Salles indisponibles, interdiction d’accès à Internet… alors que nombre de détenus tentent de poursuivre une formation, les moyens et le soutien politique manquent.
Les études en prison, un sacerdoce d’un autre temps
— framafad paca corse (@WaechterJp) June 28, 2025
Salles indisponibles, interdiction d’accès à Internet… alors que nombre de détenus tentent de poursuivre une formation, les moyens et le soutien politique manquent. @libe pic.twitter.com/AeOHdq2t6j
Cet article de @libe met en lumière les difficultés rencontrées par les détenus souhaitant poursuivre une formation en milieu carcéral, soulignant un système pénitentiaire en crise. Avec une surpopulation alarmante et des conditions de vie dégradantes, les possibilités d’éducation sont entravées par l’absence de ressources et de soutien politique.
Le texte critique la tendance des décideurs politiques à renforcer les mesures répressives sans considérer l’importance de l’éducation pour la réhabilitation des détenus. Les activités éducatives, souvent qualifiées de futiles, sont essentielles pour la réinsertion et doivent être soutenues.
Historique de l'enseignement en prison, l'article rappelle que bien que des partenariats aient été établis, l’accès à l’éducation reste limité en raison de l’insuffisance des salles, du manque d’enseignants et de l’absence d’accès à Internet. Les détenus rencontrent de nombreuses barrières pour s’inscrire à des formations et accéder aux ressources nécessaires.
L’auteur appelle à une mobilisation des universités pour offrir un soutien éducatif aux détenus, soulignant que l’apprentissage est un droit et un besoin essentiel pour leur réinsertion. Il plaide pour un cadre législatif qui permettrait une meilleure intégration des savoirs universitaires en prison, bénéfique tant pour les détenus que pour la société en général.
• Par Jules Brunetti Doctorant en droit public à l’université Clermont-Auvergne, fondateur de l’association Albin qui diffuse le savoir universitaire en détention
Le système carcéral français est à bout de souffle. La surpopulation carcérale explose, avec 62 570 places pour 83 681 détenus. Un tiers des personnes détenues présentent des troubles psychiques, dont 10 % relèvent de formes sévères. Etre incarcéré en France multiplie par neuf le risque de suicide, la moyenne étant d’un suicide tous les trois jours. Six détenus sur dix récidivent dans les cinq années suivant leur libération. Enfin, s’ajoutent la vétusté et l’insalubrité de nombreuses structures.
Penser qu’il s’agirait là d’une part légitime de la pénitence des condamnés est absurde : si l’écrasement carcéral suffisait à annihiler le délinquant, le modèle actuel aurait déjà fait ses preuves.
A qui profite cette ignorance ? A personne. Les rapports indiquent tous qu’en l’état actuel, la prison organise une peine dénuée d’utilité et donc de sens, tant pour le corps social que pour le détenu et les personnels chargés de l’exécution des peines. Personne ne peut raisonnablement se satisfaire de ces données, ni de dépenser tant d’argent public pour un résultat aussi vain que contreproductif.
Or, à en croire certains ministres, il faudrait «renforcer» et «interdire» toujours et davantage. A chaque nouvelle annonce, la communication se veut plus volontariste que la précédente. On pense au «veto clair» exprimé par Eric Dupond-Moretti, en réponse à la polémique suscitée par la simple captation vidéo d’une compétition sportive à Fresnes ; ou à la volonté de Gérald Darmanin d’interdire des «activités ludiques» ou «provocantes» en détention. Ces activités, volontairement mal nommées et très mal définies, ne peuvent qu’induire en erreur un public moins averti.
Quand bien même ces promesses de Gascons sont généralement regrettables, les politiques ne sont pas les seuls à blâmer. La société semble ignorer elle aussi qu’entraver toujours plus le détenu dans ses droits ou sa dignité revient à réduire sa capacité à se réinsérer. Pourtant, la compassion due aux victimes et la construction collective d’un système répressif reposant sur l’amendement du condamné et l’évitement maximal de la récidive, sont loin d’être contradictoires. Au contraire, elles se rejoignent.
Les «activités» si décriées par Gérald Darmanin aident à cette convergence. Elles sont rarement futiles et, faute d’être soutenues, manquent des moyens nécessaires pour porter leurs fruits.
Charge titanesque
C’est le cas de l’enseignement en prison. Historiquement, l’institution carcérale s’est ouverte à cette possibilité à partir de la Libération et sous l’impulsion de personnalités comme Germaine Tillion, ancienne résistante et attachée au cabinet du ministre de l’Education nationale, ou Charles Germain, alors directeur de l’administration pénitentiaire.
Malgré l’officialisation d’un partenariat crucial en 1995 entre les ministères de l’Education nationale et de la Justice et le vote d’une loi en 2009, enseigner et étudier en milieu fermé relève souvent d’une forme dépassée de sacerdoce entre manque de temps, nombre restreint d’enseignants et déficit de salles de cours disponibles. L’organisation de la détention engendre une assiduité en dents de scie. Les collègues de l’éducation nationale doivent assurer la prise en charge de détenus de niveaux très hétérogènes : adultes ou mineurs, français ou étrangers. Ils doivent en outre se concentrer sur la lutte contre l’illettrisme, la transmission des savoirs fondamentaux, le suivi administratif, les inscriptions et la préparation à plusieurs diplômes, y compris universitaires.
Cette charge déjà titanesque est alourdie par la dématérialisation généralisée des services publics, à laquelle n’échappent ni l’éducation nationale, ni l’enseignement supérieur. Comment accéder aux espaces numériques de travail, aux supports pédagogiques ou aux inscriptions sans ordinateur ni Internet ?
Les témoignages des universitaires, qu’ils soient titulaires ou doctorants, confirment l’expérience des collègues de l’enseignement secondaire : on se heurte à un mur invisible. Se dressent successivement les demandes d’exonération des frais d’inscription, la quasi-impossibilité de candidater dans les formations par les voies ordinaires, la difficulté de recueillir et de transmettre les supports pédagogiques, des modalités d’examen inadaptées, l’organisation complexe des partiels in situ, et le retour au tout-imprimé en papier, souvent aux frais de ceux qui enseignent. Pour autant, les universités peuvent et doivent se porter volontaires.
D’abord, parce qu’apprendre n’est évidemment pas un privilège mais un droit, et un impératif d’utilité générale. Si la privation de liberté sanctionne la violation de la règle, elle doit aussi porter le contrevenant à apprendre et à restaurer son lien avec la société. La détention autant que la faculté devraient pouvoir favoriser mieux encore la prise ou la reprise d’études universitaires.
Ensuite, parce qu’il ne revient pas à l’administration pénitentiaire et à l’éducation nationale d’assumer seules le rôle de gestionnaire multimodal d’une prison considérée comme un immense débarras humain.
Enfin, parce que les universitaires peuvent prolonger et soulager le travail de première ligne mené par les personnels de l’éducation nationale et, le cas échéant, des Services pénitentiaires d’insertion et de probation, pour des détenus maîtrisant d’ores et déjà les savoirs fondamentaux. Toutes les expérimentations démontrent un appétit sans cesse renouvelé des détenus pour les enseignements universitaires.
Dans les deux sens
Que l’université parvienne à eux sous la forme d’inscriptions régulières dans les filières ou par le biais des fameuses «activités» − conférences en détention, concours d’éloquence ou tutorats, l’intérêt est manifeste et concerne l’ensemble des champs disciplinaires. Lorsque les supports de cours parviennent à trouver le chemin de la cellule, les copies témoignent de résultats satisfaisants. Il existe un besoin réel, n’en déplaise aux partisans de la sévérité la plus aveugle.
Une spécificité, sans doute plus positive, de la détention réside dans le fait que l’apprentissage s’y fait nécessairement à hauteur d’homme, et dans les deux sens. Pénétrer dans une prison pour y diffuser un savoir, c’est l’assurance d’en ressortir à son tour moins ignorant : les universitaires peuvent représenter une interface de diffusion du savoir en détention auprès des détenus, mais aussi sur la détention auprès du citoyen.
Autonomie des universités oblige, il reste à élaborer un cadre législatif commun aux établissements supérieurs afin d’assurer un déploiement harmonieux et ambitieux de ces savoirs, au-delà des émotions et des murs.
Libération, le 27 juin 2025