Gérald Darmanin face au piège pénitentiaire

La surpopulation carcérale oblige le ministre de la Justice à multiplier les idées, parfois baroques, pour desserrer l’étau.


• Paule Gonzalès

Gérald Darmanin a toujours dit qu’il faisait avec ce qu’il avait. « Quitte à faire parfois de sacrées sorties de route », sourit un haut magistrat qui, comme toute la planète « justice », s’est étranglé à l’heure du petit déjeuner, le 30 juin dernier, quand le garde des Sceaux a annoncé sur RTL qu’il réfléchissait à réquisitionner des Ehpad ­désaffectés ou à louer des cellules allemandes et espagnoles pour y placer le trop-plein de détenus français.


De quoi, selon le ministre de la ­Justice, contribuer à régler la surpopulation carcérale en France, qui atteint des sommets : 83 000 détenus pour 62 500 places opérationnelles et des régions entières, notamment dans le Sud, où le taux d’occupation moyen est ­désormais de l’ordre de 250 %.

« Cette nouvelle fausse bonne idée du garde des Sceaux va accroire l’idée que nos Ehpad ne sont pas si éloignés du ­système carcéral, avec leur SAS, leur zone interdite au public et leurs portes fermées… », ironise un responsable d’Ehpad qui rappelle plus sérieusement que, « vu la démographie de nos aînés, nous aurons nous-même un déficit d’établissements en 2035, comme l’a rappelé notre ministre de tutelle. Gérald Darmanin semble l’avoir oublié. »

Au sein de l’administration pénitentiaire, on temporise : « Cela rejoint une autre idée du garde des Sceaux, celle d’utiliser des bâtiments désaffectés que l’on pourrait mettre facilement au niveau sur le plan sécuritaire pour les peines les plus légères et les délits les moins graves, ou pour augmenter le nombre de places de semi-liberté. Le garde des Sceaux a lancé une dynamique sur laquelle on ne reviendra pas, celle d’une incarcération en fonction de la seule gravité des faits commis. »

Pour beaucoup, cette idée de construire vite et pas cher pour absorber les flux de la délinquance ne résistera pas à quelques principes de réalité : « Il suffit de constater l’avalanche de normes en tout genre, d’autorisations et de tracasseries administratives pour comprendre que ces places mettront plusieurs années à voir le jour. Or, pendant ce temps, la population pénale croît, et nous aurons 85 000 détenus à Noël. À peine nous annonce-t-on 3 000 places préfabriquées à l’horizon 2027 », rappelle un magistrat au long cours. À raison de 1 000 détenus supplémentaires par trimestre, cette mesure déjà lancée, elle, ne suffirait pas à endiguer une telle hausse.

Pour les observateurs, l’idée de confier la gestion des détenus à des pays étrangers - comme le fait par exemple le Danemark, qui a conclu un accord avec l’Albanie - serait également irréaliste. « Notre Constitution nous interdit de déléguer une mission régalienne à un pays étranger. Or la prison est une mission régalienne », soulignent juristes et magistrats. « À moins, bien sûr, de convoquer le Congrès et de faire une réforme constitutionnelle. » L’idée ayant été portée par le président la République lui-même lors de l’une de ses dernières interventions télévisées, il est sans doute difficile pour Gérald Darmanin de le déjuger.

Plus discrètement, la Chancellerie a lancé, le 1er juillet, une « task force » composée d’une sous-préfète, d’un magistrat du parquet et d’une directrice d’établissement pénitentiaire pour se saisir à bras-le-corps de la question des détenus étrangers européens - soit 25 % des détentions en France - afin qu’ils purgent leur peine dans leur pays d’origine. « Cela implique une reconnaissance des jugements français. Nous travaillons à cela et nous y arriverons », promet un proche du dossier.

Cette avalanche d’idées traduit, en tout cas, la fuite en avant de la justice face à une situation carcérale qui se dégrade depuis 2009. Un « annus horribilis » où les grâces présidentielles avaient disparu et où les aménagements de peine s’imposaient comme une règle. En 2013, Christiane Taubira remettait l’ouvrage sur le métier en gelant le plan Sarkozy de construction de places de prison.

Quinze ans plus tard, les résultats sont là : l’État ne dispose plus de soupape pour vider les prisons en cas de trop-plein, les durées des peines s’allongent car les aménagements n’ont pas produit la désistance des délinquants ou ont échoué à les réinsérer, le retard immobilier n’a jamais été comblé et l’opinion publique est chauffée à blanc par l’explosion de la délinquance. Hors de question pour le garde des Sceaux - dont ce n’est d’ailleurs pas la conviction - de prôner publiquement la régulation carcérale. Seule la commission des lois promet publiquement un texte en ce sens à la rentrée.

Une situation qui contraint Gérald Darmanin à un redoutable exercice d’équilibriste. « D’un côté, le ministre de la Justice affiche la volonté politique d’une grande sévérité, comme l’ont prouvé ses propos au lendemain des émeutes lors de la finale de la Ligue des champions 2025. D’un autre, sa dernière circulaire pénale dessine en creux un recours à l’incarcération limitée aux délits les plus graves, comme les atteintes aux personnes, le trafic de stupéfiants et les actes racistes et antisémites », rappelle un haut magistrat sans illusion. Entre ces deux rives, le ministre promet une grande réforme des peines, dont l’architecture repose sur la certitude de leur exécution, avec en pierre de touche la création d’une vraie peine de probation et même d’une police de la probation. On ne doute pas que les États généraux de la probation que le ministre a inaugurés fin juin valideront ces propositions, fondant bien davantage encore la ­réponse pénale dans le champ des ­alternatives à l’incarcération.

Reste le temps présent, l’été et ses épisodes caniculaires, bientôt doublés du délicat transfert de 100 des narcotrafiquants les plus dangereux du pays dans des prisons de haute sécurité d’ici à la fin du mois de juillet. La pénitentiaire est au bord du précipice. « Attention le temps est sec, il ne faudrait pas que ça se transforme en feu de forêt », souligne Wilfried Fonck, secrétaire ­national de l’Ufap-justice. Déjà les établissements de Perpignan et de Villeneuve-lès-Maguelone ont successivement dévissé ces dernières semaines, rappelant que chaque jour de calme en détention tient du miracle.

Gérald Darmanin multiplie donc les réunions avec les procureurs généraux, les procureurs de la République et les caciques de l’administration pénitentiaire. Au cours de l’une d’entre elles, cette dernière a insisté sur les marges de manœuvre : le transfert de détenus vers le Grand Est, un meilleur usage de la semi-liberté, du placement extérieur ou du bracelet électronique. La direction des affaires criminelles et des grâces a, elle, martelé que « les aménagements de peine doivent se développer » et que « les réquisitions des parquets doivent aller en ce sens dès le jugement ab initio ou au stade de la fin de peine, au cas par cas. 25 % des détenus le sont pour des affaires routières et des atteintes aux biens. Il y a aussi la possibilité de ralentir les mises à exécution », aurait-il été évoqué. En tout, 7 000 détenus pourraient être concernés.

Les « parquetiers », qui ont bien conscience de la situation, sont prêts à faire un effort mais ont tout de même rappelé en substance que, si la justice devait accorder plus de réductions de peine et plus de libérations sous contrainte, il faudrait diligenter une étude d’impact sur la récidive. Au vu du parcours d’un bon nombre d’individus, l’incarcération est en effet la seule possibilité.

Plus que jamais, la bague d’or du ­ministère de la Justice est dans la main de l’administration pénitentiaire. Le garde des Sceaux le sait bien, qui a promis cet hiver de l’élever au grade de direction générale quand la magistrature n’a droit qu’à de simples directions. Un camouflet que ruminent bien des hauts magistrats. P. G.


Le Figaro, le 9 juillet 2025

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