoriquement dû doubler. Cela n’a pas été le cas : ils étaient respectivement 562 et 771.

Où sont passés ces jeunes délinquants ? En septembre 2002 ont été créés, par la loi Perben 1, les centres éducatifs fermés (CEF), une alternative à l’incarcération très décriée dans plusieurs rapports successifs, mais qui retenait pourtant entre ses murs 560 mineurs au 31 mai dernier. Si l’on additionne les mineurs incarcérés et ceux placés en CEF, on arrive peu ou prou au doublement de la délinquance des mineurs en France.

Comme pour les majeurs, la France a donc fait le choix de privilégier les alternatives à l’incarcération pour les mineurs. C’est le sens des placements en CEF pour les infractions non criminelles. Les chiffres montrent toutefois que, contrairement à ce que peuvent affirmer les doxas ministérielles successives, il y a bien plus de délinquants mineurs que par le passé. Il faudrait ainsi doubler le nombre de places de prison pour mineurs si l’on souhaitait privilégier les incar­­cé­rations aux placements en centres éducatifs.

PROPOS RECUEILLIS PAR PAULE GONZALÈS

Le Figaro, le 13 juin 2025

PLAN DU SITE - © la FRAMAFAD PACA & CORSE- 2025 - Pour nous joindre