Surpopulation carcérale : "L’indignité est devenue acceptable et gérable"

Alors que le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Syndicat de la magistrature (SM) organisent le 4 juillet une table ronde autour de l’incarcération, entretien croisé avec la magistrate Laurence Blisson et l’avocat Valentin Loret.


• Recueilli par Marguerite DEGEZ

Vous organisez le 4 juillet prochain une table ronde autour de l’incarcération. Pourquoi ?

Laurence Blisson (SM) : Nous sommes dans une situation d’aggravation de l’état de surpopulation carcérale qui nous amène à interroger ses causes, se demander ce que ça produit… Chez les magistrats, nous recevons périodiquement les chiffres de la surpopulation carcérale. Notre volonté, c’est de ne pas rester fataliste face à ces chiffres qui sont dramatiques. Le rôle des juges, c’est de prendre en considération -c’est ce que la loi nous demande - les conditions matérielles d’incarcération, les taux de suroccupation, de s’assurer que les conditions de détention ne sont pas indignes.

Valentin Loret (SAF) : En 2020 avec le Covid, on est revenu à des taux d’occupation normaux autour de 100%. Depuis cinq ans, ça ne fait qu’augmenter. On est à 200% d’occupation aux Baumettes avec une centaine de matelas au sol, on n’avait jamais vécu ça auparavant. Dans le même temps, il y a des rapports - dont un initié par le ministère de la Justice lui-même - qui parlent d’indignité, d’absence de sens de la peine, d’impossibilité de pouvoir suivre les gens… Face à ça, on a un discours politique hyper répressif, qui souhaite que les gens entrent en prison, comme si c’était la seule possibilité pour régler des problèmes de société et pour réhabiliter des personnes. Or, on sait que la prison n’est pas la seule possibilité. Et surtout, lorsqu’on a des taux de suroccupation comme ça, c’est évident que la peine de prison ne remplit pas ses objectifs de réhabilitation des personnes.

La période du Covid était exceptionnelle…

Laurence Blisson (SM) : Pendant longtemps, on se disait : cette situation de suroccupation, elle va perdurer, on n’arrivera jamais à en sortir. J’étais juge de l’application des peines au moment du Covid, je l’ai connue. Il y a eu une intense activité qui a consisté à re-questionner l’incarcération de chacun, parce qu’elle était vectrice de la maladie. On ne pensait pas arriver à retrouver les conditions d’un encellulement individuel. Ça a existé, de manière furtive et puis ça s’est à nouveau emballé. Ça peut se reproduire.

"On est à 200% d'occupation aux Baumettes avec une centaine de matelas au sol. ,,

À qui s’adresse cette table ronde ?

Valentin Loret (SAF) : D’abord aux professionnels du droit. Le but, c’est de poser de manière objective le constat à Marseille de l’indignité dans laquelle on est en train de s’enfoncer, pour essayer de trouver des solutions locales qui nous permettent de sortir de cette surpopulation carcérale et ce discours répressif. C’est aussi une réponse au procureur de la République qui dit : "À 200% d’occupation, je continuerai d’appliquer les peines." Il faut appliquer toute la loi mais elle ne peut l’être si elle ne respecte pas les textes qui assurent la dignité et le sens de la peine. C’est intolérable qu’on soit à 200% et qu’on le gère. L’indignité est devenue acceptable et gérable.

Cette mission d’urgence commandée par le garde des Sceaux souligne la hausse des peines d’emprisonnement ferme et leur rallongement. Quelles en sont les causes selon vous ?Laurence Blisson (SM) : Les juges appliquent les lois dans un contexte social. Les lois ne cessent d’aggraver les peines d’emprisonnement sous tous les derniers gouvernements. Il y a des discours politiques, médiatiques, qui tendent à confondre une sanction juste avec une répression très forte, qui placent l’incarcération comme étant la seule modalité réelle de sanction.

C’est quelque chose qui va toucher les citoyens mais les juges sont aussi impactés. […] Alors qu’il n’y a pas du tout de corrélation entre la délinquance et la population carcérale. […] Il faudrait arriver à sortir de ce fatalisme. D’autres sanctions que la prison existent et sont plus productives, assurent davantage de sécurité parce qu’elles assurent la prévention de la récidive.

Valentin Loret (SAF) : On ne doit mettre en prison que les gens dangereux que la société a vraiment besoin de voir derrière les barreaux, dans des conditions qui vont permettre de les réhabiliter. En Allemagne, ils arrivent à baisser à 80% d’occupation. Aux Pays-Bas, ils ferment des prisons parce qu’ils n’ont plus assez de détenus. En France, on parle de louer des places de prison…

Vous recommandez de recourir davantage à des alternatives à l’incarcération ?

Valentin Loret (SAF) : Oui mais parfois dans le côté alternatif, la société a l’impression qu’il n’y aura rien. Il faut vraiment que ces alternatives soient présentées comme la possibilité pour les individus et pour la société de régler le problème. Nous ne voulons pas que les personnes récidivent. Mais nous pensons qu’aujourd’hui, la prison crée des conditions de récidive.

Laurence Blisson (SM) : Il y a aussi la réflexion à avoir en amont sur ce qu’on veut punir et de quelle manière. Quand on compare l’impact social de certaines infractions qui sont peu poursuivies dans le domaine économique et financier, avec l’impact de certaines infractions un peu quotidiennes…

Dans le ressort de Marseille, les narcotrafiquants sont au cœur de la politique pénale. Faut-il les traiter à part ?

Laurence Blisson (SM) : Non, parce que les infractions à la législation sur les stupéfiants, ce sont 15 niveaux différents d’implication et donc on ne peut pas traiter ça avec une réponse uniformisée. […] Le problème, c’est quand on s’emballe en pensant que l’incarcération à tous niveaux des trafics de stupéfiants va constituer une réponse comme si plus l’État était répressif, mieux on arriverait à lutter contre le trafic de stupéfiants. Il faut pouvoir réfléchir de manière plus globale à ce qui permet à ces réseaux de s’installer, de prospérer.

Vous évoquez une répression montante, qui se heurte au sentiment de laxisme de la justice dans l’opinion publique. D’où vient selon vous cette dichotomie ?Valentin Loret (SAF) : Il y a toujours eu un discours politique de dire qu’il faudrait plus de sanctions pour régler un problème social. Derrière ce discours, il y a l’effet média, il y en a un effet réseaux sociaux aussi. Tout ça vient s’emballer.

Laurence Blisson (SM) : Sur le sentiment de laxisme, j’invite tous les citoyens à venir en comparutions immédiates, à sortir des discours, pour assister à la réalité de la justice pénale.

La Provence, le 30 juin 2025

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