Pour lutter contre la surpopulation carcérale, Gérald Darmanin lance la construction de 3 000 places de prisons « modulaires », en béton préfabriqué. Une solution rapide, mobile… et deux fois moins coûteuse
DES PRISONS MODULAIRES FACE L’URGENCE
— framafad paca corse (@WaechterJp) July 14, 2025
Pour lutter contre la surpopulation carcérale, Gérald Darmanin lance la construction de 3 000 places de prisons « modulaires », en béton préfabriqué. Une solution rapide, mobile… et deux fois moins coûteuse @LeJDNews pic.twitter.com/jWGZWkLMy1
• PAR LUCAS PLANAVERGNE
Record battu. 135 % : c’est le taux de surpopulation carcérale atteint dans les prisons françaises au 1er juin 2025. Pour 62 566 places officielles, on dénombre pas moins de 84 447 détenus. Vingt-deux établissements dépassent même les 200 % d’occupation. Une aggravation mois après mois, qui témoigne de l’embolie chronique du système pénitentiaire français. Depuis son arrivée place Vendôme, Gérald Darmanin a promis d’en faire une priorité, jurant de « moderniser en profondeur la stratégie carcérale » et de tenir l’objectif présidentiel des 15 000 places supplémentaires d’ici à 2027. Après avoir dévoilé, mi-mai, dans les colonnes du JDD, la construction d’un centre de haute sécurité en Guyane pour y enfermer les narcotrafiquants, le garde des Sceaux a réitéré son intention de louer des cellules à l’étranger – notamment en Espagne. À ces projets spectaculaires s’ajoute désormais une mesure plus pragmatique : la création de prisons dites « modulaires ».
Concrètement, ces structures préfabriquées, démontables et déplaçables, offriraient, selon la Chancellerie, « les mêmes standards de solidité et de fonctionnement » qu’une prison classique. À l’œil nu, aucune différence, promet le ministère. Leur principal atout, toutefois, n’est pas esthétique : ces modules coûtent deux fois moins cher (environ 200 000 euros par place, contre 400 000 pour un bâtiment pénitentiaire traditionnel) et peuvent être installés en seulement dix-huit mois, là où une prison classique exige en moyenne sept ans.
Au total, l’objectif du dispositif est de créer 3 000 places supplémentaires. Pour la moitié d’entre elles, neuf entreprises ont d’ores et déjà répondu à un appel d’offres lancé en mai. Alors qu’un second appel vient d’être officialisé, le ministère a dévoilé la liste des 17 premiers sites retenus partout en France, dont ceux de Brest (Finistère), Mont-de-Marsan (Landes), Châteaudun (Eureet-Loir), Valence (Drôme), Meaux (Seine-et-Marne) ou encore Le Port (La Réunion). La première structure est attendue pour l’automne 2026 à Troyes-Lavau, dans l’Aube.
Au-delà de désengorger les prisons, le projet vise aussi à mieux « catégoriser » les détenus selon leur profil. Dans ces cellules modulaires, seuls des délinquants « en semi-liberté [qui y passent la nuit et sortent la journée pour travailler ou suivre une formation, NDLR], en fin de peine ou au profil non-violent » seront incarcérés, nous précise la Chancellerie. Une initiative que le délégué général de l’Institut pour la justice (IPJ), Pierre-Marie Sève, voit d’un bon œil.
« La question carcérale reste le point névralgique de notre politique judiciaire, car nombre de délinquants n’ont pas l’impression d’avoir déjà été condamnés tant qu’ils ne sont pas passés par la case prison… Toutes les solutions alternatives sont bonnes à explorer, même si ça aurait mérité d’être fait il y a bien longtemps déjà », commente le juriste, qui préfère d’ailleurs parler de « suroccupation » plutôt que de « surpopulation » carcérale – car, au vu du niveau de criminalité, le nombre de détenus devrait « en réalité être bien plus important ».
Dans l’ensemble, les professionnels du secteur accueillent favorablement le projet. « On est très loin du cliché des conteneurs en métal ou en panneaux légers. Il s’agit en réalité de modules en béton armé, préfabriqués en usine […]. Si un tel dispositif permet de créer des places de détention plus vite et moins cher, nous ne voyons aucune raison de nous y opposer », a par exemple réagi FO Justice, qui émet toutefois des réserves sur un point en particulier : le manque d’effectifs au sein de l’administration.
Une pénurie qui pourrait rendre plus difficile la gestion de ces nouvelles structures, déployées sur des zones pénitentiaires déjà existantes – de façon à limiter les délais administratifs. « Elles doivent rester totalement autonomes et surtout étanches [...]. Pas question de “puiser sur la bête” ou d’ajouter une charge supplémentaire aux personnels déjà en poste », alerte le syndicat. Un constat que partage le responsable de l’IPJ, pour qui il est plus qu’urgent de redonner de « l’attrait » au métier de surveillant.
« C’est une profession dangereuse et le manque de bras aggrave encore les risques. Il faut leur redonner une véritable autorité », estime l’expert, énumérant les violentes agressions dont sont régulièrement victimes les agents pénitentiaires, comme tout récemment à la maison d’arrêt de Béziers. Pour répondre aux inquiétudes, le ministère rappelle, en effet, que « 1 000 nouveaux postes » sont actuellement créés chaque année et promet des « recrutements supplémentaires » sur tous les nouveaux sites construits.
À l’étranger, ces prisons en préfabriqué ont déjà fait leur preuve, notamment au Royaume-Uni et en Allemagne, à la prison de Meppen, où une délégation syndicale a accompagné le garde des Sceaux lors d’une visite en avril dernier pour y découvrir ses installations. « Il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas chez nous aussi », se projette en tout cas Pierre-Marie Sève. En plus de s’inspirer des méthodes de nos voisins européens, Gérald Darmanin réfléchit à d’autres solutions, encore plus originales, telles que la transformation d’anciens Ehpad en prisons.
Le JDNews le 13 juillet 2025