Imminent, et tenu secret, il se réalisera en plusieurs fois, à destination de l’établissement de Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais. Les personnels de prison redoutent des mutineries.
Cela s’appelle entrer dans le dur.
Le transfert des cent plus gros narcotrafiquants se réalisera en plusieurs fois. Les personnels de prison redoutent des mutineries. Cela s’appelle entrer dans le dur. @Le_Figaro pic.twitter.com/DNg7bjEZFz
— framafad paca corse (@WaechterJp) July 13, 2025
• Paule Gonzalès
Vendredi matin, s’est tenue à la Chancellerie la dernière réunion interministérielle entre les ministres de la Justice, de l’Intérieur et de la Santé afin de caler ce qui sera sans doute la mesure phare de Gérald Darmanin Place Vendôme : la création des quartiers haute sécurité, dévolus à la criminalité organisée et à ses plus dangereux obligés.
Dans quelques jours, à une date qui reste secrète pour des questions de sécurité, les premiers transferts de détenus auront lieu des prisons où ils sont actuellement enfermés vers la maison centrale de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais). Au total, une centaine de narcotrafiquants sont concernés. Une mesure qui devrait permettre de totalement les isoler du reste du monde afin d’éviter qu’ils poursuivent leur trafic ou commanditent attentats et évasions depuis leur cellule. « La semaine dernière, l’un des principaux acteurs du trafic de stupéfiants a été transféré dans un nouvel établissement pour raison de sécurité. Il n’a pas fallu 48 heures après son arrivée pour que l’on retrouve dans sa cellule deux téléphones portables », raconte ce cacique de l’administration pénitentiaire.
Aussi l’atmosphère commence-t-elle à se tendre dans les quinze à vingt établissements où la plupart des futurs transférés sont actuellement détenus - principalement d’ailleurs dans les quartiers d’isolement.
Depuis plusieurs semaines, les forces de sécurité pénitentiaires et intérieures effectuent un travail de renseignement méticuleux, traquent tous les signaux faibles, tandis que les établissements sont en contact permanent avec les préfectures. Tous craignent que ne se reproduisent les phénomènes de mai dernier, puissance 10 : les intimidations d’agents, les menaces et les appels au crime sur les réseaux sociaux, les incendies de véhicules sur les parkings des prisons, les dégradations d’établissements pénitentiaires à coups de kalachnikovs, le tout sur fond de canicule et de surpopulation carcérale. « Si les narcotrafiquants arrivent à engendrer des mutineries simultanément dans quelques-uns de nos établissements, ou bien s’attaquent aux personnels, cela peut se répandre comme une traînée de poudre et cela va devenir très compliqué », souligne cette source pénitentiaire.
Le moment particulièrement sensible ? Le jour où les chefs d’établissement vont annoncer aux détenus concernés que le garde des Sceaux envisage leur transfert à Vendin-le-Vieil. Ces derniers auront alors 72 heures pour préparer un débat contradictoire avec l’administration pénitentiaire et pour s’opposer à ce transfert. À l’issue de ce délai et de cette audience, l’ordre de transfert pourra être signé par le ministre et, dès la notification à l’intéressé, ce dernier pourra être transféré. Une notification qui n’est pas suspensive. Autrement dit, les recours seront jugés alors que les détenus auront déjà été transférés. Au tribunal administratif de Lille, on est déjà rodé à l’exercice par les recours incessants des deux détenus les plus célèbres de Vendin : Rédoine Faïd et Salah Abdeslam.
C’est donc au cours de cette latence de trois jours que les risques seront maximums pour les détentions et les personnels, moment où ces dangereux détenus sont susceptibles d’agir pour déstabiliser les prisons. En ligne de mire, les établissements du Sud-Est, comme ceux de Marseille, Toulon et Aix, ainsi que ceux de région parisienne. Ce sont les deux points névralgiques de la détention de narcotrafiquants en France : 25 % des 1 800 délinquants incarcérés pour trafic de stupéfiants en France le sont dans le croissant phocéen.
Cela explique pourquoi l’administration pénitentiaire envisage le transfert de ces détenus en une dizaine de vagues successives. Les modalités de ces déplacements sont totalement classifiées afin d’éviter des drames, comme celui de l’évasion de Mohamed Amra il y a un an. Par définition, ce dernier, qui s’avère être un détenu particulièrement difficile, aurait vocation à également rejoindre Vendin-le-Vieil.
L’établissement, fin prêt depuis quelques jours, compte le plus fort ratio détenus/surveillants: pour cette centaine de narcotrafiquants on compte 250 surveillants. Malgré ce surnombre, les détenus ne passeront pas par un « quartier arrivants », ils seront directement conduits dans leur cellule. Et ce, même si les formalités sont très nombreuses en matière de greffe pénitentiaire mais aussi de fouilles de paquetage et des détenus eux-mêmes. L’autre casse-tête pour l’administration pénitentiaire est la composition des groupes de cinq détenus qui occuperont chacun la moitié d’une des dix coursives de l’établissement. « Il faut veiller à ce que les détenus ne soient pas dans des guerres et des oppositions violentes. Il ne serait pas de bon aloi de mettre ensemble un affidé de la DZ Mafia avec un lieutenant de Yoda, sourit ce connaisseur des arcanes de la pénitentiaire. Il faut aussi veiller à ne pas mettre ensemble des complices directs ou encore des détenus qui ont des interdictions judiciaires de se fréquenter ou que l’on retrouve dans les grands trafics de stupéfiants. Cela demande forcément de bien connaître les dossiers de chacun et d’effectuer un travail particulièrement minutieux. »
Lors de la réunion interministérielle de vendredi, en grande partie consacrée à l’étude des risques, deux autres questions ont été abordées par les trois ministres. Ainsi celle des extractions médicales, durant les trajets, où l’administration pénitentiaire est particulièrement vulnérable, mais aussi dans les établissements hospitaliers. Jamais un aussi large panel de spécialistes n’aura été réuni dans un établissement pénitentiaire comme à Vendin-le-Vieil, précisément pour éviter les extractions risquées. Dernièrement, les facéties de Mohamed Amra, qui prétend avoir été violenté par les personnels pénitentiaires, ont donné un avant-goût des tensions possibles avec les équipes de santé.
Autre sujet qui n’est pas totalement arbitré entre les trois ministères : les transferts de détenus en cas de convocation par les juges d’instruction. Là également, le précédent Amra, qui a choisi le silence après un transfert très coûteux en hélicoptère jusqu’au tribunal judiciaire de Paris, en juin dernier, oblige les deux ministères régaliens à trouver des solutions en cas de refus par le magistrat de procéder à une visioconférence. Il a notamment été évoqué la possibilité pour les forces de l’ordre d’escorter les magistrats qui accepteraient de se rendre sur place pour rencontrer les acteurs de ces grands dossiers de criminalité organisée. P. G.
Le Figaro - le 12 juillet 2025