Surpopulation carcérale : l’alerte choc d’un directeur de prison

Dans une note interne que Le Parisien s’est procurée, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse s’alarme des effets d’une surpopulation record.


Par Carole Sterlé et Timothée Boutry 

C’est le cri d’alerte d’un professionnel du secteur. Un homme du sérail qui vit le désastre de l’intérieur et met en garde contre les lourdes conséquences à venir. Dans une note interne que nous nous sommes procurée, le directeur interrégional des services pénitentiaires (Disp) de Toulouse (Haute-Garonne), Stéphane Gély, tire la sonnette d’alarme sur la surpopulation carcérale dans les prisons de son territoire.

Dans ce courrier adressé aux chefs de cours d’appel de son ressort — Toulouse, Montpellier, Nîmes, Pau et Agen —, avec copie au directeur de l’administration pénitentiaire, il prévient que le système est au bord de la rupture et qu’il ne pourra bientôt plus incarcérer de nouveaux détenus….. « Depuis de nombreux mois, je vous alerte régulièrement sur la situation rendue catastrophique par la surpopulation pénale, avec toutes les conséquences qui en découlent tant sur le sens de la peine, la qualité de la prise en charge que des conditions de travail des personnels pénitentiaires », indique le début de ce courrier du 11 juin.


75 détenues pour 28 places à Perpignan


En octobre 2024, Stéphane Gély avait déjà adressé une lettre aux mêmes interlocuteurs, révélée par « le Point ». Le haut fonctionnaire y alertait déjà sur le recours excessif aux matelas au sol pour absorber le trop-plein de détenus, avec des établissements à plus de 200 % d’occupation. « Nos conditions de détention dans nos maisons d’arrêt […] sont indignes et engagent la responsabilité de l’État, tout comme je considère que l’augmentation de notre surpopulation pénale alimente cette indignité », soulignait-il. Huit mois plus tard, le tableau est encore plus sombre, Stéphane Gély faisant état des conséquences sur le personnel — mouvements sociaux de blocage — et sur les prisonniers — nécessité ponctuelle d’envoyer des renforts pour rétablir l’ordre.

« La Disp de Toulouse n’est plus en mesure d’écrouer la population pénale féminine, faute de places », expose de but en blanc le directeur interrégional. « Toutes les cellules sont triplées ; les quadrupler, au-delà de l’indignité, est matériellement impossible », ajoute-t-il, prenant pour exemple la prison de Perpignan. « Pour la première fois, la maison d’arrêt des femmes a stoppé les écrous », s’alarmait la section locale du syndicat Ufap-Unsa-Justice dans un communiqué du 4 juin, eu égard aux 75 détenues pour 28 places. Depuis des détenues sont « reroutées » vers Marseille (Bouches-du-Rhône) ou Bordeaux (Gironde). Concernant les prisonniers hommes, il ne dispose plus que de 250 matelas au sol.

N’ignorant pas que son courrier s’adresse à de hauts magistrats, l’auteur, « tout en respectant scrupuleusement l’indépendance de l’autorité judiciaire », constate « une certaine sévérité » des juges du ressort « par rapport à d’autres territoires » quant aux aménagements de peine.

Le « stop écrou » n’est pas une solution envisagée

Contacté par notre journal, Stéphane Gély n’a pas souhaité commenter davantage ce courrier qui « n’a pas vocation à être publié » mais dont le message est limpide. « Dans les jours qui viennent, écrit-il, tant la situation est devenue plus que critique, si des décisions infléchissant la surpopulation ne sont pas prises, je ne serai plus en mesure d’héberger. »

Au ministère de la Justice, on admet qu’avec une densité carcérale de 155,5 % au 1 er mai, « la Disp de Toulouse est particulièrement impactée ». Afin d’améliorer le quotidien des personnels et des incarcérés, l’administration pénitentiaire explique mener « une politique d’orientation active des détenus condamnés vers les établissements pour peine, afin de limiter la surpopulation en maison d’arrêt (qui reçoit principalement les prévenus en détention provisoire ou les condamnés à de courtes peines) ». Le « stop écrou » n’est pas une solution envisagée par la chancellerie : si les prisons du secteur ne peuvent plus accueillir, les détenus seront transférés ailleurs.

Mais avec une densité carcérale de 133,7 % sur la France entière au 1 er mai (83 681 détenus), l’Occitanie n’est pas la seule région à bout de souffle. « Nous rendons aujourd’hui à la société des personnes potentiellement plus dangereuses qu’au jour de leur incarcération, et ce risque engage d’ores et déjà notre responsabilité individuelle et sociétale », abonde le syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP-CFDT), dans une motion d’alerte du 17 juin rendue publique.

« L’accélération est devenue affolante »

Partout, les maisons d’arrêt sont dans le rouge : « Plus de la moitié des détenus de France sont dans des établissements à plus de 150 % d’occupation, soit plus de 40 000 personnes », décrit Jean-François Fogliarino, secrétaire général du SNDP-CFDT. Le syndicat s’interroge sur la capacité à répondre désormais aux « besoins primaires », à savoir la nourriture et l’hygiène. À Perpignan, le 20 juin, l’équipe régionale d’intervention et de sécurité (Éris) a été appelée pour faire remonter en cellule des hommes qui protestaient contre la surpopulation et réclamaient plus de douches.

« L’accélération des derniers mois est devenue affolante, insiste Prune Missoffe, responsable du plaidoyer dans la section française de l’Observatoire international des prisons. Avec l’été qui arrive, ses chaleurs caniculaires et ses activités réduites synonymes de temps accru en cellule, l’indignité va encore s’aggraver. La surpopulation a un impact sur tout : l’accès aux soins, à l’emploi, les préparations d’aménagement de peine… »

Un groupe de travail réunissant personnels, directions, médecins, avocats et piloté par la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) sera entendu le 2 juillet par la commission des Lois de l’Assemblée nationale. « Les parlementaires doivent entendre les professionnels leur dire que ça ne peut plus durer », commente Dominique Simonnot, CGLPL.

Le Parisien - Le 26 juin 2025

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