Des prisonniers à la place des personnes âgées ? La proposition choc du ministre de l’Intérieur de transformer des Ehpad en prisons a fait bondir le secteur du grand âge. Déjà secoué par le scandale Orpea et confronté à une crise financière, ce dernier craint de voir son image encore un peu plus écornée.
Les « Ehpad-prisons », la polémique de trop pour le secteur du grand âge
— framafad paca corse (@WaechterJp) July 10, 2025
Des prisonniers à la place des personnes âgées ? La proposition choc du ministre de l’Intérieur de transformer des Ehpad en prisons a fait bondir le secteur du grand âge. @Le_Figaro pic.twitter.com/8RYTaIvM57
• Agnès Leclair
« Ehpad-prison » : il faut dire que ce mot-clé a prospéré sur les réseaux sociaux pendant la crise sanitaire du Covid-19 pour dénoncer la réclusion et l’isolement des résidents dans les maisons de retraite. « Cette proposition est scandaleuse, car elle enferme encore un peu plus les Ehpad dans une image carcérale, dénonce Sabrina Deliry, cofondatrice du Cercle des proches aidants en Ehpad. Il est vrai que, malheureusement, certains établissements sont devenus des lieux d’enfermement où les résidents et les familles ne peuvent plus aller et venir librement. Mais, plutôt que d’accentuer cette image, mieux vaudrait donner de l’argent à ce secteur, qui appelle à l’aide pour ne pas couler. » « Cette annonce a suscité beaucoup d’émotion alors que nous nous attachons chaque jour avec l’ensemble des équipes à faire en sorte que ces établissements soient des lieux de liberté et de citoyenneté », pointe Pierre Roux, président d’une association de directeurs d’Ehpad (AD-PA) du secteur public, vent debout contre cet amalgame.
Cette polémique tombe mal dans un secteur qui a enchaîné les crises. Ces dernières années, les difficultés de recrutement, le taux de remplissage en baisse, l’inflation et la hausse des charges sont venus aggraver encore un peu plus la situation des établissements. Malgré des aides financières exceptionnelles débloquées par le gouvernement, les deux tiers des Ehpad de France sont aujourd’hui en déficit, selon un récent rapport sénatorial, alertant sur un modèle « à bout de souffle ».
« Totalement anachronique »
« Nous attendons du gouvernement qu’il soit pleinement mobilisé pour soutenir le secteur et empêcher les Ehpad de fermer, plutôt qu’à l’inverse se projeter sur la manière dont pourraient être utilisés nos établissements vidés de leurs résidents », s’est indigné Jean-Christophe Amarantinis, président du Synerpa, syndicat des Ehpad privés commerciaux, sur Franceinfo. Cette proposition est de surcroît jugée « totalement anachronique » au moment où la France va se trouver confrontée à un choc démographique. Dès 2019, le rapport Libault estimait déjà à 108 000 le nombre de places supplémentaires nécessaires d’ici 2030 pour répondre aux seuls besoins liés au vieillissement.
La « sortie » de Gérald Darmanin a également pris de court le cabinet de Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’Autonomie et du Handicap, qui indique ne pas avoir été consulté par la Place Beauvau. Les équipes de la ministre n’identifient d’ailleurs pas un volume significatif d’Ehpad désaffectés pouvant correspondre à cette reconversion. Sur les 7 500 Ehpad contrôlés depuis 2022, une cessation définitive d’activité a été prononcée pour 6 d’entre eux. Mais cette sanction concerne le gestionnaire et non le site. Presque tous ces Ehpad ont été repris en main par une nouvelle direction.
Reste la piste des lieux « désaffectés ». « Il existe quelques bâtiments abandonnés qui étaient autrefois des Ehpad. Des structures vieillissantes, construites dans les années 1970 ou 1980 sur un modèle dépassé, ont été désertées. Mais elles sont peu nombreuses et certaines ont été déjà transformées pour un autre usage », décrit Pierre Roux. En janvier, un ancien Ehpad de Châlette-sur-Loing, dans le Loiret, a ainsi été mis aux enchères par le centre hospitalier de l’Agglomération montargoise (CHAM). Dans le Nord, un nouveau projet immobilier a été évoqué pour l’ancien Ehpad de Solesmes, laissé en friche. Le site de visites sauvages Urbex recense pour sa part une petite dizaine de maisons de retraite abandonnées.
« Bâtiments loin des centres-villes, petites chambres ou chambres doubles, sans salle de bains individuelle, grand réfectoire… C’est vrai que l’on peut comparer l’architecture de certains Ehpad construits il y a une cinquantaine d’années à celle des prisons, reconnaît Sabrina Deliry. Mais la comparaison doit s’arrêter là. Cet amalgame risque d’abîmer encore davantage un secteur qui devrait être aidé. » A. L.
Le Figaro, le 9 juillet 2025