Prisons : «Plus de 5 000 nouveaux détenus par an, c’est une bombe»

Un groupe de vingt-sept organisations plaidait mercredi devant les députés pour la mise en place d’un mécanisme de régulation carcérale face à «l’urgence». La France compte plus de 84 000 détenus, un record.


• Par Chloé Pilorget-Rezzouk

L’intervention dure à peine quelques minutes, mais produit son petit effet. «Quand je vois ce rythme de plus de 5 000 [nouveaux] détenus par an, je m’inquiète, parce qu’on ne voit pas de frein. Quand est-ce que ça va s’arrêter ? Plus de 5 000 détenus, ce n’est pas normal. Plus de 5 000 pour nous, c’est une bombe. Et on vous aura avertis», a mis en garde mercredi le secrétaire national de FO Direction, syndicat majoritaire des directeurs de prison, Ivan Gombert, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale. Alors que les alertes se multiplient et que les acteurs du milieu pénitentiaire redoutent l’effet d’un été caniculaire sur des prisons pleines à craquer, un groupe de travail sur la régulation carcérale, regroupant vingt-sept organisations et mené sous l’égide de la contrôleuse générale des lieux de privation (CGLPL), était auditionné. Ils ont exhorté les députés à prendre «leurs responsabilités» et à inscrire dans la loi un mécanisme national de régulation carcérale, «qui doit être contraignant».

Dans ce groupe, des acteurs de terrain intervenant à tous les niveaux de la chaîne pénale, parmi lesquels l’Observatoire international des prisons, le Conseil national des barreaux ou les deux organisations professionnelles majoritaires au sein de la magistrature, l’Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature. «On a tous des divergences, mais une chose nous lie totalement : c’est l’urgence de la régulation carcérale, de faire sortir du monde de prison. Les conditions de prison actuelles sont infernales pour les détenus, mais aussi pour le personnel pénitentiaire», a introduit la CGLPL Dominique Simonnot, au lendemain de la publication des dernières statistiques par le ministère de la Justice - plus de 84 000 détenus au 1er juin, pour quelque 62 500 places, soit un taux d’occupation général de 135 %. Du jamais vu. Le 2 juillet marquait d’ailleurs une date anniversaire, fait remarquer l’ancienne journaliste : «Il y a cinq ans, jour pour jour, on était à 58 000 détenus grâce au Covid qui avait fait vider les prisons.» Justement avec un mécanisme de régulation carcérale.

«Nuisibles». Le groupe aurait dû être reçu en 2024 par les parlementaires, mais la dissolution est passée par là. Une année plus tard, quelque 6 500 détenus supplémentaires sont arrivés derrière les barreaux. «On s’en remet à vous aujourd’hui parce qu’on arrive à nos limites en tant qu’acteurs de terrain», a insisté l’un des porte-parole du collectif, qui plaide également pour un recours accru aux peines alternatives et un meilleur accompagnement des détenus dans leur réinsertion. Aujourd’hui, plus de 5 000 prisonniers dorment sur un matelas à même le sol, dans des cellules «souvent infestées de nuisibles».

«L’administration ne parvient plus à répondre aux besoins primaires des personnes qui lui sont confiées, a alerté la conseillère pénitentiaire Estelle Carraud, du Snepap-FSU. C’est le respect des droits fondamentaux qui est bafoué.» En 2020, la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour les traitements inhumains et dégradants subis par trois détenus de Fresnes. Une décision historique, mais restée sans réponse durable : le pays figure toujours au rang des cancres en la matière, troisième derrière Chypre et la Roumanie, d’après une étude du Conseil de l’Europe publiée en 2024. D’après nos informations, la justice française s’est même vue refuser récemment trois mandats d’arrêt européens au motif des conditions de détention indignes dans ses prisons.

Promesse d’une loi. Au cœur du tableau implacable et alarmant dressé devant la commission : un nombre trop faible d’agents pénitentiaires et la délicate cohabitation entre deux, voire trois détenus, dans des cellules de 9 m². «J’ai des détenus et il faut qu’ils acceptent de vivre ensemble, expose Ivan Gombert. Il faut que je sois sûr que ça va fonctionner entre eux. C’est rarement le cas. Récemment, on en a un qui a tué l’autre parce qu’il puait.» A Nancy, une discorde sur un programme télé a abouti à un mort. Ces derniers mois, cinq hommes ont été tués par leur codétenu.

En l’état, les conditions carcérales ne permettent évidemment plus de répondre à l’exigence du sens de la peine, a développé de son côté la vice-présidente de l’association nationale des juges d’application des peines, Cécile Delazzari. «Un jour, ces gens vont sortir. L’intérêt de la prison, c’est aussi de voir ce qu’on en fait de ce temps de mise à l’écart.La prévention de la récidive passe par la régulation carcérale», a insisté cette juge chevronnée face à des députés de droite et d’extrême droite réfractaires à l’idée de «faire sortir des criminels». Le président de la commission des lois, Florent Boudié (EPR), s’est lui engagé à proposer, dans les prochains mois, «un texte de loi qui permettrait d’identifier un mécanisme national de régulation» afin d’apporter «une réponse politique à ce sujet extrêmement ancien qui pose d’immenses difficultés».


Libération, le 3 juillet 2025

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